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ni à relever en général le crédit du gouvernement, forcé en pleine trève de recourir à de pareils expédients, qui tout au plus se comprendraient à la fin d'une longue guerre. Le montant des intérêts à payer dans le premier trimestre 1864, en métal, n'est cependant que de 7,500,000 florins! Si le gouvernement, même avec le sacrifice de 40 0/0 d'agio qu'il s'impose, ne peut se procurer une somme relativement aussi faible, on comprendra d'autant plus qu'il lui soit absolument impossible de trouver des espèces sonnantes pour l'entretien de 183,000 hommes qu'il a mis dans la Vénétie. C'est par cette impossibilité que M. de Plener motive la seconde mesure, introduisant le cours forcé dans la Vénétie qui, jusqu'à présent, avait su, seule dans la monarchie autrichienne, se défendre contre le fléau du papier-monnaie. Le trait le plus caractéristique de l'ordonnance, c'est que le gouvernement autrichien, tout en imposant aux Vénitiens son papier sans valeur, refuse de le leur reprendre; il exige, pour plusieurs termes encore, le paiement en argent des principaux impôts, c'est-àdire qu'il veut soutirer aux Vénitiens le dernier écu en métal pour ne leur laisser en place que les billets de sa grande fabrique d'assignats, appelée la Banque nationale de Vienne.

On se demande avec une curiosité anxieuse ce que deviendra la circulation parce que, en Autriche, non au printemps, si le printemps apporte la guerre,· en ce cas, les plus optimistes regardent la banqueroute comme inévitable, mais ce qu'elle deviendra dès aujourd'hui en face de la nouvelle crise monétaire et financière dont l'Europe se trouve menacée, ou plutôt qui déjà se fait sentir sur les grands marchés des capitaux ? Cette crise, qu'on croyait apaisée il y a un mois, parce qu'on espérait un peu trop dans le bon sens des Yankees, a pris tout à coup des proportions très-formidables, par suite de la grave démarche de la Caroline du Sud. La banque d'Angleterre s'est vue amenée à élever de 6 à 7 p. 0/0 le taux de son intérêt, et la banque de France, qui dans ces derniers temps n'avait vu aucun inconvénient à escompter à 1 et même à 1 1/2 p. 0/0 au-dessous du taux de sa rivale britannique, a cru cette fois ne pouvoir tarder un instant à la suivre. Le taux d'escompte se trouve ainsi à Londres et à Paris être le plus élevé qui ait été atteint depuis la panique de 1837. Cette prompte et forte surélévation est venue si inopinément, malgré tout ce qu'on savait des conflits menaçants en Amérique, que, quelques minutes avant qu'elle ait été notifiée, on pouvait encore, sur le marché de Londres, obtenir de l'argent au-dessous même du taux d'escompte officiel, grâce, notamment, à l'arrivée des 300,000 l. st. apportées samedi dernier par l'Asia. Mais, d'autre part, le dernier bilan hebdomadaire de la banque faisait déjà ressortir, dans l'encaisse, une diminution de 145,280 1. st.; le Teutonia a emporté cette semaine 70,000 1. st., auxquels d'autres navires en partance devaient ajouter des sommes assez importantes, en même temps que le continent, et particulièrement la banque de France, accroissait ses demandes de numéraire. On était d'autant plus sensible à ce drainage, que l'importation de l'or était déjà restée, en 1860, fort inférieure à ce qu'elle avait été dans les deux années précédentes, tandis que l'exportation, pour les Indes et la Chine, avait considerablement dépassé les chiffres des années précédentes. On en trouvera la preuve dans le tableau que voici de l'importation et de l'exportation de l'or :

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La différence en faveur de l'importation est donc presque de la moitié moindre de ce qu'elle avait été l'année précédente, et reste même inférieure d'environ 1,700,000 1. st. au chiffre atteint en 1858. L'expédition de la Syrie, la guerre en Chine, et aussi les forts achats de blé en Amérique, nécessités par les mauvaises récoltes de l'été dernier, expliquent suffisamment l'accroissement de l'exportation du métal précieux; c'est même, à ce qu'il paraît, par ces achats de blé que l'Angleterre se voit aujourd'hui forcée de solder comptant, parce que les commandes d'articles anglais de la part des États-Unis ont aussitôt été interrompues à cause de la crise politique, que le marché de Londres se ressent si fortement du choc de la commotion nord-américaine. En voyant que l'encaisse de la banque d'Angleterre qui à pareille époque avait été de 19,145,649 1. st. en 1859 et de 16,460,824 1. st. en 1860, n'est aujourd'hui que de 12,652,839 1. st., cette sensibilité extrême du marché anglais se comprend mieux encore, et on ne s'étonne pas trop de trouver le taux d'escompte à 7 p. 100, quand à pareille époque il avait seulement été de 2 1/2 p. 100 dans les deux années précédentes.

Le chiffre de l'encaisse actuel, que nous venons de citer, est, à 10,000 1. st. près, le même qu'il avait été il y a juste trois ans, c'est-à-dire à l'issue de la grande crise de la fin de 1857. On n'a pas oublié que la crise de 1857 était venue de l'Amérique du Nord, d'où nous vient aussi celle de 1861; les pessimistes croient qu'elle sera cette fois beaucoup plus grave encore. Leurs craintes s'appuient notamment sur cette considération qu'en 1857 les États-Unis n'avaient été travaillés que par une crise financière, dont on pouvait, d'après de nombreuses expériences antérieures, calculer d'avance, jusqu'à un certain point, l'étendue, la portée et la durée; aujourd'hui, par contre, il s'agit d'une crise politique qui menace jusqu'à l'existence même de l'Union et dont personne ne saurait mesurer d'avance la durée et les conséquences. On ajoute que le contre-coup de la crise de 1857 nous atteignait en pleine paix, tandis qu'aujourd'hui le monde des affaires non moins que le monde politique regardent une prochaine guerre à peu près comme inévitable. On fait enfin valoir qu'en 1857 la récolte recommençait à être très-bonne, tandis qu'aujourd'hui nous nous trouvons peut-être au commencement d'un nouveau cycle d'années mauvaises... Il y a quelque chose de vrai dans ces appréhensions; toutefois, il ne

faut pas perdre de vue que les besoins extraordinaires de blés sont dans ce moment satisfaits déjà pour la plus grande part, que la guerre prédite pour le printemps prochain pourrait bien être retardée encore, et quant à l'Union même, il est douteux si la Caroline du Sud trouve assez d'adhésions de la part des autres États à esclaves pour pouvoir donner sérieusement suite à ses projets désunionistes. Une autre considération encore qu'il ne faudrait pas perdre de vue, c'est que le contre-coup de la crise américaine de 1857 nous était arrivé au milieu d'une surexcitation extrême de l'activité productrice et spéculatrice, et avait rencontré ainsi une foule d'entreprises véreuses sans aucune force de résistance; depuis, le mouvement des affaires s'est non-seulement rétréci, il est devenu plus circonspect, plus méfiant, et a acquis par là une solidité du moins relative, qui ne plie pas au premier souffle venu.

D

On sait, en effet, que l'année 1860 n'est pas sorti du calme plat où le monde financier et commercial était tombé par suite du profond ébranlement de 1857; à peine si dans l'Europe entière on citerait une dizaine de nouvelles entreprises en actions qui soient parvenues à se constituer l'année dernière; les émissions d'actions et d'obligations, en France aussi bien qu'ailleurs, n'étaient en général que les compléments d'émissions antérieures pour des entreprises de longue date. Toutefois, la fin même de l'année nous a apporté dans un pays voisin, la création d'un grand établissement financier; nous voulons parler de la Société du crédit communal qui vient d'être fondée à Bruxelles dans le but de faciliter les emprunts des communes et des provinces, ou ceux garantis par elle, » et dont les opérations consistent: « 1° à se charger de l'émission de ces emprnts et de la conversion des dettes antérieures; 2° à créer des titres uniformes pour la fusion de plusieurs emprunts. Le capital social de la société, dont la durée est fixée à 99 ans, est représentée par des actions nominatives de 1,000 fr. qui seront possédées exclusivement par les emprunteurs, c'est-à-dire par les communes et les provinces qui entrent dans l'association. La société pourra commencer ses opérations dès que 200 actions seront souscrites; le montant des actions sera versé d'après les conditions à fixer par le conseil d'administration; le fonds social ne pourra être inférieur à 5 p. 100 du capital nominal des emprunts. Ces emprunts sont faits au moyen de l'émission d'obligations au porteur ou nominatives qui pourront être remboursées par voie de tirage au sort avec primes, et produiront au moins un intérêt annuel de 3 p. 100. Le conseil d'administration, réuni au conseil de surveillance, prononcera au scrutin secret sur les demandes d'admission des communes, provinces et établissements pour contracter des emprunts; sont néanmoins dispensées du scrutin les communes, provinces et établissements qui sont autorisés à déléguer un revenu certain et suffisant pour répondre de leurs engagements. Les bénéfices de la société seront acquis annuellement aux actionnaires à concurrence de 5 p. 100 du capital versé; l'excédant passej au fond de réserve qui pourra être distribué sur la décision du conseil d'administration, approuvé par le ministre des finances... Les statuts sont muets sur un point, capital à nos yeux, à savoir si le société vendra ses obligations au public et prêtera de l'argent comptant à ses actionnaires, ou si elle fera les prêts en obligations, comme les fait, par exemple, le Crédit foncier de France; dans ce dernier cas, l'emprunt pourrait bien, surtout dans les premiers temps, avant

que ces obligations aient atteint un bon prix, coûter fort cher aux communes et provinces. D'autant plus que le but qu'on se propose de faire profiter les emprunteurs eux-mêmes des bénéfices de l'opération en les faisant actionnaires, sera souvent déjoué par le transfert des actions. L'art. 5, en autorisant ces transferts, ne dit pas si les actions peuvent être transférées à n'importe qui que ce soit, ou seulement d'un sociétaire à l'autre; dans l'un et dans l'autre cas, la commune ou la province dans l'embarras pourra se défaire de ses actions et cesser ainsi de profiter des avantages par lesquels on a voulu alléger le fardeau des intérêts que lui impose l'endettement...

En elle-même, l'idée de fonder entre les provinces et communes une association pour emprunter en commun et relever leur crédit par la solidarité plus ou moins entière soit d'appliquer au crédit communal l'organisation de certaines sociétés de crédit foncier est assurément excellente; mais l'application, telle du moins qu'elle est tracée dans les statuts, laisse à désirer. Entre autres, nous cherchons en vain dans les statuts une stipulation quelconque sur l'étendue des opérations de la Société, et en particulier sur l'étendue de ses opérations avec chacun des sociétaires. La société peut-elle emprunter à l'infini du moment qu'elle ajoute à son capital social les 5 p. 100 obligatoires des nouveaux emprunts à contracter? Une province, une commune, un établissement, une fois admis à faire partie de la société, celle-ci est elle obligée à leur prêter toutes les sommes qu'il leur plaît d'emprunter? On répondra peut-être — quoique ce ne soit là qu'une garantie assez équivoque- que les communes et les provinces ont besoin de l'autorisation gouvernementale pour s'endetter; soit. Mais les établissements? L'article 1er des statuts assigne à la Société pour but « de faciliter les emprunts des communes et des provinces; » c'est clair, parce que la loi dit et tout le monde sait ce que c'est que la commune, ce que c'est que la province. Il n'est pas question d'autres emprunteurs ou sociétaires, jusqu'aux articles 21 et 22, où, d'un coup, sans que personne s'y attende, ces « ÉTABLISSEMENTS » se glissent à côté des communes et des provinces; ni les status, ni le « rapport au roi » qui précède le décret approbatif des statuts, n'ont pris la peine de nous dire ce qu'il faut entendre par cette désignation si élastique d'établissements. Un peu plus de précision rédactionnelle et de clarté intelligente n'auraient peut-être pas été de trop dans les statuts d'un établissement mi-gouvernemental qui est calculé pour la durée d'un siècle et dont les opérations, s'étendant à toutes les provinces et communes, peuvent exercer une influence si grande sur la situation financière du pays tout entier.

J.-E. HORN.

SOCIÉTÉ D'ÉCONOMIE POLITIQUE

COMMUNICATION.

Réunion du 6 janvier 1861.

Nomination d'un vice-président de la Société. · Mémoire sur la Grèce, par M. Soutzo. -- Conférences de MM. Maurice Jolly, Fréd. Passy, Gust. de Molinari, Brochure sur la question du crédit foncier en Russie, par M. Miaskowski.

DISCUSSION. Sur l'APPRÉCIATION de la RICHESSE D'UN PAYS.

M. RENOUARD, Conseiller à la Cour de cassation, ancien membre de la Chambre des pairs, un des vice-présidents de la Société, a présidé cette réunion, fort nombreuse, à laquelle avaient été invités M. LUSZIEWSKI, conseiller d'Etat, directeur de la division de l'industrie et des beauxarts à Varsovie; M. ED. ROMBERG, directeur des beaux-arts et de l'industrie en Belgique; M. TCHITCHERINE, rédacteur de l'Athenæum, à Moscou, et professeur d'économie politique et de droit public dans la mėme ville; et à laquelle assistaient M. TORRES CAÏCEDO, consul du Venezuela, et M. le prince PIERRE DOLGOROUKOW, admis par le Bureau à assister, en qualité de membres, à la réunion de la Société.

M. le Président a annoncé à la réunion que le Bureau s'était réuni pour s'occuper du remplacement, dans son sein, du regrettable M. Horace Say, un des quatre vice-présidents, un des premiers et des plus zélés membres de la Société. Après avoir consulté le président, le Bureau, à l'unanimité, croit devoir présenter un candidat aux suffrages de la Société, et son choix s'est porté sur M. Léonce de Lavergne, membre de l'Institut, un des plus savants membres de la Société, un des plus assidus aux réunions et qui, depuis plusieurs années, défend avec zele et talent les principes de l'économie politique, soit au sein de l'Académie dont il fait partie, soit dans la presse.

L'élection aura lieu dans la prochaine séance.

M. le Secrétaire perpétuel, prenant la parole de la part de M. Dunoyer, un des présidents de la Société, expose que M. J.-A. Soutzo, professeur d'économie politique et directeur du Bureau d'économie politique à Athènes, que le Bureau de la Société a récemment admis au nombre des associés à l'étranger, adresse ses remerciements à la Société et lui fait en même temps hommage d'un travail sur « les faits économiques tels qu'ils se sont passés en Grèce de 1833 à 1860. »

M. Joseph Garnier donne une analyse rapide de cet intéressant mé

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