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moire, qui sera communiqué à la rédaction du Journal des Economistes. « La Grèce contemporaine, dit M. Soutzo, qui, durant la guerre de l'indépendance, s'attira les sympathies des nations chrétiennes et l'appui des grandes puissances de l'Europe par ses longues souffrances et son héroïque résignation, n'est parvenue à se dégager des étreintes de la barbarie musulmane qu'en se voyant réduite à un état de complète dévastation et de profonde misère. Ceux qui ont depuis si sévèrement jugé la nation grecque auraient été, sans nul doute, plus vrais et plus justes si, au lieu d'appliquer leurs idées préconçues aux faits, ils avaient voulu prendre en considération le niveau duquel cette nation était partie il y a à peine trente ans pour arriver à ce qu'elle est aujourd'hui. >>>

M. Soutzo établit dans son mémoire que les réformes économiques les plus urgentes dans son pays doivent avoir pour objet la suppression de la dime, l'amélioration des voies de communication, la réduction du taux de l'intérêt des capitaux, une meilleure administration des forêts et la transmission à des particuliers des biens du domaine cultivable.

M. Joseph Garnier et M. Horn entretiennent la réunion des conférences de M. Maurice Joly, avocat, sur les fonctions du crédit et de l'épargne dans l'organisation générale de la Société. Les conférences ont lieu les vendredis, dans la salle même où se réunit la Société d'économie politique.

M. le Président dit que l'initiative et les efforts de la nature de ceux de M. Joly méritent l'approbation de la Société; et il en prend texte pour rappeler les succès qu'obtient M. Félix Passy dans ses conférences d'économie politique à Montpellier, auxquelles assiste un public nombreux et choisi.

M. Joseph Garnier rappelle également à ce sujet la curieuse propagande que M. Gustave de Molinari, rédacteur en chef de l'Économiste belge, est allé faire l'année dernière, à pareille époque, jusqu'au centre de la Russie, en prêchant les libertés économiques, la réforme des tarifs et des abus engendrés par l'intervention irrationnelle de l'autorité publique dans ce même pays où M. le prince Dolgoroukow signalait tout récemment tant d'anomalie.

M. WOLOWSKI, membre de l'Institut, présente un écrit intitulé: Du Crédit foncier et de son avenir en Russie (1), que l'auteur, M. Félix Miaskowski, conseiller d'Etat, adresse à la Société.

M. Wolowski dit qu'il ne saurait s'abstenir de faire des réserves au sujet de cet écrit. L'esprit dans lequel le travail de M. Miaskowski a été

(1) Saint-Pétersbourg, Bellizard, 1860, broch. de 48 pages.

conçu, prouve que des erreurs réfutées à diverses reprises continuent cependant à détourner de leur application sérieuse les projets de crédit foncier. Au lieu de se contenter de demander à cet instrument ce qu'il peut fournir, c'est-à-dire le rapprochement à de bonnes conditions du capital et de la terre, et la faculté de l'amortissement, précieuse surtout pour le propriétaire, dont les ressources, accrues par un emploi intelligent des fonds ne sauraient reconstituer les avances faites à la longue, au moyen d'un accroissement de revenu, l'auteur s'imagine que cet établissement peut servir à rendre impossible le retour des crises monétaires et à organiser le système des banques.

D'après lui, la Russie venant, après l'Allemagne, ia Pologne et la France, dans l'institution du crédit foncier, doit faire mieux; mais les conseils qu'il donne prouveraient une fois de plus la vérité du vieux dicton, que le mieux est ennemi du bien. L'erreur fondamentale, qu'il suffit de signaler, car la Société d'économie politique l'a depuis longtemps condamnée, c'est de supposer que le crédit foncier est appelé à créer un nouvel agent, ou instrument d'échange ou de circulation, supérieur à tout ce qui existe et circule aujourd'hui, c'est-à-dire aux billets de banque et à la monnaie métallique. Supprimer celle-ci, ajoute M. Wolowski, est le but suprême de l'auteur, qui, confondant les idées les plus opposées émises sur cette question, associe, pour invoquer l'appui de leurs opinions, des noms d'hommes singulièrement étonnés de se trouver ainsi réunis, ceux de Bastiat, de Blanqui, de Michel Chevalier, de Cieszkoswki, de Darimon, de Léon Faucher, d'Émile de Girardin, de Molinari, auxquels il a bien voulu ajouter aussi le mien. A l'en croire, grâce aux écrits de ces publicistes, on reconnaît aujourd'hui pourtant que la monnaie métallique, instrument d'échange transitoire, qui a remplacé la monnaie de troc, instrument d'échange primitif, a fait son temps, et le moment s'approche pour elle de céder le pas à un instrument d'échange supérieur. « La monnaie métallique, ajoute-t-il, a le seul avantage qui lui a valu jusqu'à nos jours sa suprématie usurpée, c'est celui de porter son gage avec elle. » La monnaie est assez modeste pour s'en contenter, et sans entrer dans une discussion superflue, nous dirons que cet avanlage suffit pour en assurer le maintien. Ceux qui rêvent la suppression du signe actuel des échanges oublient que, pour ramener les valeurs à un commun dénominateur, il faut que celui-ci possède les qualités de permanence, de divisibilité et de recomposition, de circulation et surtout d'identité, qui ont fait adopter les métaux précieux comme signe commun, en ramenant à ce type le prix de tous les produits. Ils commettent aussi la plus étrange des contradictions; car, au moment même où ils parlent de supprimer la monnaie métallique, c'est en monnaie métallique, en francs ou en roubles, qu'ils expriment le montant des billets hypothécaires destinés à la clause du marché. De cette 2 SERIE. T. XXIX. 15 janvier 1861.

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manière, comme le disait, avec une concision énergique et spirituelle, notre si regrettable Léon Faucher, «ils renferment un acte de foi dans un blasphème. »>

Les déclamations contre la monnaie métallique employée comme élément fondamental des échanges sont de la famille de la tyrannie du capital, du droit au travail, du crédit gratuit, etc. Ce sera l'éternel honneur de nos assemblées politiques, d'avoir vu, aux moments les plus agités et les plus difficiles, maintenir les vrais principes, qui seuls sont conformes aux idées de justice, et d'avoir écarté des utopies malsaines, hostiles à la pratique de la liberté. Les billets hypothécaires, faisant of fice de monnaie, et destinés à supprimer l'usage des métaux précieux, étaient du nombre, et alors qu'une publication offerte à la société s'attache à ressusciter une chimère qu'on aurait dù croire complétement dissipée, c'est un devoir dans cette réunion de remplir une tâche pénible, mais nécessaire, en sinaglant la vanité et le danger de pareilles illusions.

SUR L'APPRÉCIATION DE LA RICHESSE D'UN PAYS.

Après ces diverses communications, la conversation se fixe sur une question proposée par M. du Mesnil-Marigny, auteur d'un ouvrage intitulé Les Libre-échangistes et les Protectionnistes conciliés, ainsi conçue: «Quel est le véritable sens que l'on doit attacher à ces mots : la richesse d'une nation?» question que M. Joseph Garnier proposait de compléter ainsi : «Comment inventorier la richesse d'une nation? >>

M. du Mesnil-Marigny est prié de développer sa proposition et de faire ressortir l'intérêt que sa question peut présenter, et diverses explications sont échangées entre lui et MM. Horne, de Lavergne, Renouard, de Fontenay, Wolowski, Torrès Caïcedo et Joseph Garnier, dans une discussion un peu confuse.

M. DU MESNIL-MARIGNY croit pouvoir avancer que jusqu'ici on n'a pas encore donné une bonne définition de la richesse d'un État. M. Stuart Mill et beaucoup d'autres économistes disent que «la richesse d'un État est la somme de toutes les choses utiles ou agréables qu'il possède et qui ont une valeur échangeable. » Or, cette définition est insuffisante, car il est impossible avec les seuls éléments qu'elle fournit de comparer deux nations entre elles sous le rapport de leurs richesses. En effet, si deux nations sont également nanties de marchandises d'une même nature, mais ayant des valeurs plus élevées chez l'une que chez l'autre, ces deux nations seront inégalement riches. Elles seront encore inégalement riches si, dans des conditions tout à fait identiques, par rapport aux marchandises (quantité, similitude et valeur), l'une est plus indus

trieuse que l'autre, ou bien est assise sur un sol plus fertile, toutes choses étant les mêmes du reste. M. du Mesnil-Marigny dit encore que toutes les autres définitions de la richesse d'un État sont aussi défectueuses, et par conséquent impropres à faire apprécier exactement les richesses des peuples. C'était l'opinion de J.-B. Say, car cet illustre économiste prétend que cette appréciation est un problème assimilable à celui de la quadrature du cercle (1).

Dans cet état de la science, M. du Mesnil-Marigny croit être parvenu à résoudre ce problème économique, en décomposant la richesse de chaque peuple en deux richesses bien distinctes : l'une qu'il nomme la richesse évaluée monétairement ou richesse de valeur, et l'autre qu'il appelle richesse d'usage.

D'après lui, la richesse évaluée d'une nation est égale à la somme des valeurs: 4° de tous les biens immobiliers; 2o de tous les biens mobiliers existant à l'époque du bilan de cette richesse; 3o du produit brut annuel; 4o des marchandises consommées annuellement, ces dernières marchandises étant affectées d'un signe négatif. Et si l'on veut avoir la richesse évaluée moyenne d'un citoyen de cette nation, il faudra diviser le total résultant de cette opération par le chiffre de la population. Quant à la richesse d'usage moyenne de l'individu, après avoir fait observer que la nature et la quantité des consommations annuelles d'une personne varient de pays en pays, l'Indien consommant moins que l'Espagnol et l'Espagnol qu'un homme du Nord, il arrive à apprécier, pour chaque peuple, ce qu'il entend par la valeur de l'unité d'exis tence. Cette valeur est le prix de la consommation moyenne d'un individu pendant une année. Ce sera, par exemple, 60 fr. pour l'Indien, 150 fr. pour l'Espagnol et 300 fr. pour l'habitant de la Grande-Bretagne, etc., etc. Ces prémisses établies, pour obtenir la richesse d'usage moyenne de l'individu, M. du Mesnil-Marigny divise la valeur du produit brut total de la nation qu'il considère, par la valeur de l'unité d'existence, et encore par le chiffre de la population. Ces formules de la richesse évaluée et de la richesse d'usage, que l'auteur donne ici sommairement, sont, dit-il, présentées comme une nécessité économique, et démontrées rigoureusement dans son ouvrage.

De ces formules qui permettent de calculer les richesses de toute nature, matérielles ou immatérielles, échangeables ou non, il résulte que la richesse d'usage réside dans le plus ou moins grand nombre de satisfactions que la moyenne des individus d'une nation pourra se procurer, relativement à ce qui est nécessaire à la vie sous chaque climat,

(1) Dans l'Epitome, art. RICHESSE, 6o édition du Traité d'économie politique de J.-B. Say, p. 604.

et ensuite que la richesse évaluée monétairement réside dans la somme d'argent équivalente à l'ensemble des biens échangeables d'une nation, en ayant égard tout à la fois au nombre des individus qui la composent, à la valeur de leur production annuelle et à celle de leurs consommations.

Selon lui, en isolant la richesse d'usage et la richesse évaluée, qui jusqu'ici n'avaient pas encore été disjointes, on fait disparaître la difficulté que l'on éprouvait à comparer entre elles les richesses des peuples, et ce problème est maintenant résolu.

Il va plus loin et prétend en outre, au moyen de ces mêmes formules, résoudre un problème bien plus difficile, celui de la conciliation des libre-échangistes et des protectionnistes. Il dit que la vraie richesse des nations est incontestablement la richesse d'usage; car c'est elle qui donne le bien-être aux peuples: or, parmi tous les agents qui produisent cette richesse, l'un des plus énergiques est sans contredit le libre-échange. En effet, équitable pour tous, il donne à tous les plus grandes facilités pour satisfaire leurs désirs. Il faut avouer que, dans certaines localités, il accroît le prix des marchandises indigènes, en leur ouvrant des débouchés dans les diverses parties du globe; mais ces marchandises, dans leur distribution, n'étant entravées ni par la prohibition, ni par la protection, ne subissent que la hausse due à une juste et légitime concurrence.

D'un autre côté, la protection, suivant M. du Mesnil-Marigny, tout en diminuant le bien-être, développe parfois la richesse évaluée. Or, comme cette richesse évaluée est proportionnelle, dit-il, à la puissance des peuples (toutes réserves faites sur leurs qualités guerrières), car c'est à l'aide de cette richesse que l'on obtient la faculté de réunir, dans le même temps, et même dans le plus bref délai, la plus grande quantité possible de numéraire, et on le sait, ce sont les millions qui arment et font mouvoir les nombreux bataillons, qui équipent des vaisseaux et leur font franchir les plus grandes distances pour atteindre l'ennemi, il en conclut que, dans la prévision d'hostilités futures, il est convenable de ne pas négliger cette source de puissance. Il ajoute qu'en augmentant la richesse évaluée, on favorise l'accroissement de la population, qui est encore souvent un autre élément de puissance.

Ainsi, dans certains cas que la formule détermine, une nation, afin d'assurer son indépendance, pourra, bien qu'elle sacrifie une partie de son bien-être, user de la protection, lorsqu'il s'agira, par exemple, d'empêcher les nationaux de prendre trop de goût à des produits étrangers, alors que ces produits sont d'un échange désavantageux pour cette même richesse évaluée.

D'une part donc, d'après M. du Mesnil-Marigny, les libre-échangistes auraient raison au point de vue humanitaire, car le libre com

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