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delà commencent les fantaisies et les aventures. L'Alsace, qui possède à un si haut point, l'intelligence de ce qui lui convient, saura trouver et adopter les combinaisons qui peuvent la rapprocher du niveau qu'il est utile d'atteindre; elle ira de la manière la plus naturelle, la plus sûre, de ce qu'elle a à ce qui lui manque; tout l'y invite et tout la sert, l'abondance des capitaux, l'ambition légitime de se distinguer, la rectitude du jugement, le génie des affaires.

Nulle part, en effet, et il me tardait de le dire, on ne rencontre une élite de fabricants plus éclairée et plus animée de la passion du bien. Aucune des qualités de la profession ne leur est étrangère; les peuples les mieux doués ne les ont pas à un degré supérieur. Ils ont le goût, le calcul, le don de l'invention, la prudence unie à la hardiesse, l'ardeur qui crée et la persévérance qui achève. Ils y joignent la dignité d'état et un esprit d'indépendance qui semble aussi héréditaire que l'esprit d'industrie. Chez eux moins qu'ailleurs, on trouve ces jalousies qui naissent des rivalités, enveniment les rapports et font des manufacturiers la famille la plus divisée qui soit au monde. Point de prévention d'ailleurs, point de faiblesse pour les méthodes empiriques; ils aiment la science, la cultivent, l'encouragent par des récompenses et sont tou'jours en recherche des applications qui peuvent avec fruit en être faites à leurs arts. J'abrége ces titres, mais il en est un sur lequel j'insisterai, c'est qu'ils se montrent attentifs pour le sort des hommes et ne les regardent pas comme de simples instruments. On s'est préoccupé souvent et à bon droit de la destinée de l'ouvrier et des moyens d'action qu'a le gouvernement pour la rendre meilleure, plus conforme à ce qu'on doit attendre d'une civilisation vraiment humaine. Dernièrement encore, notre savant confrère, M. Charles Lucas, a présenté à l'Académie quelques observations à ce sujet. Sans doute on peut agir sur l'industrie par voie administrative, et on l'a fait. Les heures de travail ont été réglées pour les hommes; l'âge d'entrée dans les ateliers a été fixé pour les enfants; d'autres garanties, d'autres obligations ont été imposées aux chefs des manufactures. Il serait difficile d'aller au delà sans que des précautions souvent illusoires dégénérassent en sérieux dommages. Ces mesures, outre qu'elles touchent au principe très-délicat de la liberté des rapports, ont un autre tort qui n'est guère apprécié que par ceux qui ont vu de près les choses. Ce tort n'est pas tant de froisser les intérêts que de blesser les sentiments. Il est dur de se voir traité en suspect, et quand la loi intervient, volontiers le fabricant se tient pour quitte quand il y a obéi. Le devoir strictement défini a pour effet d'affaiblir l'empire des devoirs volontaires, et avec l'État pour tuteur, l'ou

vrier risquerait de perdre ses tuteurs naturels. On a donc agi sagement en ne pas outrant le caractère de cette intervention.

En Alsace, il n'est pas de règlement administratif, si exigeant qu'on le suppose, qui eût pu amener l'équivalent des institutions que j'y ai vues librement à l'œuvre et qui sont le produit de mouvements spontanés. Il y a eu de nobles exemples, et ces exemples ont été suivis, des appels généreux qui ne sont pas restés sans réponse. Ces dépenses, ainsi consenties, les unes temporaires, les autres permanentes, excèdent l'impôt le plus lourd que l'on puisse imaginer. C'est par cent mille francs qu'elles se comptent; elles s'appliquent à toute l'existence de l'ouvrier, depuis ses vivres jusqu'à son logement, depuis son enfance jusqu'à sa vieillesse, depuis ses moyens d'instruction jusqu'à ses habitudes de prévoyance. On dirait, à en suivre le détail, que le patron s'est mis à la place de l'ouvrier, et a voulu penser, agir, calculer pour lui. Ce n'est pas une simple impression que je traduis ici ; j'apporterai les preuves à l'appui, quand il s'agira de Mulhouse et des foyers industriels qui l'environnent. Dans les gorges des Vosges comme dans la plaine, on retrouvera cette attention vigilante pour la condition de l'homme, ce sentiment paternel qui aboutit aux plus ingénieux moyens de le détourner du mal et de le conduire au bien, ces piéges que lui tend une adroite libéralité pour éveiller chez lui le goût très-émoussé de l'épargne. Quand notre savant confrère, M. Villermé, visita, en 1835 et 1836, cette laborieuse province, et en fit un tableau dont l'effet a été si utile et si durable, la plupart de ces institutions n'existaient pas. L'industrie du coton n'avait point encore acquis le degré de puissance où elle est arrivée. A cette puissance était attachée une plus grande responsabilité, et l'Alsace n'en a pas décliné le poids. Elle a compris que cette richesse, due an travail, devait retourner au moins en partie aux sources d'où elle était venue. Les chefs d'industrie ont pris les devants, et à côté d'eux, dans une situation plus désintéressée, des médecins, des ingénieurs, des magistrats, ont étudié les souffrances, signalé les besoins de ces populations et indiqué les réformes qui pouvaient, en les soulageant, améliorer leurs habitudes. On comprend quels effets ont dû suivre cette salutaire émulation parmi les hommes de bien. Il reste sans doute beaucoup à faire, notamment pour la main-d'œuvre qui, tout en suivant la loi du marché, n'a pas encore atteint le niveau des autres provinces, mais on peut dire qu'il a été beaucoup fait, surtout dans ce qui relève de l'inspiration volontaire.

Pour ce qui est des ouvriers, ils ont toutes les qualités de leur état, l'aptitude, l'habileté de main, le goût des travaux, délicats unis à une

patience exemplaire. C'est bien la trempe allemande dans ce qu'elle a de tranquille et de réfléchi. Dans les jours troublés, il y a eu parmi eux quelques orages; ces orages n'ont pas duré; ils étaient plus visibles dans les scrutins électoraux que dans les ateliers et dans les rues. Le flegme du tempérament l'emportait sur les émotions d'une agitation un peu artificielle. Il n'y avait rien là de l'impétuosité de l'ouvrier anglais, qui va droit à son but sans que rien ne l'en détourne, qui ne se fie qu'à lui-même et ne se croit bien servi que par ses mains, qui calcule froidement ce qu'il pourra arracher à son patron, soit en augmentation de salaire, soit en diminution d'heures de travail, se concerte pour cela, emploie l'inertie quand la violence le trahit, souffre, se prive, attend jusqu'à ce qu'on capitule ou qu'il soit lui-même obligé de capituler. Ces duels à armes égales, qui de temps en temps éclatent chez nos voisins, la France ne les connaît pas; ses lois et ses mœurs les repoussent. L'Alsace en aucun cas ne s'y prêterait. On peut en juger par la Suisse, avec laquelle elle a tant d'affinités de caractère, et où les institutions les plus libres n'ont jamais amené de conflit industriel. Puis l'assiette même de la manufacture est un préservatif; les établissements qui occupent les débouchés des Vosges sont défendus par leur isolement; ceux qui sont situés dans le voisinage des villes recrutent en partie leurs ouvriers dans la campagne, d'où ils arrivent chaque matin pour y retourner chaque soir. Ce mélange de l'élément rural tempère ce qu'il y a d'un peu vif dans l'esprit des populations urbaines. Enfin, là plus qu'ailleurs, les meilleures influences du travail commun se sont dégagées des inconvénients qui l'accompagnent. Ce régime traite, il est vrai, l'homme un peu militairement et exclut l'indépendance des allures, mais il distribue mieux la tâche, règle mieux l'emploi du temps, ne laisse point de prétexte au caprice, supprime ces petits détournements de matières dont beaucoup de consciences s'accommodaient, permet d'entrevoir, au bout d'un service plus fructueux, une élévation constante dans le salaire, et, par le respect de la discipline, dispose les hommes à apporter dans leurs actes personnels une régularité dont ils ont, dans leurs travaux, reconnu les avantages et contracté l'habitude. Voilà, pour l'Alsace et les départements voisins, les vues générales que présente l'industrie du coton; je vais passer aux détails, et commencerai par Mulhouse.

(Extrait du Compte rendu de l'Académie des sciences morales et politiques, publié par M. Ch. Vergé.)

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L. REYBAUD.

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L'enregistrement, dans son ensemble, est une institution financière et civile qui forme une branche importante du revenu public; mais cette institution a ce caractère spécial entre les autres impôts, qu'elle touche de tous les côtés au droit civil, et par des points souvent si délicats, que l'on peut compter, suivant M. Laferrière, plus de 2,500 arrêts de la cour de cassation sur des matières d'enregistrement. Aussi, un savant jurisconsulte de nos jours a-t-il dit : « La loi sur l'enregistrement est, pour nous autres légistes, la plus noble ou pour mieux dire la seule noble entre toutes les lois fiscales (2). » A quoi un financier allemand a cependant répondu que les difficultés juridiques auxquelles donne lieu l'impôt de l'enregistrement lui enlèvent une partie de ses avantages financiers.

L'origine historique des droits de mutation, en France, paraît remonter à la féodalité (3); on en trouve la trace aux x et XI° siècles; les historiens du Languedoc citent des monuments de l'an 956 et de l'an 1079, qui prouvent que déjà les seigneurs percevaient des droits sur les transmissions de propriété. Les lods et ventes étaient perçus sur l'aliénation des censives; les droits de quint sur l'aliénation des fiefs; les droits de rachat étaient exigés pour les successions roturières; les droits

(1) Voir la livraison de décembre 1860.

(2) Troplong, article de la Gazette des Tribunaux, cité par Dalloz et par Block, p. 760, Dict. d'Administration.

(3) Championnière et Rigaud, Introduction, § 23, Traité des droits d'Enregistrement, de Timbre, d'Hypothèques, etc.

de relief pour l'investiture et la succession des fiefs; l'usage, favorisé par les jurisconsultes coutumiers qui souvent luttaient contre la féodalité, affranchit cependant des droits seigneuriaux les transmissions en ligne directe. Le droit naturel fut plus fort sur ce point que le droit féodal (1).

La jurisprudence féodale, pour garantir l'efficacité des droits, exigeait l'exhibition des titres d'aliénation et la déclaration des successions en l'absence de l'une ou de l'autre, elle autorisait la preuve des mutations secrètes.

Les droits de mutation qui portaient sur tous les biens nobles ou roturiers, et qui n'épargnaient que les biens possédés en alleu, alimentaient le fisc des seigneurs qui s'en étaient toujours montrés fort avides. La fiscalité royale s'instruisit des exemples de la fiscalité féodale et l'on vit successivement s'établir dans la législation française les droits de contrôle, d'insinuation et de centième denier, établis ou développés par divers édits de 1581, 1693, 1699, 1703, 1708, 1722. Les droits de contrôle ne représentaient dans l'origine que le salaire de la formalité du contrôle, dont le but était d'assurer la fixité de date des contrats et d'empêcher les effets de la mauvaise foi.

Mais si l'intérêt du justiciable fut toujours mis en avant, ce but « indiqué, dit M. Dalloz, par le législateur dans l'édit de 1693, qui organisait le contrôle, et répété dans la loi de 1790, ne fut qu'une déception et il a été entièrement perverti par l'élévation progressive du droit fiscal, qui fût resté une institution éminemment utile s'il n'eût été que le salaire en quelque sorte des officiers préposés à l'enregistrement des actes intéressant les citoyens. »>

Cette sorte d'hypocrisie ne fut pas le seul défaut des droits de contrôle, d'insinuation et de centième denier, sur les détails et la distinction desquels il serait peut-être fastidieux de s'arrêter, et qui n'étaient pas les seuls qui grevassent les actes et les mutations, puisqu'on percevait encore d'autres droits fiscaux sous les noms d'ensaisinement, de droits réservés, droit de nouvel acquét, etc. Dans cette multiplicité de droits, il y avait une cause incessante d'abus. « Et, toutefois, ajoute M. Dalloz, ces abus s'accrurent encore lorsque les droits de contrôle et de centième denier furent compris dans la ferme générale. La perception se trouva dès lors soumise à des règles obscures, incomplètes, arbitraires, et il y eut un désordre dont Malesherbes, dans ses remontrances au roi au

(1) Dalloz, Jurisprudence générale, v. ENREGISTREMENT.

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