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nom de la cour des aides, en 1775, a retracé le tableau en ces termes : Votre Majesté saura que tous les droits de contrôle, d'insinuation, de « centième denier, qui portent sur tous les actes passés entre les citoyens, s'arbitrent suivant la fantaisie des fermiers ou de leurs préposés, que les prétendues lois sur cette matière sont si obscures et si incomplètes, que celui qui paie ne peut jamais savoir ce qu'il doit; que souvent le préposé ne le sait pas mieux, et qu'on se permet des <interprétations plus ou moins rigoureuses, suivant que le préposé est ⚫ plus ou moins avide; qu'il est notoire que tous ces droits ont eu sous un fermier une extension qu'ils n'ont pas eu sous d'autres. D'où il • résulte évidemment que le fermier est le souverain législateur dans les matières qui sont l'objet d'un intérêt personnel; abus intolérable et qui ne se serait jamais établi si ces droits étaient soumis à un tribunal, quel qu'il fût; car, quand on a des juges, il faut bien avoir des lois fixes et certaines. >>

Malesherbes conclut en disant : « Un impôt établi sous le spécieux ⚫ prétexte d'augmenter l'authenticité des actes et de prévenir les < procès, force souvent vos sujets à renoncer aux actes publics et les ⚫ entraîne dans des procès qui sont la ruine de leurs familles (1). > Les droits de contrôle n'étaient point assis non plus d'une manière proportionnelle dans l'ancien régime :

Le contrôle, disait un auteur du dernier siècle (2), est fixé par l'art. 3 du tarif à 5 livres pour cent pistoles, sur les sommes qui sont au-dessous de 10,000 livres; ce qui monte à 7 livres 10 sols, en y comprenant les 10 sols par livre; et ce droit est réduit à 20 sols par cent pistoles, au-dessus de dix mille livres; ce qui fait 30 sols, en y comprenant les 10 sols par livre. »

« Les conventions des pauvres gens du peuple sont toujours audessous de 10,000 livres; ils sont donc assujettis au droit de 7 livres 10 sols par 1,000 livres.

Et les riches qui sont ordinairement ou nobles ou privilégiés et dont les conventions ont le plus souvent des objets de valeur au-dessus de 10,000 livres, ne sont taxés qu'au cinquième des pauvres... »

(1) Essai sur la vie, les écrits et les opinions de Malesherbes, par M. le comte de Boissy d'Anglas, t. I, p. 266; Dalloz, v. ENREGISTREMENT, Jurisprudence générale, t. XXI.

(2) Gaultier de Biauzat, dans ses Doléances sur les surcharges que les gens du peuple supportent en toute espèce d'impôts, etc. 1788, in-8°, p. 220.

«Et lorsqu'il y a absolue nécessité de procéder par actes authentiques, les riches ont recours aux notaires de Paris qui ont le privilége d'exempter du droit de contrôle, au moyen d'un autre droit, connu dans cette communauté sous le nom de timbre, et qui produit le centième au plus de ce que le droit de contrôle produirait au trésor royal (1). »

Un autre écrivain disait aussi, en parlant du contrôle et du centième denier, au moment de la Révolution: «Que d'abus à réformer! que de prévarications à dévoiler! La suppression des rangs et des titres exige ⚫ un nouveau tarif et le chaos ténébreux des agents de la ferme appelle << le scalpel de la réforme (2). »

L'Assemblée constituante réagit, au point de vue historique et au point de vue économique, contre le régime des impôts de l'ancienne monarchie.

Elle réagit contre le régime féodal, en abolissant de suite tous les droits qui représentaient l'ancienne servitude, la féodalité dominante; quant aux droits qui se rattachaient aux conventions et qui représentaient la féodalité contractante, comme les lods et ventes, les droits de rachat et autres, qui étaient appelés droits casuels, et qui constituaient vraiment des impôts de mutation au profit des seigneurs, l'Assemblée nationale procéda non par voie d'abolition, mais par voie de conversion et d'indemnité. L'Assemblée constituante maintint donc, au profit des exseigneurs, les droits de lods et ventes et autres droits casuels; seulement elle en autorisa le rachat. (Décret du 15 mars 1790.) L'Assemblée législative abolit les droits casuels, à moins qu'ils ne fussent la condition et le prix de la concession primitive. (Décret du 18 juin 1792). La Convention effaça toute distinction et supprima tous les droits et redevances par le fameux décret du 17 juillet 1793 qui ordonnait que les titres féodaux seraient brûlés sur la place publique.

Mais si l'Assemblée constituante avait maintenu les lods et ventes, elle attaqua fortement les doctrines de la ferme générale en matière de contrôle, d'insinuation et de centième denier.

Le décret du 5 décembre 1790 constitua l'enregistrement. Le but que la loi se proposait expressément était de soumettre les actes des

(1) Ibid. p. 225. L'auteur ajoutait que le droit de timbre était à Paris de 19 sols par feuille, ce qui faisait 15 sols et quelques deniers de plus que le timbre qui se percevait sur les provinces.

(2) Exposition de l'état où se trouve le département du Cantal, ci-devant la Haute-Auvergne, relativement aux impositions, etc., par F. Leygonye, 1790.

notaires et les exploits des huissiers à cette formalité, pour assurer leur existence et constater leur date. Le décret comprenait, sous le nom d'enregistrement, les droits d'actes et les droits de mutation; mais il reposait sur une base toute nouvelle, en ce que les conventions écrites et les mutations par décès étaient seules frappées de l'impôt : les mutations secrètes n'étaient soumises à aucune investigation; les actes sous seing privé, mentionnés en d'autres actes, ne pouvaient donner lieu à des recherches et des droits; ils n'étaient assujettis à l'impôt qu'au moment de la présentation à l'enregistrement. Du reste, la loi de 1790 divisait en trois classes les actes soumis à son tarif: dans la première étaient compris tous les actes concernant des valeurs déterminées et imposés au droit proportionnel, depuis 5 sols jusqu'à 4 livres pour 100 livres; dans la seconde étaient rangés tous les actes portant sur des objets non évalués, comme les contrats de mariage, les testaments, et le droit était établi à raison du 15° du revenu des contractants, évalué d'après la cote d'habitation; enfin les actes de simple formalité, fournis à un droit fixe, formaient la troisième classe.

La loi de 1790, comme beaucoup d'autres lois de la même époque, était plus favorable aux citoyens qu'à l'État. On sentit plus tard le besoin de la modifier.

L'objet de la loi de vendémiaire an VI, entre autres dispositions de garantie pour le Trésor, était d'atteindre les mutations sans actes, quand il y avait présomption légale de mutation. La mutation pouvait être établie d'après l'art. 33, soit par des paiements de contribution foncière, soit par des baux, soit par tous autres actes ou transactions constatant la propriété ou la jouissance nouvelle. C'était un premier retour aux principes anciens, et c'était, en même temps, une transition à la loi fondamentale du 22 frimaire an VII.

La loi de l'an VII avait pour but « d'étendre la contribution du <droit d'enregistrement à toutes les mutations qui en étaient suscepti⚫bles, d'en régler les taux et quotités dans de justes proportions, afin ⚫ d'améliorer les revenus públics.

Elle a refondu et abrogé toutes les lois antérieures (art. 73); elle n'a pas donné à l'enregistrement, comme le décret de 1790, l'effet de constater la date des actes notariés, date qui résulte suffisamment de l'authenticité des actes; mais seulement la date des exploits, des procès-verbaux et des actes sous seing privé. L'objet de l'enregistrement à l'égard des actes notariés est d'en assurer l'existence et d'en com-pléter l'authenticité; c'est d'ailleurs dans ce sens que la cour de cas

sation s'est prononcée par arrêt du 23 janvier 1810. Dupont (de Nemours), dans une lettre à J.-B. Say, où il parle de la part qu'il a prise aux modifications apportées dans le système des impôts par l'Assemblée constituante, dit : « J'ai conservé l'enregistrement, parce qu'il donne aux actes une date authentique, et que, pour son paiement, c'est le contribuable qui va chercher le percepteur et non le percepteur qui poursuit le contribuable. »

Ce dernier point est en effet un des avantages des droits d'enregistrement et mérite d'être signalé.

La loi du 22 frimaire an VII atteint les mutations sans actes et reproduit en grande partie l'ancien droit, sauf l'injustice des taxations arbitraires flétrie par Malesherbes.

Le droit actuel repose sur la loi de l'an VII et sur la loi additionnelle du 27 ventôse an IX, pour les bases de la perception et pour ce qui regarde l'application des principes du droit civil; c'est là ce qui constitue aujourd'hui le code de l'enregistrement. Mais le tarif des droits de l'an VII a été modifié ou augmenté par les lois successives des 28 avril 1816, 15 mai 1818, 16 juin 1824, 21 avril 1832 et 24 mai 1834. Une loi de 1849 a créé une sorte de droit d'amortissement pour les biens dits de mainmorte, dont nous avons déjà parlé à propos de l'impôt foncier.

L'enregistrement est une formalité qui consiste dans la relation d'un acte civil ou judiciaire ou d'une mutation sur un registre à ce destiné par la loi.

La forme matérielle et les effets de l'enregistrement ont été spécialement étudiés dans la seconde partie du savant traité de MM. Championnière et Rigaud. L'étude de cet ouvrage consciencieux montre assez quel a été le développement d'idées spéciales occasionné par l'application de cet impôt de l'enregistrement, dont les rapports avec le droit civil marquent le caractère propre dans l'ensemble de nos lois fiscales. Les droits d'enregistrement sont ceux que l'État perçoit sur les actes civils ou judiciaires et sur les transmissions de propriétés mobilières ou immobilières.

La formalité de l'enregistrement a deux objets :

1° Un service public dans l'intérêt des contractants, des tiers, des parties plaidantes et de la Société en général.

2o La constitution d'un impôt dans l'intérêt de l'État.

Le caractère obligatoire de la formalité doit être considéré différemment, suivant la forme et la nature des actes.

L'enregistrement est légalement obligatoire, après certains délais, lorsque les actes émanent de certains officiers publics (art. 20 de la loi de l'an VII), et aussi dans les cas de mutation de propriété ou d'usufruit, à savoir:

1° En cas de mutation de propriété immobilière ou d'usufruit d'immeubles, à titre gratuit ou onéreux, dans le délai de trois mois. (Loi de l'an VII, art. 22.)

2o En cas de successions légitime, testamentaire et contractuelle, pour les biens mobiliers et immobiliers, dans le délai de six mois. (Article 24.)

Il n'y a point de délai de rigueur pour l'enregistrement des autres actes, qui doivent seulement être enregistrés préalablement à tout usage devant la justice ou toute autre autorité constituée. (Art. 23).

La mutation des immeubles en propriété ou en usufruit peut, du reste, être établie indirectement par des présomptions à l'égard desquelles l'art. 12 de la loi de l'an VII reproduit presque textuellement l'art. 33 de la loi de l'an VI.

La cause des droits seigneuriaux de lods et ventes, de rachat et de relief, était la nécessité féodale de l'ensaisinement et de l'investiture, c'était la nécessité du consentement du seigneur à l'aliénation, à la transmission des biens, selon le droit coutumier. Les droits de mutation et de succession, « en passant du seigneur féodal à la société, ont ⚫ grandi de toute la différence de l'intérêt privé à l'intérêt public, de ⚫ l'exploitation de l'homme par l'homme à la contribution du citoyen. » (Laferrière, Histoire du Droit français, t. II, p. 49.) La société qui s'est appropriée les droits de mutation de l'ancien régime ne les appuie donc pas sur la même base : nous retrouvons ici un élément qui entre dans la base constitutive de tous les impôts, la protection publique, qui se trouve en quelque sorte dans la racine de l'impôt, comme l'intérêt public est dans le profit de sa perception et de son application. La propriété naturelle et civile, dans ses mouvements et ses transmissions, a besoin de la protection sociale, et l'impôt des mutations représentées par des actes, déclarées ou autrement prouvées, peut, jusqu'à un certain point, être considérée comme le prix de cette protection grossi par la pensée fiscale, qui a cru pouvoir saisir le capital dans sa circulation comme dans sa possession stable. C'est au moment où l'héritier du sang, le successeur testamentaire ou l'acheteur vont profiter d'un capital ou d'une propriété nouvelle, que la société réclame une sorte de prime pour la garantie publique de la mutation ou, en tout cas, un prélève

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