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de tous les moyens, y compris le canon Armstrong; que, dans cette organisation économique et politique, les Sociétés de secours mutuels, subventionnées par l'État et par la classe riche, pas plus que les nombreuses institutions charitables, ne sont pas destinées à suppléer à l'insuffisance de la rémunération du travail; que la taxe des pauvres, en particulier, doublée des vorkhouses, ces galères industrielles, est un témoignage éclatant des bienfaits dus à la tutelle de l'État; enfin, que cette misère du peuple anglais, dont les feuilles publiques enregistrent, en ce moment, les navrants détails, atteste, non pas un vice radical dans l'organisme social, mais bien l'imprévoyance des ouvriers, qui croissent et multiplient, au mépris des préceptes préconisés par Malthus. Mais il est temps de clore ce débat qui, comme vous le faites justement observer, exigerait un volume rien que pour discuter les principes sur lesquels il repose, et que nous envisageons, chacun de notre côté, à des points de vue opposés. Cependant, je ne terminerai pas ma lettre sans dire quelques mots de la question personnelle, ainsi que je m'y suis engagé.

:

J'ai fait, monsieur, de votre livre, comme de tous ceux dont je me suis chargé de rendre compte, non pas la «<lecture incomplète » que vous supposez, mais bien la lecture attentive» que vous désirez j'en ai annoté chaque page, suivant mon habitude en pareille occasion; et c'est précisément parce que j'ai pu comparer certaines doctrines, rapprocher certains passages de cet ouvrage considérable que j'ai été amené à reconnaître que vous tirez des conclusions contraires à vos prémisses. Je vous ai vu, à la fois, libéral par instinct et partisan de la réglementation officielle par préjugé, par respect humain, si je puis dire, de crainte de choquer des opinions émises par les maîtres de la science; j'ai trouvé, dix fois, qu'après avoir affirmé la règle, vous la reniez par les exceptions; et que, ne pouvant faire accorder la théorie avec la pratique, vous vous en prenez aux principes, plutôt que d'accuser l'application d'être en defaut. Permettez-moi d'ajouter que le soin que vous avez pris de puiser à de nombreuses sources, pour composer la partie d'érudition de votre ouvrage, a pu jeter dans l'ensemble une confusion que vous ferez disparaître, j'en suis certain, dans une prochaine édition.

En écrivant l'article qui n'a pu obtenir votre complet assentiment, de même qu'en répondant aujourd'hui à la lettre où vous vous plaignez de mon appréciation, je n'ai pas eu la ridicule prétention de parler ex, cathedra; je n'admets pas que le critique soit un juge et l'auteur un accusé, bien que vous acceptiez, pour votre compte, cette double situation : l'un et l'autre, à mon avis, sont deux ouvriers travaillant à la même œuvre, et qui ont intérêt à s'éclairer mutuellement. C'est pourquoi, si je n'ai pas un respect superstitieux pour les autorités, si je ne donne pas, à tout propos, un coup de chapeau aux gros bonnets, je n'en suis pas moins désireux d'apprendre de ceux qui savent, et toujours prêt à tenir grand compte de l'opinion de ceux de mes pairs qui ont pensé autrement que moi. Je ne puis donc pas trouver mauvais que vous en appeliez, de mon examen, à celui de mes confrères dont vous êtes satisfait. Puisque nous vidons la question personnelle, me sera-t-il permis de dire un mot des récriminations dont vous me faites l'objet? Je ne veux relever que deux de ces accusations.

Je pourrais d'abord me plaindre, à mon tour, que vous ayez lu mon travail 2a SÉRIE. T. XXIX. — 15 février 1861.

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au moins avec distraction. En effet, après avoir posé le cas d'une Société dans laquelle l'intérêt du capital s'élève au détriment du salaire du travail, j'ai dit: «Ne sera-ce pas, alors, faire acte d'injustice que d'attribuer à l'imprévoyance des classes laborieuses la responsabilité des souffrances qu'elles auront à endurer; et acte de folie que de les engager à prélever, sur l'insuffisante rémunération de leur travail, une part pour les jours de chômage, de maladie et de vieillesse?»> Vous avez reproduit isolément cette phrase, en soulignant les mots acte de folie et en supprimant l'adjectif insuffisante. Par suite de ce grave oubli, vous me faites dire une énormité que vous avez raison de trouver déplacée dans le Journal des Économistes, mais qui, heureusement, n'est pas de mon fait.

Par malheur, en continuant la citation, il arrive que vous en changez encore le sens, sous l'influence de la même et fâcheuse préoccupation. J'avais écrit : « Qui ne voit que l'épargne du pauvre, prélevée sur ses besoins les plus impérieux, comme l'assistance du riche, reposant sur une partie de son superflu, constituent un expédient à courte portée d'abord, et destiné à aggraver le danger à mesure qu'il en sera fait une plus large application?» Vous avez lu, tout simplement, que je « trouve dans l'épargne du pauvre, comme cela est constant pour l'assistance, un expédient à courte portée, etc.» Les mots prélevée sur ses besoins les plus impérieux étaient assez importants pour ne pas être omis, ce me semble. Après cela, comme cette phrase est le complément de la première et exprime la même idée, peut-être les avez-vous retranchés par suite de la méprise qui vous avait fait déjà oublier le mot insuffisante, dans la première partie de la citation.

Le second point sur lequel j'ai à réclamer le bénéfice, sinon d'une citation plus exacte, du moins d'une lecture plus attentive, est celui relatif à cette mienne opinion, que si l'existence de la misère tient à ce que chacun ne peut pas se procurer par son travail tout ce qui lui est nécessaire, c'est qu'il existe un vice dans l'établissement de la société, et que, dans ce cas, il faut demander les mesures préventives de la misère non pas à la vertu des associés, à la charité, mais à la constitution de l'État. En reproduisant cette pensée, vous déclarez que « les partisans les plus passionnés de l'État-Providence, ceux qui attendent tout d'un décret, doivent en être jaloux. Évidemment, la rapidité de la lecture a nui à l'intelligence de la phrase; tout mon travail témoigne assez que je ne suis pas de ceux, Dieu merci, qui estiment qu'un décret peut, mieux que le vote de la majorité des représentants de la nation, lui donner de libres, de morales et de fécondes institutions.

Vous voyez, monsieur, qu'il vous a été un peu plus difficile de lire attentivement un article de 15 pages qu'à moi un livre de 550; et qu'alors même que je me serais trompé sur vos doctrines économiques, je pourrais vous présenter une excuse que vous ne pourriez pas ne pas accueillir.

A. LEYMARIE.

Le crédit communal en Belgique.

Nous avons annoncé dans la précédente livraison du Journal des Économistes (p. 1441-2) la fondation en Belgique d'une Société de Crédit communal, autorisée par arrêté royal du 8 décembre 1860, et nous avons accompagné de quelques observations critiques le résumé de ses statuts. En réponse à ces observations, le très-honorable M. FrèreOrban, ministre des finances à Bruxelles, veut bien nous faire parvenir quelques éclaircissements avec demande d'insertion. Nous nous empressons de déférer à cette demande fort légitime. Voici les éclaircis

sements :

. . . . M. Horn trouve que les statuts de l'institution, dont il reconnaît, du reste, la haute utilité, présentent des lacunes.

M. Horn demande si la Société, qui est autorisée, par l'article 7 de ses statuts, à émettre des obligations, les négociera elle-même, et remettra aux actionnaires emprunteurs de l'argent comptant, ou si les prêts seront faits en obligations, comme cela se pratique par le Crédit foncier de France.

Il fait observer que l'article 5, qui autorise le transfert des actions, ne dit pas si ce transfert peut avoir lieu seulement entre sociétaires.

Il ne rencontre dans les statuts aucune disposition concernant l'étendue des opérations de la Societé, et il se demande si, du moment qu'elle ajoute à son capital de garantie 5 0/0 de chaque emprunt, elle peut aller à l'infini dans la voie des émissions; enfin, si la commune une fois admise comme actionnaire, peut réclamer de la Société à titre de prêt toutes les sommes dont elle aurait ultérieurement besoin.

⚫ Finalement, M. Horn est d'avis que les statuts ne s'expliquent pas suffisamment sur la nature et le caractère des établissements mentionnés aux articles 2 et 22.

Nous allons répondre dans le même ordre à ces objections.

1o La Société se procure les fonds par souscription, adjudication ou soumission publique. Ces divers modes d'emprunts sont, indiqués par le paragraphe 3 de l'article 7; c'est assez dire qu'elle négocie elle-même les obligations et que l'actionnaire emprunteur reçoit des espèces.

2o Les emprunteurs pouvant seuls posséder des actions, aux termes de l'article 5, et nul établissement communal ou autre ne pouvant participer à l'emprunt s'il n'est admis comme sociétaire, c'est-à-dire actionnaire (art. 2, 5 et 21), il en résulte incontestablement que pour pouvoir acquérir des actions, il faut étre membre de l'association; or ne peuvent être membres que les provinces et les communes.

Mais, objectera-t-on peut-être, que signifie alors le 2 paragraphe de l'article 5? Il signifie tout simplement que la province ou la commune qui, au moyen de l'amortissement, se sera libérée d'une bonne partie de sa dette, aura la faculté de transférer une partie proportionnelle de son avoir social à une commune nouvellement admise comme actionnaire dans le but de contracter un emprunt. Sans cette faculté de transfert, ainsi circonscrite, c'est-à-dire si

l'action devait rester inaliénable pendant toute la durée du prêt, on arriverail à ce résultat que la commune, au lieu d'être actionnaire dans la proportion seulement de 1/20 de sa dette (art. 6), verrait finalement son avoir social excéder ce qu'elle doit à la Société.

« 3° L'article 21 répond, paraît-il, suffisamment à la troisième observation :

« Les membres de l'Administration et du Comité de surveillance réunis for«ment le Comité d'admission des provinces, des communes et des établisse«ments pour contracter des emprunts. »

« On le voit la qualité d'actionnaire ou d'associé n'implique aucunement pour la Société l'obligation de fournir à la commune tous les capitaux que celle-ci aurait été autorisée à emprunter.

« Pour chaque emprunt, il est nécessaire que le comité d'admission statue. L'article 22 consacre, à la vérité, une exception à ce principe, mais la délégation dont s'occupe cet article ne dispense point la commune de l'autorisation du gouvernement. Cette autorisation une fois obtenue et les dispositions des articles 21 et 22 observées, des obligations peuvent être négociées par la Société à concurrence du montant des emprunts communaux, ou de vingt fois le capital de garantie; cela résulte implicitement de la combinaison des articles 6 et 8.

<< Pour l'intelligence des articles 21 et 22, en ce qui concerne la signification du mot établissement, il faut ne pas perdre de vue l'article 2, d'après lequel la Société a pour but de faciliter les emprunts des provinces et des communes, ainsi que ceux garantis par elles.

<< Il s'agit exclusivement d'emprunts provinciaux et communaux, et d'emprunts à l'égard desquels celles-ci accordent leur garantie. Or, les communes. les provinces ne seraient autorisées à prêter cette garantie, c'est-à-dire à s'obliger, que pour des dettes concernant des établissements qui dépendent de la commune, des établissements communaux et provinciaux, tels que hospices, bureaux de bienfaisance, dépôts de mendicité, caisses d'épargne, lombards, etc.

<«< Ainsi, nul établissement privé ne serait admis à l'emprunt, car la commune ne pourrait se constituer garant envers la Société, et l'article 2 est essentiellement limitatif il n'autorise les emprunts des établissements que moyennant cette garantie de la commune ou de la province. >>

Que notre très-honorable correspondant veuille bien agréer nos plus sincères remerciements! C'est une simple avance que nous faisons : le public belge, et surtout les communes et provinces, actionnaires prédestinés de la nouvelle Société, nous les rendront amplement pour avoir provoqué ces explications. Elles n'étaient pas de trop pour suppléer au laconisme des statuts officiels. En lisant, par exemple, cet innocent alinéa 2 de l'article 5, ainsi conçu: «Le consentement du conseil d'administration est nécessaire pour tranférer les actions, » personne n'aurait imaginé que cela «signifiait tout simplement-tout ce que les bienveillants éclaircissements de notre honorable correspondant veulent faire entrer; personne n'aurait deviné surtout qu'il s'agit « de la pro

y

vince ou de la commune, qui, au moyen de l'amortissement, se sera libérée d'une bonne partie de sa dette. »

N'était la crainte de paraître trop exigeant ou trop inintelligent pour deviner quoi que ce soit, nous nous plaindrions de l'expression, en cet endroit trop élastique, de « une bonne partie. » Est-ce un quart, un tiers, la moitié ou les quatre cinquièmes? Pour éviter toute contestation ultérieure, il serait bon de le savoir, surtout si la stipulation d'après laquelle la commune ou province cède ses actions à mesure du remboursement de sa dette, doit être obligatoire. Elle saurait difficilement l'être, il est vrai, parce que les statuts ne disent rien d'une pareille « obligation, » parce que les éclaircissements ne parlent de même que d'une « faculté, » parce qu'on pourrait bien ne pas avoir toujours Sous la main une commune nouvellement admise qui prenne les actions devenues disponibles par l'acquittement partiel des dettes d'une autre commune. Mais si ces transferts ne sont pas obligatoires, comment éviter que la commune «voie finalement son avoir social excéder ce qu'elle doit à la Société?» Comment assurer la réalisation de cet autre but de l'entreprise, d'après lequel les bénéfices (dividendes des actions) ne devraient jamais aller qu'à ceux qui fournissent ces bénéfices, savoir, aux débiteurs de la Société?

Je n'hésite pas à donner une nouvelle preuve d'inintelligence en avouant que le point 3° dans les éclaircissements de notre très-honorable correspondant ne me paraît pas trop clair. Je viens de relire l'article 24 et crois toujours qu'il s'agit là de l'admission comme sociétaire - on n'est sociétaire que «pour contracter des emprunts » - des communes, provinces et établissements qui sollicitent cette admission; il ne s'agit pas de l'autorisation pour chaque emprunt en particulier. N'importe en ce dernier cas encore, ni les statuts, ni les éclaircissements ne nous renseignent sur l'étendue que peuvent légalement prendre les opérations de la Société. Bien au contraire, la lettre ci-dessus confirme qu'il n'y a pas d'autre limite que l'obligation imposée à la Société d'ajouter à son fonds social 5 0/0 des obligations qu'elle émettra. J'avouerai, au risque d'être taxé de poltron, que cette latitude me paraît grosse d'inconvénients, surtout par le temps qui court, où communes et provinces ne sont que trop portées à abuser des ressources extraordinaires pour faire des dépenses extraordinaires; ce sont pourtant les communes et provinces, c'est-à-dire le Conseil qui les représente, qui auront à décider sur l'étendue des prêts à accorder et des emprunts à contracter! Et si l'on se faisait des complaisances mutuelles en fermant les yeux à tour de rôle?

La question se complique plus encore par l'adjonction des «< établissements. » Les éclaircissements qu'on veut bien nous donner là-dessus n'éclaircissent absolument rien. L'article 2 ne parle que d'emprunts

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