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BULLETIN FINANCIER DE L'ÉTRANGER

SOMMAIRE. Économies sollicitées en Angleterre. - Accroissement continu des depenses publiques en Prusse; le budget militaire. Nouvel emprunt autrichien; la banque de Vienne. — Banque d'État à Saint-Pétersbourg. La panique et la publi

cité.

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La question budgétaire occupera cette année une très-large place dans les discussions des Parlements qui viennent de s'ouvrir ou s'ouvriront prochainement dans les différents pays plus ou moins libres de l'Europe. Notre Bulletin, consacré aux événements de l'étranger, n'a pas à s'occuper des finances de la France; nous nous bornerons à dire que, nonobstant les assurances données dans le discours impérial et dans l'Exposé de la situation de l'Empire, présenté le 5 février au Corps législatif, on n'ose pas trop s'abandonner à l'espoir que M. Forcade, le nouveau ministre des finances, pourra répondre à tous les besoins publics ou réputés tels sans recourir à l'emprunt, ou à l'accroissement de l'impôt, ou enfin à des demandes de crédits extraordinaires. En Angleterre, on s'attend à la présentation d'un budget avec un fort déficit pour 1861, et d'un compte définitif pour 1860 qui clôrait également en déficit, malgré les moyens divers auxquels M. Gladstone avait eu recours l'année dernière pour parer à cette éventualité. On sait qu'au sein même de la chambre des Communes une sérieuse coalition s'est formée pour arrêter le gouvernement dans la voie dépensière où il s'est engagé depuis quelques années et pour le décider à une réduction des dépenses; malheureusement, la réponse faite par lord Palmerston à la requête qui, à ce sujet, lui a été adressée par un certain nombre de députés, ne permet pas d'espérer que cette demande si légitime serait exaucée de si tôt; le langage bellico-pacifique que vient de tenir lord John Russell dans la discussion de l'adresse prête une nouvelle force à ces appréhensions. Et pourtant, les souffrances qu'un hiver court mais rigoureux a fait endurer aux populations britanniques, dans la capitale surtout, les chômages forcés et les privations dont les menace, dans une proportion bien autrement large, la crise nord-américaine, sont des arguments très-puissants en faveur de la diminution des charges publiques.

Les réclamations ne sont pas moins vives en Prusse contre la politique financière en général du ministère Auerswald-Patow, et en particulier contre le budget que le ministre des finances vient de présenter aux chambres. Les finances de la Prusse avaient, jusqu'en 1848, joui du meilleur renom et qui était bien mérité; ce renom s'est maintenu encore dans les années suivantes, parce que, relativement du moins, la situation financière n'était pas en Prusse aussi mauvaise que dans la plupart des autres grands États de l'Europe. Toutefois, ce pays fait son possible pour affaiblir de jour en jour cette différence en sa faveur; pour peu qu'il continue, la proportion se trouvera bientôt renversée. L'accroissement progressif des charges publiques fut inauguré par la réaction

qui, en 1849, s'était emparée des rênes du gouvernement et les avait conservées jusqu'à l'avènement de l'ex-prince régent, aujourd'hui le roi Guillaume Ier; il a été continué sur une échelle plus large encore et systématisé, comme on dirait en Allemagne, par le ministère, pris dans les rangs des libéraux, qui, depuis trois ans, a succédé au cabinet Manteuffel. On en trouvera la preuve dans le tableau que voici :

DÉPENSES

ANNÉES.

RESSOURCES
ordinaires.

DÉFICIT.

1849

1850

1851

1852

1853

1854

1855

1856

1857

1858

1859

1860

ordinaires. extraordinaires. thalers. thalers, thalers. thalers. 85.932.962 5.668.319 85.993.281 5.608.000 88.401.294 4.925.213 88.765.349 4.561.168 90.467.840 3.336.593 93.794.433 90.721.860 3.072.573 93.628.261 3.282.752 96.911.013 94.277.300 2.633.713 98.698.668 3.460.895 101.159.163 97.558.698 3.600.895 103.068.422 4.921.647 107.990.069 103.925.069 4.065.000 105.256.214 4.579.418 109.835.632 103.953.312 4.882.320 110.781.024 5.555.853 116.336.877 113.064.113 3.272.764 115.140.298 5.102.014 120.242.312 120.242.312 120.200.955 6.208.803 126.409.778 123.623.414 8.233.874 131.859.288 130.399.288 1.460.000 124.874.378 5.740.877 135.342.326* 130.312.755 6.029.571

ensemble. thalers. 91.601.281 93.326.567

126.409.778

De 1849 à 1860, les dépenses sont donc montées de 91.6 à 136.3 millions, soit un accroissement de 44.7 millions de th. ou de 48 0/0. Comme bien l'on s'y attend, ce sont surtout les dépenses de guerre, quoique la Prusse, durant ces onze années, n'ait pas fait marcher un seul soldat, qui ont causé cet accroissement rapide; en 1850, le département de la guerre n'absorbait encore que 25,235,585 th. en crédits ordinaires, auxquels s'ajoutait une dépense extraordinaire de 1,319,360 th., qu'il partageait avec le département de la marine; en 1860, le département de la guerre dépense 31,447,247 th. pour ses besoins dits ordinaires, et 1,190,380 th. pour ses dépenses extraordinaires, en dehors du crédit extra-extraordinaire de 5,727,071 th. pris sur les 9 millions votés pour réformes militaires. Ajoutons que la marine prussienne, dont l'existence s'est révélée tout récemment à l'Europe par le rôle de courrier aquatique que la Loreley a joué entre Messine et Gaëte, a vu son budget, assez mince à la vérité, monter dans le même espace de temps de 282,448 th. à 906,732 th., abstraction faite de la somme de 1.1 million de thalers avec laquelle elle figure au budget extraordinaire.

Le gouvernement prussien ne semble cependant aucunement disposé à s'arrêter dans cette voie. Le budget de 1861, qui vient d'être présenté aux chambres tout récemment ouvertes (1), continue la série des déficits que présente le tableau ci-dessus il la continue préventivement déjà, ce qui permet de con

(*) Y compris 5,727,071 thalers consommés en 1860 sur le crédit extraordinaire de 9 millions, voté pour réformes militaires.

(1) Singulière anomalie à laquelle le gouvernement prussien ne veut à aucun prix renoncer le budget de chaque exercice n'est présenté que dans cet exercice même et

clure qu'en réalité le déficit de 1861 dépassera largement ceux des exercices précédents. Le projet de budget de M. de Patow porte les recettes à 135,541,258 th., contre une dépense de 139,966,258, soit donc un déficit de 4,425,000 th. Comparativement au projet du budget de l'exercice précédent, il y aurait un accroissement de 5,166,003 th. aux recettes, et de 9,591,003 th. aux dépenses. Il convient cependant de faire remarquer que, dans cet accroissement présumé des recettes, est déjà compris le rendement de l'impôt de guerre de 25 0/0 voté le 27 juin 1860 pour la durée d'un an, et dont le gouvernement demande la prolongation pour une nouvelle année; il faut encore faire remarquer que, dans l'accroissement présumé des recettes, le ministre fait entrer le progrès naturel de la consommation, compte dont on n'abuse que trop, et qui pourrait bien ne pas se réaliser. Ainsi, le ministre des finances avait calculé, pour l'exercice précédent, que l'accroissement naturel des recettes lui fournirait une somme de 1,500,000 th. environ, dont plus de la moitié resterait disponible pour les dépenses militaires; aujourd'hui nous savons que ce disponible n'a été que de 454,525 th... Au budget des dépenses, ce sont naturellement, cette fois aussi, les dépenses militaires qui enflent le chiffre des charges publiques : le département de la guerre réclame pour 1861 une somme de 38,569,604 th. en dépenses ordinaires, contre 31,447,247 th. votés dans le même but, pour 1860, soit donc un accroissement de 7,122,357 th. Il ne s'agit là que du pied de paix, et le fort accroissement est dû à la « réforme >> que le gouvernement prussien a fait voter l'année dernière et qui est appelée à faire de l'armée prussienne, non la force défensive du pays, mais « l'école où doit être dressée la nation entière pour le métier de la guerre ! » L'opinion libérale est d'avis qu'en forçant ainsi en temps de paix les forces défensives des populations, en argent et en hommes, on a choisi la voie la plus sûre de rendre la Prusse impuissante pour le jour où elle ne pourrait plus éviter de prendre au sérieux les grandes phrases et les grands préparatifs de guerre dont son gouvernement s'amuse lui-même et égaie l'Europe depuis quelque temps.

La remarque est assez fondée et pourrait peut-être se généraliser même ; la situation de l'Autriche offre un frappant exemple de la vérité de cette remarque. Le gouvernement de Vienne a suffisamment éprouvé qu'il lui est absolument impossible d'emprunter dans la guerre et pour la guerre; il vient de s'empresser de profiter des espérances un peu plus pacifiques qui depuis quelque temps surgissent, pour demander au crédit la somme relativement faible de 30 millions de florins. Au fond, c'est plutôt une avance qu'un emprunt qu'il réclame, puisque les obligations à émettre sont applicables pour un cinquième dans chacune des années 1862 à 1866 au paiement des impôts; les conditions sont, en outre, très-favorables, puisque les obligations sont émises à 88 florins et rapportent 5 0/0 d'intérêt, ce qui revient à peu près à 6 0/0. Si l'on y ajoute que l'agio sur les banquenotes est aujourd'hui au delà de 50 0/0, de sorte que les 88 florins en papier-monnaie à payer pour chaque obligation

par conséquent n'est jamais voté que lorsque un quart ou un tiers même de l'exercice s'est déjà écoulé. Cela peut être bien commode pour le gouvernement, mais cela est assurément fort peu constitutionnel.

2 SÉRIE. T. XX/X. — 15 février 1861.

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SOCIÉTÉ D'ÉCONOMIE POLITIQUE

Réunion du 5 Février 1861.

ÉLECTION Élection d'un vice-président.

COMMUNICATIONS: Mort de M. Ferrier et de M. le duc Decazes.

Communication de M. le comte Arrivabene sur le mouvement des idées économiques en Belgique. Lettre de M. Du Mesnil-Marigny au sujet de la dernière séance. DISCUSSION: La Liberté d'enseignement.

M. CH. DUNOYER, membre de l'Institut, a présidé cette réunion à laquelle avaient été invités M. le comte Jean Arrivabene, président de la Société d'économie politique de Bruxelles, se rendant à Turin pour siéger au sein du sénat italien, et M. Jean Stoëssel, de Zurich, docteur en droit.

Conformément à la décision prise dans la dernière réunion, avant l'entretien ne devienne général, il est procédé à l'élection d'un viceprésident en remplacement de feu M. Horace Say.

que

M. le président rappelle que le Bureau a présenté M. Léonce de Lavergne, membre de l'Institut, et demande si quelqu'un a une autre candidature à proposer.

Aucune autre proposition n'étant faite, les bulletins sont recueillis par M. Clamageran, avocat, le plus jeune membre de la réunion. Le dépouillement du scrutin donne sur 31 votants: 24 voix à M. Léonce de Lavergne, 4 voix à M. le comte Hervé de Kergorlay, député au Corps législatif, 4 à M. Dupuit, inspecteur divisionnaire des ponts et chaussées, et 2 billets blancs.

En conséquence, M. le président proclame M. Léonce de Lavergne, membre du Bureau en qualité de vice-président.

Le Bureau de la Société d'économie politique est ainsi composé : Présidents: M. Ch. Dunoyer, membre de l'Institut, ancien conseiller d'État, élu en 1845; M. H. Passy, membre de l'Institut, ancien ministre des finances, élu en 1845.

-

Vice-présidents: MM. Ch. Renouard,'conseiller à la cour de cassation, ancien membre de la Chambre des pairs, élu en 1845; Michel Chevalier, membre de l'Institut, sénateur, élu en 1858, 1845; - Wolowski, membre de l'Institut, ancien représentant, professeur de législation industrielle au Conservatoire des arts et métiers, élu en 1858;

Léonce de Lavergne, membre de l'Institut, ancien député, élu en 1861.

Secretaire-perpétuel M. Joseph Garnier, professeur à l'école impériale des ponts et chaussées, élu en 1845;-Questeur : M. Guillaumin, directeur du Journal des économistes, élu en 1845;

M. Quijano, élu en 1855.

Trésorier:

M. le secrétaire perpétuel mentionne la mort récente de M. Ferrier, l'un des théoriciens de l'école protectionniste. M. Ferrier avait quatrevingts ans. Il avait été directeur des douanes sous la Restauration, pair de France et président du conseil général du Nord, sous le gouvernement de Juillet. Il a écrit quelques brochures et un volume intitulé: Du gouvernement considéré dans ses rapports avec le commerce, ou de l'administration commerciale opposée aux économistes du XIXe siècle. La Are édition est de 1804, contemporaine du Traité de J.-B. Say (1803), qui l'a quelquefois cité et réfuté; la 3o et dernière de 1822. Sa dernière brochure est de 1829, et depuis longtemps il s'était retiré de la polémique.

M. le secrétaire perpétuel mentionne à un autre titre la mort de M. le duc Decazes, ancien ministre du roi Louis XVIII, grand-référendaire à la Chambre des pairs sous le gouvernement de Juillet. C'est sous son ministère, en 1849, que fut instituée, avec son appui, la chaire d'économie politique du Conservatoire des arts et métiers, occupée par J.-B. Say et Blanqui, et supprimée depuis la mort de ce dernier, en 1854.

MM. Dunoyer, Renouard, Michel Chevalier, rendent hommage à la mémoire de M. Decazes, qui a défendu en un temps difficile la cause des libertés publiques, et qui aura certainement, dans l'histoire de la France de la première moitié de ce siècle, une meilleure place que celle qui lui a été faite par ses contemporains.

Sur le désir exprimé par M. le président, M. le comte JEAN ARRIVABENE, président de la Société d'économie politique belge, entretient la réunion des efforts des économistes belges. Cette Société, qui compte dans son sein plusieurs membres habitant les diverses provinces, continue à tenir des réunions trimestrielles qui offrent un grand intérêt. L'association libre-échangiste qui en est issue a de nouveau repris sa propagande, et en ce moment elle convoque des meetings de différents corps de métiers pour traiter la question au point de vue de leur spécialité, et faire signer des pétitions demandant la réforme douanière C'est ainsi que les tailleurs et les cordonniers de Bruxelles ont déjà formulé leur opinion. Il y a cela de remarquable que cette association est composée en grande partie de fabricants et d'industriels, parmi les quels ceux de Verviers se distinguent par le nombre et l'entrain. Ce

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