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Elle comprend 26 articles, elle est divisée en cinq paragraphes. Voici quelle est son économie :

L'article 1er définit ainsi les dessins et modèles de fabrique. « Tout type qui se rapporte à la forme d'un produit industriel et qui peut être identifié avec lui. »

L'article 3 dispose qu'un droit exclusif ne peut être reconnu à des dessins de copie des œuvres d'art d'un autre.

La durée du droit de jouissance exclusive est limitée à trois années, et l'existence de ce droit, d'après l'article 5, est soumise au dépôt préalable à toute mise dans le commerce. Ce dépôt peut être, au choix

du déposant, fait à découvert ou sous enveloppe cachetée.

Le droit privatif n'existe pas pour un dessin déjà connu et mis dans le commerce, soit en Autriche, soit dans les pays étrangers, ou enfermé dans un ouvrage imprimé ou publié, ou lorsqu'il a été enregistré dans un autre pays sous le nom d'un autre, ou enfin lorsque le déposant s'est illégalement attribué le dessin. Telles sont les causes de nullité du dépôt.

Les causes de déchéance sont le défaut d'exploitation du dessin dans le cours de l'année qui suit le dépôt et l'introduction en Autriche, par le déposant, de marchandises confectionnées à l'étranger d'après le même dessin.

Ces dispositions sont, comme on le voit, empruntées en grande partie à la législation qui régit chez nous les inventions brevetées.

Quant à la partie de cette loi relative à la contrefaçon et à sa répression, elle ne présente rien de particulier. L'amende et l'emprisonnement, suivant les cas, sont les peines infligées aux contrefacteurs ou aux débitants des marchandises reproduisant le dessin ou modèle objet d'un droit privatif.

Mais les dispositions qui méritent une attention toute spéciale sont celles qui déterminent les juridictions appelées à connaître des infractions aux prescriptions de cette loi.

La préfecture connaît des contrefaçons en cas de récidive; elle statue sur la nullité du dépôt ou la perte du droit au dessin; elle autorise la saisie préalable des dessins argués de contrefaçon.

Aux juges civils est réservé de statuer sur les demandes en dommagesintérêts et les questions relatives à la propriété des dessins ou modèles. Nous ne voulons pas ici examiner en détail les diverses dispositions de cette loi, nous voulons seulement en indiquer les points les plus saillants.

teur Schwarz, conseiller de Sa Majesté et directeur du consulat général d'Autriche, à Paris, a bien voulu en réviser pour nous la traduction.

La législation autrichienne a évité avec soin de s'appuyer sur cette base incertaine, fragile, d'après laquelle on voulait distinguer, dans le projet soumis en 1847 au pouvoir législatif de France, les productions présentant un caractère artistique de celles qui pouvaient être uniquement considérées comme des produits industriels. Rien ne nous paraît plus fondé à cet égard que la disposition de la loi autrichienne.

Lorsque vous transporterez du domaine de l'art dans celui de l'industrie une conception quelconque, la législation industrielle vous soumettra à son empire. Sans doute il arrivera alors que le droit privatif de reproduction d'une œuvre artistique survivra à celui que la législation industrielle aura déterminé. Mais ce n'est pas là une anomalie qui accuserait un vice radical. Les conceptions purement artistiques sont le fait du génie; elles remontent à la source la plus élevée et la plus noble; n'est-il donc pas juste qu'elles reçoivent une récompense plus durable?

Toutefois, il faut reconnaître que, si le système de la loi autrichienne était adopté chez nous, il ne serait pas exempt de difficultés dans son application. Que deviendrait, en effet, à l'expiration des trois années de jouissance privative garanties par la loi autrichienne, l'œuvre artistique qui aurait reçu une application industrielle? Pourrait-elle être reproduite industriellement par tous? Serait-elle, pour l'industrie, une chose tombée dans le domaine public? ou bien, au contraire, comme production artistique, continuerait-elle d'être une propriété privée dont la reproduction serait interdite?

Dans la législation autrichienne, ces difficultés se présenteront plus rarement, par suite des emprunts que l'industrie est autorisée à faire aux œuvres artistiques, sans se rendre coupable de contrefaçon.

La loi du 19 octobre 1846(1), qui régiten Autriche la propriété littéraire et artistique, accorde à l'auteur, à l'artiste, la jouissance de ses œuvres pendant sa vie, et à ses héritiers pendant les trente années qui suivent son décès; mais cette loi a limité le champ sur lequel les artistes peuvent exercer leurs doits; l'article 9 de cette loi est ainsi conçu:

« Lorsqu'il s'agit de dessins, tableaux, gravures sur cuivre, acier, pierre ou bois, ou de toutes autres productions de l'art du dessin ou de l'art plastique, ne seront pas considérés comme contrefaçon interdite :

« a) Les copies de tout genre qui se distinguent de l'original, nonseulement par la matière employée, la forme ou la grandeur, mais encore par des modifications dans l'exécution, telles que la copie puisse être considérée comme une production originale de l'art;

« b) L'usage que l'on fait d'un ouvrage d'art comme modèle dans les manufactures et fabriques et pour les ouvrages à la main ;

(1) Voir cette loi dans le Code international de MM. Pataille et Huguet.

tions brevetées. Sous Jacques Ir, fut en effet rendu le statut destiné à protéger les inventions nouvelles; en 1787, sous le règne du roi Georges, vient se placer l'acte qui protége les dessins destinés à être imprimés sur les tissus de lin, coton, calicot, mousseline. Quelques années après, en 1798 et 1814, cet acte fut étendu aux modèles et moules de statuettes. Enfin, ces créations du goût se trouvent régies aujourd'hui par des actes assez récents rendus en 1839, 1842 et 1843.

Cette législation est complète. Elle ne proclame, il est vrai, aucun principe de droit; mais on sent, par les classifications qu'elle présente, que c'est la loi d'un peuple entièrement consacré à la pratique industrielle et commerciale.

Le temps, c'est bien pour lui la fortune; aussi le législateur mesure avec calcul et économie la durée du droit privatif qu'il accorde; il entre à cet égard dans de nombreuses distinctions que l'importance des diverses industries paraît lui avoir dictées.

Cette législation divise les dessins en dessins d'ornement et dessins d'utilité. Les seconds ne sont ni des inspirations de l'art ni même des produits du goût; ils occupent néanmoins une large place dans l'industrie, et contribuent assurément à son développement.

La durée du droit accordé aux dessins d'ornementation varie de neuf mois à trois ans. La durée la plus longue protége les dessins exécutés sur le métal, le bois, la poterie, etc., et ceux représentés sur les papiers de tenture, les toiles cirées, les tapis, les châles, les étoffes d'ameublement en lin, coton, laine, soie, poils ou mélanges; mais les dessins qui ne sont qu'imprimés après la fabrication ou le tissage sur des étoffes autres que celles destinées à l'ameublement ne jouissent que du droit le moins étendu. Tous les dessins d'utilité, au contraire, ne forment qu'une seule catégorie et donnent naissance à un droit uniforme d'une durée de trois années.

Cette législation s'applique aux Français d'après l'art. 12 du traité de commerce conclu le 23 janvier dernier, promulgué le 10 mars suivant (4).

Nous voulons faire remarquer, avant d'examiner le caractère de la législation anglaise, que ce traité de commerce ne parle pas des modèles de fabrique; l'art. 12 dit seulement que les sujets des puissances contractantes jouiront, dans les États de l'autre, de la même protection que les nationaux pour tout ce qui concerne la propriété des marques de commerce et des dessins de fabrique de toute espèce.

(1) M. Wolowski vient de publier dans le Journal des économistes, des articles fort intéressants sur les Anciens traités de commerce conclus entre la France et l'Angleterre. Ce sont des extraits de son ouvrage sur les Traités de commerce entre la France et l'Angleterre.

Ces derniers mots comprennent évidemment l'application, par analogie, aux modèles de fabrique, des stipulations renfermées dans ce traité de commerce. Il était difficile, en effet, de désigner nommément les modèles de fabrique, puisque chez nous cette expression n'a aucune consécration légale.

Ce traité est le seul que la France ait conclu pour la protection de nos dessins de fabrique.

La distinction sur laquelle la loi anglaise est fondée présente des avantages qu'il n'est pas possible de méconnaître; elle répond aux intérêts les plus pratiques de l'industrie; elle est facile à établir, et elle comprend dans son cadre toutes les créations industrielles sans exception.

Les hommes les moins experts dans les matières industrielles peuvent en effet, sans difficulté, distinguer le dessin d'ornementation du dessin d'utilité.

Dans le système de la législation anglaise, les créations de l'esprit sc trouvent divisées en trois catégories parfaitement distinctes les inventions brevetées et les créations qui n'affectent que la forme; ces dernières sont divisées en dessins d'ornementation et dessins d'utilité.

Chez nous, avec ce dilemme légal impitoyable qui n'admet dans l'industrie ou que des inventions brevetables ou des dessins qui sont l'œuvre du goût, nous voyons mille produits industriels, futiles si l'on veut, d'une utilité contestable, d'un succès douteux, mais enfin qui sont un produit de la pensée, le fruit de la mode du jour, demeurer sans garantie. Que dire, en effet, de la plupart des produits industriels? Dans quelle catégorie doit-on les ranger? Sont-ce des inventions brevetables? ne sont-ils que de nouveaux modèles de fabrication? Quelle qualification donner à un verre d'eau, c'est-à-dire à un plateau sur lequel se trouvent disposés d'une manière particulière, le verre, le sucrier, le carafon? Que décider au sujet d'une lanterne de forme nouvelle ayant pour objet de projeter une lumière plus vive, d'une tabatière dans le couvercle de laquelle on aura eu l'idée d'incruster une petite boussole? etc., etc.

On comprend, par ces exemples, combien est pratique et vraie cette division intermédiaire des dessins d'utilité. Nous l'avouons sincèrement, nos préférences sont acquises au système que présente la législation anglaise, et voici dans quel sens nous voudrions voir édicter les nouvelles lois industrielles.

Nous ramenons à trois catégories les créations de la pensée : les œuvres littéraires et artistiques produites sans application industrielle; les inventions brevetées, telles qu'elles sont déterminées par notre législation actuelle, sous toutes réserves cependant; enfin les dessins de fabrique.

2 SÉRIE. T. XXIX. — 15 mars 1861.

27

L'expression dessins de fabrique comprendrait tous les dessins appliqués à l'industrie, quelle que soit la matière sur laquelle le dessin serait reproduit, exécuté.

Les modèles de fabrique ne sont que des dessins de fabrique. Cette double classification des dessins et modèles n'a aucun intérêt, ni en théorie, ni en pratique.

Ici viendrait se placer la distinction anglaise entre le dessin d'ornementation et le dessin d'utilité; un piston d'une forme nouvelle lui donnant un jeu plus rapide; un siége dont la forme nouvelle permettra de le plier, de le déplacer plus facilement, ne constituent pas une invention proprement dite; la forme seule est affectée, et cette modification dans la forme ne demande rien au goût, rien à l'ornementation. Une durée de jouissance privative inférieure à celle qui protége les inventions brevetées serait attribuée aux dessins de fabrique.

Ce système enlèverait aux brevets d'invention ce prestige dont on les entoure, prestige menteur qui ne couvre la plupart du temps aucune invention réelle, prestige à l'aide duquel on attire le public, on l'éblouit encore, et on cherche à créer un monopole qui ne repose sur aucun titre sérieux.

Il faut bien le dire, le brevet d'invention est le plus souvent moins la récompense d'une découverte qu'un moyen de spéculation. On prend un brevet pour une chose insignifiante, on fait saisir les produits de ses confrères, on répand la terreur dans cette industrie, et souvent on obtient de ceux qu'on poursuit des concessions telles qu'on arrive ainsi à se créer un monopole, un privilége, et à briser la loi qui proclame la liberté du commerce et de l'industrie.

Ces lois auraient un résultat dont il ne faut pas méconnaître la portée; nous en sommes convaincu, elles moraliseraient l'industrie. Diminuer le nombre des brevets, les réserver pour des découvertes sérieuses, véritables; protéger les dessins d'utilité pendant une courte durée; laisser l'industrie profiter librement de toutes ces modifications de forme, qui ne sont souvent que l'œuvre d'un ouvrier plus habile dans la fabrication d'éléments qui appartiennent à tous, c'est là le but auquel il faut tendre.

Aujourd'hui plus que jamais, l'industrie ne doit plus à chaque pas être entravée dans sa marche par des spéculateurs hardis; elle a besoin d'être secondée dans son élan.

L'art resterait en dehors, au-dessus de cette réglementation, conservant sa noblesse et sa dignité, élevant la pensée et l'esprit, marquant dans la marche des peuples les étapes de la civilisation; ou même, s'alliant à l'industrie, il fournirait ainsi à l'artiste une moisson que, dans notre siècle, personne n'oublie de récolter.

ED. CALMELS.

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