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que nous avons vue nous-même toujours disparaître lorsque quelque grave incident de navigation mettait en question le salut commun.

Qu'un nouvel embarqué n'ait pas, comme à terre, toute la liberté de ses mouvements; que les grandes oscillations du bord dans les gros temps ne le laissent pas agir avec l'aisance d'un vieux marin, nous le reconnaissons; mais, après un certain temps d'embarquement et quelques exercices gymnatisques à bord, il ne tardera pas à avoir le pied marin. D'ailleurs rien n'empêcherait d'éliminer à l'avance, des régiments destinés à combattre sur mer comme sur terre, les quelques soldats affectés par trop violemment du mal de mer; ce sera toujours la grande exception.

D'un autre côté, les combattants n'iront plus se chercher au loin, et les flottes à vapeur en viendront aux mains le plus souvent en vue des côtes, et non loin des ports qui deviendront la base de leurs opérations; enfin, l'un des combattants sera toujours le maître de choisir le temps, et rien ne l'empêchera de réserver, pour cet effroyable jeu des batailles, ces beaux jours où le soleil éclaire une mer immobile.

Rappelons-nous, en terminant, que c'est à l'emploi sur mer de ses puissantes armées que Rome dut un jour le sceptre du monde.

L'Angleterre, que ses innombrables matelots avaient faite sans rivale sur les mers, l'Angleterre, dont la fortune défiait le sort, et qui, pour nous servir de l'expression du poëte, semblait à son gré gouverner le tonnerre, eh bien ! la découverte de la vapeur, dont elle a tant contribué elle-même à étendre la puissance, a suffi pour lui arracher des mains les armes qui faisaient sa supériorité, et rétablir l'égalité des conditions de la lutte.

L'humanité roule éternellement dans un cercle où s'enchaînent les faits mystérieux de sa destinée.

Nous avons dû malgré nous, nous ne saurions trop le redire, effleurer, dans le cours de cette étude, divers sujets dont la discussion réclamerait des développements que ne comporte pas la tâche que nous nous sommes tracée; nous rentrerons dans notre sujet en donnant nos conclusions sans plus d'explications.

Les mesures à prendre pour relever notre marine marchande et lui assurer le rang auquel elle a droit dans le monde commercial, sont à nos yeux les suivantes :

1° Abolir au plus tôt le régime des classes pour l'avenir, c'est-àdire en conservant sur les contrôles les marins qui y sont inscrits jus

qu'à ce jour, et remplacer ce régime par une loi de recrutement analogue à celle de l'armée de terre, ainsi que par un système de primes d'embarquement et de rembarquement.

2o Affranchir des droits d'entrée, pendant cinq ans, les matières premières employées aux constructions navales.

3o Admettre à la francisation pendant cinq ans et au droit de 10 0/0 les navires étrangers.

4o Supprimer dans cinq ans les priviléges de pavillon ainsi que les droits de navigation.

5o Abolir le pacte qui lie la métropole et ses colonies en ce qui concerne la réserve réciproque de leurs marchés.

6° Supprimer dans cinq ans les allocations de prime pour la pêche de la morue et de la baleine.

7° Concentrer sur les forges et chantiers de constructions navales appartenant aux particuliers, et notamment sur l'outillage perfectionné dont ces établissements doivent être pourvus, les primes d'encouragement accordées précédemment au personnel maritime, afin de multiplier en France, pour le cas de guerre, ces établissements et les ressources qu'ils doivent offrir sous le rapport du matériel naval.

JULES ITIER.

Mai 1860.

L'ANGLETERRE EN 1860

D'APRÈS LES DOCUMENTS OFFICIELS.

On trouve, à la page 387 du programme distribué aux membres du Congrès de statistique, qui s'est réuni à Londres le 16 septembre dernier, les observations et la proposition ci-après :

« Les savants ne se procurent que difficilement les documents statistiques étrangers. Ces documents, rédigés à un point de vue exclusivement national, ne sauraient, en outre, être compris dans toutes leurs parties que par ceux qui connaissent non-seulement les langues, mais encore les institutions de toute nature des pays qu'ils concernent. Ils sont, d'ailleurs, généralement très-volumineux, coûtent fort cher à l'État qui les publie, ne peuvent, à ce titre, être distribués avec une libéralité suffisante, et entraînent des frais de transport considérables. Enfin, ils contiennent une foule de détails qui n'ont qu'un très-faible intérêt pour les étrangers.

Ceci posé, le Congrès voudra bien examiner s'il ne conviendrait pas que chaque gouvernement publiât un résumé annuel de ses statistiques officielles comprenant les faits les plus importants et les plus usuels, résumé très-court, très-succinct, sans texte ni commentaires, et pouvant être mis dans le commerce au prix le plus modéré.

« L'Angleterre ayant pris, depuis plusieurs années, l'initiative d'une publication de ce genre, offre au Congrès, comme point de départ de la discussion d'un cadre définitif, le Statistical abstract de 1860. »

Ce document, excellente analyse des statistiques anglaises des dernières années, va nous permettre d'étudier, en quelques lignes, la situation économique de l'Angleterre dans ses manifestations les plus importantes et les plus récentes. Si tous les gouvernements publiaient, conformément à l'invitation qui leur en a été faite par le Congrès, un extrait semblable, il serait possible, il serait facile même, d'offrir chaque année au public, en un petit nombre de pages, un véritable traité de statistique internationale qui mettrait, à un prix modique, sous la main du savant et de l'homme d'État, des renseignements du plus haut intérêt pour l'un, tout à fait indispensables pour l'autre.

§ 1. TERRITOIRE ET VOIES DE COMMUNICATION.

D'après les estimations les plus dignes de foi (la carte trigonométrique des Iles Britanniques n'étant pas encore terminée), le Royaume-Uni possède une superficie de 31.319.205 hectares, dont 13.087.999 pour l'Angleterre, 1.922.991 pour le pays de Galles, 7.987.754 pour l'Écosse, 7.867.751 pour l'Irlande, et 452.890 pour les îles du détroit.

On est frappé de la quantité considérable de terres, soit complétement incultes, soit cultivables mais non cultivées, que les évaluations officielles attribuent aux Iles Britanniques. Ainsi, d'après ces évaluations, l'Angleterre aurait 1.397.730 hectares de terres cultivables mais non cultivées, et 1.317.767 hectares de terres absolument incultes. La surface du domaine agricole y serait de 4.149.001 hectares de terres labourables, et de 6.223.501 hectares de prés et pâtures, soit environ 50 0/0 de cultures fourragères de plus que de cultures céréales.

Pour le pays de Galles, le sol se diviserait ainsi qu'il suit : terres labourables, 360.387 hectares; prés et pâtures, 900.969 hectares; terres cultivables mais non cultivées, 214.475 hectares; terres incultes, 447.160 hectares; superficie totale, 1.922.991 hectares.

Le rapport des superficies non cultivées ou non cultivables est bien plus considérable en Écosse, ce qui s'explique naturellement par la nature essentiellement montueuse du sol. Il existerait, en effet, dans cette partie du RoyaumeUni, sur une superficie totale de 7.987.754 hectares, 3 millions 1/2 (3.449.379 hectares) d'hectares de terres incultes, et près de 2 millions 1/2 (2.407.787 h.) d'hectares de terres non cultivées. Le domaine agricole s'y partagerait presque également entre les terres labourables (1.009.227 h.) et les prés et pâtures, toutefois avec un certain avantage au profit des cultures fourragères (1.121.361 h.).

La situation de l'Irlande est plus favorable. Sur une superficie de près de 8 millions d'hectares (7.987.754), elle ne compte que 977.951 hectares de terres incultes; mais elle renferme encore environ 2 millions (1.982.883) de terres non encore cultivées et qui pourraient l'être.2.180.783 hect. y sont consacrés aux cultures céréales, et 2.725.954 hect. aux cultures fourragères.

Les îles du détroit (île du Man, Jersey, Guernesey), moins favorablement traitées encore par la nature, n'ont, sur une superficie totale de 452.890 h., que 155.268 hect. en culture (dont 44.364 en céréales et 110.904 en prés et pâtures). Le reste comprend 230.447 hect. de terres incultes, et 67.175 hect. non cultivés.

En résumé, les lles Britanniques ont une superficie totale de 31.319.205h., dont 18.826.451 hect. ou 60 0/0 en culture (7.743.762 h. en céréales et 11.082.689 hectares en pâture), et 12 millions 1/2 non cultivés ou non cultivables.

Il faut chercher dans l'histoire et la législation de la propriété privée et communale en Angleterre les causes d'une quantité aussi considérable de terres susceptibles de culture et encore en friche.

Aux termes du seul document officiel qui existe sur la matière et dont la date est déjà ancienne (1843), le territoire de l'Angleterre (pays de Galles compris), d'une contenance approximative de 15 millions d'hectares, était sillonné par 46.661 kil. de routes pavées et à barrières et par 159.264 hil. d'autres routes; en tout 206.925 kil., soit environ 1 kil. par 72 hectares.

On estime que les canaux ont, en Angleterre (avec le pays de Galles), une longueur de 3.540 kil., et les rivières navigables de 2.896 kil.; en tout 6.436 kil. de navigation fluviale naturelle ou artificielle.

Enfin, au 31 décembre 1858, on comptait, dans le Royaume-Uni, 15.295 kil. de railways ayant coûté 8.134 millions ou 531.800 fr. par kil. C'est environ kil. de railways par 2.000 hectares ou 20 kil. carrés. En 1858, le réseau anglais avait transporté 139.193.699 voyageurs, un peu plus de 73 millions de tonnes de marchandises, et 11.326.006 têtes de bétail. La recette brute avait été de 600 millions de francs et la dépense de 292 millions. La recette nette, rapprochée du capital de construction, donne un revenu de 3.77 0/0.

§ 2. POPULATION.

La population de l'Angleterre a doublé de 1801 (9.156.171) à 1851 (18.054.095) ou en un demi-siècle. Son accroissement moyen annuel a été de 129.836 de 1801 à 1811; de 171.814 de 1811 à 1821; de 187.932 de 1821 à 1831; de 198.321 de 1831 à 1841, et seulement de 201.897 dans la dernière période décennale 1841-51. C'est de 1811 à 1821 qu'il a été le plus, et de 1841 à 1851 qu'il a été le moins rapide. L'affaiblissement graduel de la proportion dans laquellej elle a progressé s'explique surtout par les émigrations, d'une part la fécondité étant restée la même, de l'autre la mortalité ayant sensiblement diminué.

L'Irlande présente le spectacle de fortes oscillations dans le mouvement de sa population. Le nombre de ses habitants, après s'être élevé de 5.937.856 en 1811 à 6.801.827 en 1821, à 7.943.940 en 1831, et à 8.175.124 seulement en 1841, est brusquement descendu, par suite de la famine meurtrière de 1846-47 et des fortes émigrations qui l'ont suivie, à 6.552.385. C'est, à 664.000 près, le chiffre de 1811.

La population de l'Écosse, quoique en progrès constant, n'a pas marché d'une allure aussi rapide que celle de l'Angleterre. De 1.678.452 en 1801, nous la trouvons à 2.922.362 en 1841. Son accroissement moyen annuel a suivi, dans les 5 périodes quinquennales de 1801 à 1851, la marche ci-après : 20.559, 26.828,24.673, 27.002. C'est donc de 1841 à 1851 que la proportion de son accroissement a été la plus considérable, tandis que le phénomène contraire s'est produit pour l'Angleterre et surtout pour l'Irlande.

25.328,

Quant aux îles du détroit, elles comptaient 82.810 habitants en 1801, et 145.434 en 1851.

L'émigration joue un rôle considérable dans le mouvement de la population du Royaume-Uni. De 1815, date des premiers renseignements officiellement recueillis, jusqu'au 31 décembre 1859, on a constaté l'expatriation de 4.920.574 personnes. De 1815 à 1829, le nombre moyen annuel des émigrants n'avait été que 24.582; de 1830 à 1839, il s'est élevé à 109.317, et de 1850 à 1859 à 248.958. De 1853 à 1859, seule période pour laquelle l'émigration ait été relevée par nationalité, 428.006 Anglais, 113.297 Écossais et 675.896 Irlandais ont quitté leur pays pour aller s'établir ailleurs, mais principalement aux États-Unis, puis, par ordre décroissant, au Canada et en Australie. Dans ces nombres ne figurent pas les Anglais aisés qui se sont embarqués sur des navires autres que ceux qui sont affectés au transport des émigrants. Complétons ces documents par l'indication du nombre des naissances, mariages et décès en Angleterre, depuis 1845, année à partir de laquelle les

2o SÉRIE. T. XXX. 15 mai 1861.

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