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la devise de tous ces pionniers agricoles de l'Ouest, et cette devise est bonne pour tout le monde : les mauvais gouvernements seuls la craignent, car elle amène des comparaisons qui leur sont préjudiciables. Mais les bons gouvernements l'aiment, car elle est le progrès, et dans l'émulation vers le bien, il est difficile que les plus grands adversaires eux-mêmes ne finissent pas par s'estimer.

Deux régions méridionales succèdent, par ordre de richesse, à la région de l'Ouest, et M. de Lavergne les désigne, la plus riche des deux, sous le nom de région du Sud-Est, et la moins riche, sous le nom de région du Sud-Ouest. On est, dans ces deux régions, sous le soleil du Midi; les cultures arbustives abondent: ici, la vigne, et là, dans le Dauphiné, le mûrier; dans la Provence, l'olivier; dans le comtat d'Avignon, la garance; dans le comté de Nice, l'oranger et le citronnier. Il y a aussi la belle et riche vallée de la Garonne avec ses champs de maïs, de froment, de lin, de chanvre et de tabac; puis, comme contraste, les célèbres herbages du Charolais, les étangs de la Dombes, les plaines de sable et les dunes de la Gascogne, les versants dénudés des Alpes et des Pyrénées, les chênes-liéges, les oliviers et les makis de la Corse.

Quelle variété de productions! quelle source d'échanges! et que de solidarité commerciale entre cette France du Midi, cette France de la soie, du vin, des primeurs, et la France du Nord que tout convie à une abondante production de céréales et de bestiaux!... Les chemins de fer commencent à peine à souder ces régions si diverses, et déjà une immense révolution se manifeste par des symptômes qui frappent tous les esprits prévoyants. Et cependant, il y a, dans notre Midi, quelque chose de profondément triste pour nous: c'est le contraste que présentent les deux versants des Alpes; sur le versant oriental, c'est l'Italie avec les plus belles irrigations du monde; sur le versant occidental, c'est, au moins sur beaucoup de points, la France avec la sécheresse d'une terre brûlée par le soleil sans que l'eau intervienne pour remplacer la misère par la richesse. Serait-il donc impossible à la France sous-alpine de jouir des bienfaits de l'irrigation à l'instar de la Lombardie et du Piémont? Telle n'était pas l'opinion de M. Auguste de Gasparin, car rien ne lui paraissait plus exécutable que la création de grands réservoirs, de lacs artificiels, qui, placés sur les versants de nos Alpes, auraient réservé, au profit des sécheresses de l'été, l'eau des hivers et de la fonte des neiges. Evidemment, ce projet mérite d'être mis à l'étude.

La région agricole la plus pauvre de toute la France, c'est celle du Centre, qui comprend les anciennes provinces de Sologne, Berry, Nivernais, Bourbonnais, Auvergne, Velay, Gévaudan, Marche, Limousin et Périgord. Pourquoi cette pauvreté relative? Vient-elle du climat

et de l'infertilité du sol? Non. Le Centre est pauvre, selon M. de Lavergne, parce qu'il n'a pas de larges vallées, parce qu'il forme de grandes plaines sans fleuves, avec un nœud de montagnes inaccessible à la navigation, parce qu'il est placé loin des deux mers, parce que le pouvoir central l'a toujours dédaigné et oublié, surtout dans sa partie méridionale, parce qu'enfin il est resté impraticable et inabordable. Donc, il n'est aucune région qui ne puisse être transformée plus complétement par les chemins de fer, par les grandes lignes de communication et par un bon réseau de routes agricoles. En 1787, Lavoisier parlait déjà d'un canal pour assainir la Sologne et ouvrir des débouchés à ses bois. Les besoins sont encore les mêmes aujourd'hui : ce qu'il faut, ce sont des voies de transport à bon marché. Le Centre peut produire beaucoup: il faut le mettre en rapport avec les grands marchés du Nord et du Midi, de l'Est et de l'Ouest, et il est certain que ce problème sera tôt ou tard résolu, car sa position géographique l'appelle à devenir le point d'intersection de plusieurs grandes lignes de communication qui doivent desservir la France dans tous les sens. En attendant ce nouvel état de choses, une agriculture de transition lui convient surtout il y a beaucoup de terres à bon marché, beaucoup de terres qui sont favorables à la production de l'herbe; les populations sont clairsemées; les grands domaines sont d'un seul tenant. Voilà bien des motifs pour développer les plantations résineuses et pour créer des prairies et des pâturages, bien des motifs aussi pour limiter le territoire arable proprement dit. Les moutons et les boeufs prépareront ainsi la place de l'homme, et cette place sera bonne, parce que le travail agricole s'appliquera, non sur des terres pauvres, mais sur des terres fécondées par l'engazonnement et le boisement. Que serait-ce si, par quelques dérivations de la Loire et de ses affluents, l'irrigation venait se mêler de la partie? Décidément, il y a peut-être quelque chose de providentiel dans l'état d'inculture où est si longtemps resté le Centre. C'est là, dans ce pays où les bras manquent à la terre, que bientôt les pays où la terre manque aux bras devront envoyer leur excès de population. Ce sera la colonisation à l'intérieur, colonisation d'autant plus riche d'avenir qu'elle se fera lentement, proportionnellement à l'appel des capitaux et de la fertilité du sol. Heureuse l'Angleterre si, trouvant en elle-mème de pareilles ressources, elle avait pu utiliser ainsi, sans expatriation forcée, la population exubérante des terres épuisées de l'Écosse et de l'Irlande !... Elle n'aurait pas connu l'exode et ses scènes de violences et de désolations.

IV

J'arrive enfin aux conclusions de M. de Lavergne, et je lui emprunte

les chiffres suivants qui donnent une idée des inégalités agricoles de nos six grandes régions :

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La France étant partout soumise à un même système d'impôts, M. de Lavergne a pensé que le produit des recettes publiques par région peut être considéré comme une mesure assez exacte de la richesse, et il a pris, à cet effet, les chiffres de 1857 qui représentent, pour toute la France, une recette totale de 1.641 millions d'impôts de toutes

sortes.

Cela posé, quelle différence de population et de richesse entre le Nord-Ouest et toutes les autres régions! Cet écart s'augmentera-t-il encore par la prospérité croissante du Nord-Ouest? ou bien diminuerat-il par l'accélération du progrès dans les autres régions, même les plus déshéritées? A coup sûr, quand un grand pays est fier de montrer des régions aussi riches que celle du Nord-Ouest de la France, c'est parce qu'il regarde ces régions comme un noble but offert à l'émulation des autres parties de son territoire, et parce que, réparateur des injustices, des erreurs, des malheurs du passé, il tend une main secourable aux plus arriérées. L'aisance moyenne, voilà le grand mot de l'économie politique, et cela veut dire qu'il est dangereux de concentrer, par voie budgétaire, de trop grandes richesses sur une partie de la population ou du territoire, quand, ailleurs, règne la misère relative. Dans un pays de contrastes comme la France, c'est donc surtout une nécessité de gouvernement de ne pas aggraver la situation par la concentration des dépenses publiques, mais de multiplier les voies de communication et les travaux d'utilité générale dans les pays relativement déshérités. Les pays les plus avancés ont dû, en grande partie, leur prospérité à ce genre d'action gouvernementale. Ce n'est que justice d'appeler au partage des mêmes secours les contrées qui, depuis longtemps, attendent leur tour de rôle.

Est-ce là ce que nous avons fait?

M. de Lavergne répond à cela par ces chiffres:

Dans les 12 départements les plus maltraités, et ceux-là appartiennent

tous aux régions du Sud-Est, du Sud-Ouest et du Centre, les dépenses publiques ne dépassent pas 51.186.000 fr. (année 1855); tel d'entre eux, la Lozère, ne reçoit que 2.694.000 fr., et tel autre, le Lot, qui est le mieux partagé, ne reçoit pas plus de 5.825.000 fr.

Et Paris, à lui seul, absorbe 877 millions.

Et 7 départements, outre celui de la Seine, reçoivent du trésor public plus qu'ils ne lui donnent.

Et parmi 76 départements qui perdent plus ou moins, il y en a qui ne reçoivent du budget des dépenses que la moitié de ce qu'ils apportent au budget des recettes.

Qu'on explique, tant qu'on le voudra, la grosse part faite à Paris, siége du gouvernement, on aura toujours beaucoup de peine à admettre, dans le monde contribuable, que la mesure de l'équité ne soit pas dépassée au profit de la capitale et au profit de certains départements, fussent-ils même considérés comme siéges de grandes dépenses militaires d'intérêt général. Il y a longtemps, très-longtemps, que ces inégalités choquantes subsistent, car elles datent de l'ancien régime. Mais n'est-ce pas là précisément un motif de plus pour modifier ce système? Est-ce que l'agglomération des populations ne dit pas assez haut que le cours normal des choses est violenté par le budget?

Je ne répéterai pas tout ce que M. de Lavergne a dit d'excellent à ce sujet; mais je ne sache pas que jamais un plus grand intérêt agricole ait été soumis à l'examen d'un gouvernement qui tient à s'enraciner dans le pays, à prendre en main la cause des chaumières, à donner enfin une grande et légitime réparation aux pays déshérités. Je ne sache pas qu'on ait mieux indiqué comment peut s'améliorer la condition morale et matérielle des populations pauvres qui, depuis si longtemps, donnent si volontiers leur sang et leur argent pour la gloire et la richesse de la France. M. de Lavergne était inspiré par un admirable thème. Il a su trouver des pages à la hauteur de son sujet, et certes ceux-là qui liront ces pages ne pourront que se fortifier, une fois de plus, dans l'amour de ce pays, à nul autre pareil par son unité nationale, à nul autre pareil par la variété de ses productions, qu'on appelle la France de 1789. On peut regretter, avec M. de Lavergne, que notre patrie ait payé un si grand tribut aux excès révolutionnaires et militaires. Mais, quand on voit l'influence qu'elle a su acquérir dans le monde entier, quand on voit ce qu'elle a pu faire sous le régime de la paix et de la guerre, on se rassure pour l'avenir, on travaille à l'œuvre commune de la pacification des esprits, et, faute de posséder tout ce que l'on désire, on attend avec confiance que l'opinion publique donne raison à ceux-là qui sont les plus dignes. Voilà comment les principes de notre révolution française feront, n'en dou

tons pas, leur chemin dans le monde. Plus de violences qui reculent l'heure de la liberté! Le vrai progrès, c'est désormais la paix avec des institutions inspirées par l'esprit de 1789.

ÉDOUARD LECOUTEUX,

Membre de la Société impériale et centrale d'agriculture de France.

BULLETIN

Opérations de la Banque de France et de ses Succursales pendant l'année 1860.

Extrait du compte rendu par M. le comte DE GERMINY, gouverneur.

Les opérations de la Banque de France prennent un développement dont chaque année voit grandir l'importance.

Avant d'aborder le compte rendu des opérations ordinaires de la Banque, il en est une qui, pour son importance, mérite d'ètre mentionnée.

En 1860, comme en 1859 et 1858, plusieurs Compagnies de chemins de fer ont réclamé notre concours. La somme de capitaux obtenus en trois ans du marche français, par nos soins, pour le service des voies ferrées, s'élève maintenant à 800 millions. L'opération particulière à 1860 est de 300 millions; elle a été faite à forfait, moyennant 750,000 francs, frais compris. - Sur cette somme, 300,000 francs seulement ont été portés au crédit de notre dernier compte de profits et pertes.

La différence de 450,000 francs, presque entièrement absorbée à cette heure, a été mise à la disposition des frais de la souscription. Ouverte le 25 juin, cette souscription a été close le 2 juillet; les Compagnies émettaient 1,023,000 obligations, au taux moyen de 292 fr. 93 c., avec bénéfice de 2 fr. 53 c. pour les souscripteurs, résultant de la faculté d'anticiper leur libération. Le public en a demandé 1,627,817.

Ce supplément à nos travaux, enté sur d'autres devoirs, a imposé à nos services une activité exceptionnelle, déployée d'ailleurs avec non moins de dévouement au profit des opérations ordinaires, dont voici le détail.

§ 1er. De leur importance tant à Paris que dans les succursales.- En 1859, leur chiffre total s'était élevé à 6,165,549,000, indépendamment du mouvement des billets à ordre et des virements qui, étant de 486,028,000, composaient un total de. . . . ... F. 6,652,577,000

En 1860, le chiffre s'élève à 6,340,567,000 francs, y com

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