Images de page
PDF
ePub

il I y a lieu de supposer que la faveur du compte en banque, qui s'étend au très-petit nombre, fait qu'on n'agit que sur une masse de papier relativement restreinte.

Le silence dans lequel se renferment systématiquement à cet égard les divers comptes rendus autorise cette supposition.

Mais ce qui mérite une particulière attention dans cet exposé de fin d'année, c'est de voir le mouvement des succursales non-seulement l'emporter chaque jour davantage sur la Banque-mère, mais continuer, quoique avec lenteur, sa marche ascendante, alors qu'on est ailleurs en perte. Comparé au précédent exercice, voici comment ce double mouvement se décompose à Paris, la masse des opérations est de 392 1/2 millions au-dessous du chiffre de 1859, soit 2,408 1/2 pour 1860, contre 2,801 1/2 millions. Au contraire, dans les départements, le progrès est constant; il y a sur l'exercice antérieur un excédant de 80 1/2 mil lions résultant de la différence qui existe entre 3,854 millions, chiffre de 1859, et les 3,931 millions constatés pour 1860.

Et cependant, chose étrange, quand le centre est à ce point distancé, lorsqu'il est sensible qu'on aurait tout à gagner en favorisant, par de larges mesures, une activité qui viendrait ainsi réparer certaines pertes, c'est l'élément provincial, cet élément si riche de séve, de jeunesse, qui est traité avec une inégalité choquante sous le double rapport du rayonnement de la monnaie de banque et du nombre encore trop restreint des agences ou succursales. Parcourez les tableaux d'où ressort, année par année, pour les trois derniers exercices, l'état comparatif du portefeuille, de la circulation et de l'encaisse dans les 49 succursales qui ont fonctionné en 1860, vous verrez presque partout les espèces immobilisées, entassées sans nécessité, tandis que le billet de banque, condamné au plus maigre rôle, se montre à peine.

Ici, c'est l'agence de Clermont-Ferrand qui, pour manœuvrer un portefeuille en moyenne de 4 millions, possède un moyen encaisse de près de 12 millions en face d'une circulation en billets de banque qui n'excède pas 350,000 fr. Ainsi voilà une réserve métallique équivalant trente fois et plus au chiffre de l'émission. Les opérations de cette succursale représentent, durant le dernier exercice, quelque chose en somme comme 37 millions de francs; d'où l'on peut voir que tout se traite là journellement or ou argent en main, à moins qu'on ne suppose un stock métallique à peu près inactif. Pour opérer sur ce pied, les banques à émission de papier sont pleinement inutiles; il devrait suffire des anciennes banques de dépôt (1). La même observation s'applique aux comp

(1) Qu'on ne dise pas que ces espèces entassées là où elles n'ont que faire constituent un disponible qui se déplace au gré des besoins de tel ou tel grand centre. D'abord, la monnaie de papier a surtout pour mission de rendre inu

toirs de Limoges, de Nantes, de Nevers, de Laval, d'Orléans, de Troyes, de Toulouse, de Strasbourg, de la Rochelle, Rennes, etc. A la Rochelle, la moyenne de l'encaisse a été, durant le dernier exercice, de près de 9 millions, faisant journellement équilibre à une circulation de 270,000 fr., soit 320,000 fr. avec les comptes courants: c'est près de 30 fois, en espèces, la couverture de la dette remboursable à volonté. Toulouse présente, d'autre part, 600,000 fr. de découvert contre 21 millions de francs en caisse, soit 35 fois le montant de la circulation. Marseille elle-même dispose de moyens encaisses sept fois supérieurs au chiffre de la dette remboursable à volonté; ainsi il y a là, pour faire face à 6 millions de dettes journellement exigibles, une réserve de plus de 42 millions. Or le chiffre du portefeuille n'atteint pas en moyenne 40 millions; c'est donc espèces en main qu'on opère dans un foyer d'affaires qui assigne de plus en plus à cette puissante succursale le premier rang.

Ce défaut de rayonnement du billet de banque, condition fatale qui n'est, à vrai dire, que l'éternelle enfance du crédit et de la monnaie, est clairement attesté par la récapitulation ou totalisation des moyens encaisses mis en regard des chiffres de la masse. En 1860, les départements possèdent en moyenne, pour un découvert courant de 24,960,000 fr., un approvisionnement métallique seize fois supérieur, soit 353 millions 1/2; or, la moyenne de l'encaisse pour la France entière, durant ce même exercice, ne va pas au delà de 482 millions. D'où suit que Paris est seul alimenté en grand de billets de banque, tandis que la province, siége d'une masse d'affaires multiples et diverses, toujours en progrès, serait invariablement condamnée au régime des espèces.

Cet étrange partage a pour le commerce des conséquences regrettables. Outre que ce système est la négation des banques à émission de papier, puisque de cette façon l'on arrive à opérer argent en main, il est parfaitement évident qu'à l'heure des crises cette immobilisation de richesse métallique se traduit en aggravations gratuites du taux de l'escompte. L'argent et l'or qui sont en excès à Rennes ou à la Rochelle seraient infiniment mieux placés à Paris, à Lyon ou à Marseille, grands foyers de crédit et de comptes courants dont le niveau baisse; mais, comme on respecte outre mesure cette richesse lointaine et stérile, les besoins de deux ou trois grands centres font bientôt la loi à tout le

tile cette stérile circulation qu'on appelait dans le siècle dernier la voiture des espèces. Mais l'objection est d'autre part sans force; il s'agit en effet ici de moyens encaisses mis en présence d'un découvert, journellement, moyennement infime. Il y a donc là des richesses fatalement sans emploi, des forces perdues, un mécanisme annulé. - P. C.

reste, et, pour leur conserver un raisonnable encaisse, on soumet le pays tout entier à la hausse fatale de l'escompte. Les affaires générales portent ainsi la peine de l'immobilité systématique à laquelle sont condamnées des espèces qu'il faudrait pouvoir prendre en tout temps là où elles sont,

Que si l'administration de la Banque objectait à ce propos combien il est difficile de faire pénétrer plus avant le billet de banque, d'où la nécessité de maintenir, à mesure qu'on s'éloigne davantage du centre, de forts encaisses, il serait facile de répondre qu'il y a ici tout ensemble mauvaise répartition de la monnaie de papier, aménagement vicieux, et défaut d'entente des lois du monnoyage. On sait quels obstacles il a fallu vaincre pour convertir finalement la Banque à l'adoption de la coupure de 100 fr., cet auxiliaire précieux des encaisses, en même temps qu'il vulgarise la notion des circulations puissantes. Eh bien! ce parfait petit rouage, qui répond si bien aux modestes encaisses dans un pays où la fortune est, comme le sol, très-divisée; ce même billet de 100 fr. n'a pas cessé d'être frappé d'une sorte de défaveur par le gouvernement de la Banque. Il suffit de se reporter, pour le comprendre, aux tableaux d'émission et d'annulation publiés chaque année. C'est le billet de 1,000 fr., lingot d'un nouveau genre, qui, lors des refontes, obtient la plus large part. Si l'homme des comptes courants, dont Paris est surtout le siége, s'accommode de cette grosse monnaie, il est trop évident que le commerce proprement dit, en province particulièrement, ne saurait à cela trouver son compte. C'est ainsi qu'en remplacement de 353 millions de billets annulables, on a émis, en dernier lieu, 325 millions qui restreignent non-seulement le champ d'opération, mais où le billet de 1,000 fr. est apportionné par plus des 2/3 dans l'émission nouvelle, alors que le billet de 100 fr. figure là pour moins du cinquième. C'est le contraire qui devrait être. Ce n'est pas ainsi qu'on soulage l'encaisse, qu'on modère le taux de l'intérêt en accréditant de plus en plus un instrument d'échange dont le prix de revient est presque nul (1).

A cette occasion, il convient de se demander pourquoi la Banque de France fait incessamment disparaître la coupure de 200 fr. pour s'en tenir à celles de 500 et de 100 fr. exclusivement. C'est à peu près comme si dans la monnaie d'argent on proscrivait la pièce de 2 fr. pour se contenter des pièces de 1 fr. et de 50 c. La coupure de 200 fr. était entrée dans les usages, parce qu'elle répond à une foule de marchés qui dépassent 100 fr. et ne montent pas à 500 fr.; elle trouvait d'ailleurs à

(1) Ceci est de tradition déjà ancienne à la Banque. Voir la Monnaie de banque, où ce système défectueux de coupures est exposé avec détail. (1857. Paris, librairie de Guillaumin.)

s'échanger sans peine au moyen de la coupure inférieure. La monnaie est faite à l'image des affaires : c'est une échelle. Le commerce ne s'est jamais bien rendu compte de ce changement, qui s'étaye, sans doute, de quelque faux prétexte.

En résumé, le dernier compte rendu des opérations de la Banque laisse beaucoup à désirer au point de vue de l'état des affaires, du gouvernement de la monnaie, ainsi que des véritables exigences du crédit. Les succursales, dont le nombre s'accroît avec une lenteur désespérante, sont fort loin de bénéficier, selon que cela devrait être après plus de soixante ans, de l'usage de la monnaie de banque. Tout se mesure invariablement aux allures de la capitale et de deux ou trois grands centres, qui font pâtir tout le reste quand les affaires, la richesse sont cependant partout à pied d'œuvre.

La Belgique, avec ses quatre millions d'habitants, possède 24 agences de banque, c'est-à-dire la moitié de ce qui fonctionne en France, où la population est cependant décuple; il y a là des billets de 20 fr., de 50 fr., de 100 fr. savamment aménagés avec les billets de 1,000 fr. Aussi, dans ce pays, l'escompte est généralement abordable, et le taux de 8 à 10 0/0 ne vient guère protéger, aux dépens du commerce, de riches et inutiles encaisses. PAUL COQ.

CORRESPONDANCE

L'intervention de l'État dans les associations mutuelles jugée aux points de vue anglais et belge.

A Monsieur le Directeur du JoURNAL DES

Monsieur,

ÉCONOMISTES,

L'abondance des matières vous avait empêché d'insérer dans votre numéro de mars une dernière réponse aux articles de M. Leymarie sur les sociétés de secours mutuels. La mort profondément regrettable de mon honorable contradicteur ne laisse plus maintenant de place qu'aux regrets. Un sentiment qu'on appréciera m'engage à vous prier de ne pas publier ma réplique.

Le débat soulevé entre M. Leymarie et moi s'agitait cependant tout entier dans les idées; sa couleur personnelle n'était qu'apparente; il s'adressait en réalité aux intérêts les plus nombreux et les plus dignes de sollicitude. Des appuis considérables et tout à fait décisifs, à mon avis, m'étaient arrivés. Je voulais en faire profiter la discussion. Peut-être ne serait-ce manquer à aucune convenance que de soumettre encore aujourd'hui au lecteur les dernières pièces du procès.

La question de la détermination des droits respectifs de l'individu et de la société est, vous avez eu raison de le remarquer, de celles sur lesquelles on pourrait écrire des volumes sans se mettre complétement d'accord. Aristote la posait déjà dans sa Politique, et c'est encore, suivant l'expression de M. Dupont-Withe, dans sa préface du magnifique livre on Liberty, la plus grande question théorique de notre temps. Spéculativement, et au point de vue d'une formule générale, quelques-uns, et des plus rompus aux difficultés de la science sociale, ont été jusqu'à considérer le problème comme à peu près insoluble. Toutes les études faites par les écrivains qui ont su se placer au-dessus des préoccupations, souvent assez explicables du reste, de la politique courante, ont cependant un point commun: ce qu'ont impartialement poursuivi M. Guillaume de Humboldt, M. Eœtvæs, M. J. Stuart Mill, M. Jules Simon, M. Laboulaye, etc., c'est la limitation de l'État, ce n'est pas un avilissement du pouvoir bien vite désastreux, hélas! à la liberté elle-même.

En fait, si le progrès politique a presque toujours pour auteurs les individus seulement, il n'en est pas de même du progrès social. Sans insister davantage sur ces deux grands faits incomplétement compris, les écoles primaires qui ne se fussent pas ouvertes, les chemins vicinaux qui ne se fussent pas faits si les préfets n'avaient été autorisés, non pas à stimuler des conseils municipaux ou à coordonner des tracés, mais bien à inscrire d'office des dépenses au budget des communes, combien de fois l'initiative de ce dernier progrès n'est-elle pas venue de l'État!... Les idées, on l'a dit excellemment, brillent pour tout le monde, et rien ne pouvait, ce me semble, empêcher le ministre Turgot d'être frappé des lueurs qui illuminaient le penseur Montesquieu.

Quoi qu'il en soit, et pour ceux qui, tout en déniant bien haut à l'État d'être la source unique et même principale du progrès, trouvent son véritable caractère d'agent partiel de la civilisation dans sa faculté organique, sinon, malheureusement, dans son habitude d'exalter indéfiniment l'individu, il n'en faut pas moins, en application, préciser le plus possible la mesure normale de l'intervention collective.

Sur le point spécialement en litige en matière d'associations mutuelles, les deux pays de l'Europe qui, à des degrés différents, possèdent la plus grande pratique, sont l'Angleterre et la Belgique. Ce sont aussi, pour l'Angleterre surtout, et toute discussion sur la valeur libérale incontestable cependant de l'aristocratie anglaise et sur la concentration du capital et de la terre mise à part, ceux où la liberté civile et politique est entrée le plus profondément dans les mœurs, ceux où l'on sait le mieux ce qui est dépendance réelle, ce qui est délégation volontaire pour l'utilité de tous. Or, qu'on veuille bien lire les lettres suivantes émanant d'hommes à coup sûr on ne peut mieux placés pour juger sainement de ce dont ils parlent et pour tenir compte, ainsi qu'il le faut ici, des considérations les plus nombreuses et les plus diverses; qu'on lise ces lettres et qu'on juge de l'intervention mesurée de l'État et des classes supérieures dans l'économie des sociétés mutuellistes, si « l'information répandue du centre à la circonférence,» suivant la formule de M. Stuart Mill (1), doit être rejetée comme froissant les principes ou les hommes, qu'on juge enfin si

(1) La Liberté, p. 200.

« PrécédentContinuer »