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permets de recommander au lecteur ce beau travail, dont un fragment étendu a été inséré dans les comptes rendus de l'Académie (1), et dont je ne puis donner ici qu'une très-courte analyse.

Le guano (huano de pajaro) n'est autre chose, on le sait, que de la fiente d'oiseaux de mer, déposée par bancs immenses sur les îlots et les rochers de l'océan Pacifique. Ces bancs se trouvent principalement sur le littoral du Pérou, entre le 2o et le 21° degré de latitude australe.

Les trois îles Chincha, situées au nord d'Iquique, à 13 kilomètres de la côte, par 43 degrés de latitude australe, sont les plus riches en guano ammoniacal.

Les gisements plus éloignés des côtes du Pérou sont très-riches en acide phosphorique; mais les matières azotées y manquent presque complétement. Ce fait s'explique sans peine par la solubilité des sels ammoniacaux qui ont dû être dissous et entraînés par les pluies, au fur et à mesure de leur production. Au contraire, la conservation de ces mêmes sels dans le guano des îles Chincha et de quelques autres gisements voisins est un phénomène anormal, un bienfait exceptionnel du merveilleux climat où l'on ne se doute point de ce que peut être un orage, et où la chute de quelques gouttes de pluie est un événement extraordinaire.

L'antiquité des huaneras, calculée d'après leur épaisseur, est telle qu'on éprouve de sérieuses difficultés à la concilier avec l'âge attribué communément à notre planète. Quelques naturalistes n'ont pu se décider, même devant l'évidence des chiffres, à donner tort à la chronologie vulgaire. Ils ont préféré nier que le guano fût réellement formé d'excréments d'oiseaux. Mais sur ce point encore les conclusions de la chimie sont péremptoires. Le fait est qu'aux iles Chincha, les amas de guano atteignaient, avant d'avoir été livrés à la dévorante exploitation dont ils sont l'objet depuis quelques années, environ 30 mètres d'épaisseur. Or, Humboldt a supputé qu'en trois siècles les déjections des oiseaux qui fréquentent ces îles ne dépasseraient pas une épaisseur de 4 centimètre. Ce calcul a été contesté depuis, notamment par M. Rivero, qui pense que l'accumulation prodigieuse des fientes d'oiseaux dans les îles de la côte péruvienne s'explique suffisamment par la multitude innombrable des oiseaux qui ont élu domicile sur ces rochers et par la plantureuse nourriture que leur offre la mer.

M. Boussingault cite, à ce propos, le témoignage d'Antonio Ulloa, un des navigateurs espagnols qui accompagnèrent, en 1750, les académiciens français à l'équateur. « Les anchois, rapporte ce voyageur, sont en si grande abondance sur cette côte qu'il n'y a pas d'expression

(1) Cahier n° 23 du tome LI (5 décembre 1860).

qui puisse en représenter la quantité. Il suffit de dire qu'ils servent de nourriture à une infinité d'oiseaux qui leur font la guerre. Ces oiseaux sont communément appelés guanaes, parmi lesquels il y a beaucoup d'alcatrias, espèce de cormoran; mais tous sont compris sous le nom général de guanaes. Quelquefois, en s'élevant des iles, ils forment comme un nuage qui obscurcit le soleil. »

Quoi qu'il en soit de l'ancienneté des huaneras, il est certain que ces amas représentent une masse énorme de principes organiques et en particulier d'azote. Cet azote avait certainement appartenu à l'atmosphère, qui est, si l'on peut ainsi dire, son unique gisement primitif. Car, de tous les éléments de l'organisme, l'azote est le moins minéralisable, le seul qu'on ne rencontre point dans les terrains d'origine ignée. Il n'apparait que dans les dépôts sédimentaires contenant des restes de végétaux ou d'animaux. Dans le guano, il se trouve à l'état d'ammoniaque combinée avec divers acides. C'est l'élément fertilisant par excellence, et aussi est-ce en raison de la quantité de ce gaz qu'ils renferment que l'on mesure la qualité des engrais. Le carbone, l'eau, les sels passent semblablement du règne inorganique au règne végétal et de là aux animaux qui, pendant leur vie et après leur mort, les restituent à la terre et à l'atmosphère. C'est en étudiant les lois qui président à cette universelle transformation des éléments que l'homme peut la diriger à son profit et faire servir les matières réputées les plus viles et les plus immondes à l'accroissement de sa richesse et de son bien-être.

IV. - Je voudrais parler maintenant d'une note de M. Coste relative au repeuplement du littoral par la création d'huîtrières artificielles, et d'un mémoire de M. Geoffroy-Saint-Hilaire sur l'Acclimatation d'animaux étrangers et la domestication de nouvelles espèces. Mais, hélas! « tarde venientibus ossa!» J'arrive après M. Victor Meunier, qui vient de prendre possession du feuilleton scientifique de l'Opinion nationale. (J'en fais à ce journal mon sincère compliment.) Et quand ce diable d'homme s'est emparé d'un sujet, lorsqu'il l'a tenu pendant l'espace de cinq ou six colonnes sous la pointe acérée de sa fine plume d'acier, c'est à peine si l'on en retrouve encore quelques parcelles échappées à sa redoutable analyse. Notez d'ailleurs que, dans l'examen des documents dont il s'agit, mon excellent confrère s'est placé précisément au point de vue économique, si bien qu'il en a dit à peu près tout ce que j'en pourrais dire, sans compter beaucoup de bonnes choses dont je ne me serais probablement pas avisé. Il faut pourtant m'exécuter, et si je fais mon profit du travail de M. Victor Meunier, le mien à coup sûr y gagnera et ce sera tant mieux pour le lecteur.

Pour suivre l'ordre des dates, commençons par la note de M. Coste.

C'est une simple note. Voltaire dirait peut-être : Pas si simple! comme il disait de l'histoire naturelle de Buffon: Pas si naturelle! En effet, ce qui frappe d'abord dans le nouveau manifeste du savant apôtre de la pisciculture, c'est une emphase de langage peu justifiée, il faut le reconnaître, par la valeur des résultats. « Cette communication sera, dit-il, accueillie, j'espère, avec faveur, car le succès est le résultat de l'application d'une donnée abstraite de la science,-laquelle, ajoute-t-il quelques lignes plus bas, en pénétrant dans l'esprit de nos populations maritimes, les a conduites à fixer la moisson sur les terrains émergents où, à mer basse, on peut donner des soins au coquillage, comme dans nos jardins aux fruits et aux espaliers. »> On demande premièrement de quelle donnée abstraite, formule algébrique ou calcul différentiel, M. Coste est parti pour arriver à l'ostréiculture. On s'étonne, en second lieu de l'étrange illusion dont il est le jouet en s'imaginant que c'est la compréhension de cette prétendue donnée abstraite qui a conduit les populations du littoral à fixer la moisson, etc. La vérité est, comme l'établit parfaitement M. V. Meunier, que l'ostréiculture est depuis longtemps pratiquée par les humbles pêcheurs de l'île d'Oléron qui, sans le secours d'aucune donnée abstraite de la science, ont créé, sur une immense étendue de terrains impropres à toute culture végétale, des viviers et des claires où ils se livrent avec une singulière intelligence et un plein succès à la multiplication et à l'amélioration des huîtres.

« Dans l'ile de Ré, sur une longueur de trois à quatre lieues, une immense et stérile vasière a été convertie en un champ de production d'une richesse inouïe. Là où auparavant l'huître ne pouvait se développer, les agents de l'administration en comptent, à l'heure qu'il est, en moyenne, 600 par mètre carré; ce qui donne, pour une superficie de 630,000 mètres en exploitation, un total de 378,000,000 de sujets. » Or, il a fallu, de l'aveu de M. Coste, deux ans et les efforts combinés, avec une infatigable énergie, de plusieurs milliers d'hommes, pour accomplir ce nouveau travail d'Hercule, pour ensemencer d'huîtres une étendue de trois à quatre lieues! Voilà ce que M. Coste appelle transformer l'OCÉAN en une véritable fabrique de substance alimentaire !!!

« Dans la baie, d'Arcachon, ajoute l'honorale académicien, l'industrie huîtrière se développe dans les mêmes proportions qu'à l'île de Ré. Le bassin tout entier se transforme en un champ de production. Ici, cent douze capitalistes associés à cent douze marins exploitent 400 hectares de terrains émergents; et l'État, pour donner l'exemple, a organisé deux sortes de fermes-modèles destinées à l'expérimentation de toutes les méthodes propres à fixer la science et à rendre la récolte facile. »

Eh! bon Dieu! que d'affaires! que de mouvement! que de dépenses! que de monde sens dessus dessous, pour quelques millions d'huîtres!

L'Empereur, l'État, la marine! Ici, plusieurs milliers d'hommes constitués en association, représentés auprès de l'adminstration par des délégués et se réunissant en assemblée générale pour délibérer sur les moyens de perfectionner leur industrie; là, cent douze capitalistes et autant de marins occupés à cultiver 400 hectares de terrain! Franchement, si les huîtres ne s'empressent pas de se multiplier et de grossir devant un tel déploiement de forces, il faudra qu'elles y mettent bien de l'entêtement! Espérons donc que nous verrons bientôt se réaliser les belles promesses de M. Coste, et que, à défaut de la poule au pot, le plus pauvre paysan pourra bientôt s'engraisser des savoureux produits du défrichement de l'Océan. J'ai pourtant, je le confesse, quelques doutes à cet égard, et, comme M. V. Meunier, j'estime, sauf correction, que le repeuplement du littoral pourrait s'effectuer plus rapidement, à moins de frais et avec moins de tapage par deux moyens très-simples: la liberté et la publicité ; liberté pour les habitants des côtes de transformer en claires et en viviers les milliers d'hectares de terrains improductifs qui bordent nos rivages; publicité large et efficace donnée aux procédés d'amélioration que la pratique de cette nouvelle industrie ne tarderait pas à faire surgir.

V. Il me reste peu de place à donner au mémoire de M. Geoffroy-Saint-Hilaire, et je le regrette. C'est un travail sérieux et de bonne foi, où l'on voit que l'auteur prend son œuvre à cœur parce qu'il la croit utile, et ne néglige rien pour qu'elle le devienne réellement. Trois préceptes, selon lui, sont la base de la zootechnie bien entendue: conserver ce que nous possédons; l'utiliser selon le mode le plus profitable; y ajouter s'il est possible. Le premier de ces préceptes, celui dont la plus vulgaire sagesse prescrit l'observation, est malheureusement celui dont on se soucie le moins. Il est déplorable de voir avec quelle imprévoyance brutale, avec quelle stupide cruauté nous détruisons, tantôt par suite de préjugés absurdes, tantôt pour le seul plaisir de tuer les espèces qui nous sont le plus utiles. Les oiseaux insectivores, ces précieux auxiliaires de l'agriculture, ces protecteurs des moissons et des vergers sont poursuivis à outrance par les paysans qui les prennent sottement pour des être malfaisants, ou par les citadins qui trouvent leur plus grand plaisir à exercer sur ces utiles animaux leur adresse meurtrière. Le gibier est en butte à une guerre qui amènera prochainement, si l'on n'y met ordre, sa destruction totale. Tout cela est déplorable assurément; mais il ne suffit pas que la science accomplisse un grand devoir, comme le demande M. Geoffroy-Saint-Hilaire, en démontrant l'utilité des animaux qu'on détruit si aveuglément. La démonstration est faite. Ce qu'il faudrait maintenant ce serait la répandre et la vulgariser. Mais nous touchons ici à une question vitale : celle

de l'instruction du peuple, qui appelle une réforme si urgente et si radicale. On s'imagine aujourd'hui qu'on instruit les enfants des campagnes en leur apprenant à lire, à écrire, à compter et en les envoyant au catéchisme. On regarde leur éducation comme terminée lorsqu'ils ont fait leur première communion! La première communion, voilà le baccalauréat ès sciences et ès lettres des écoles primaires, qui ne sont, en définitive, qu'une annexe de la sacristie. Belle éducation, bien propre à détruire les préjugés des masses, à former leur jugement et à leur inculquer des principes d'économie rationnelle!

Après avoir vitupéré les instincts barbares du laboureur: durus arator, dit Virgile, « qui n'épargne même pas les chantres de nos bosquets, » M. Geoffroy-Saint-Hilaire se plaint avec quelque amertume du peu de succès de ces efforts pour faire admettre dans la boucherie et sur nos tables la viande de cheval. En rendant compte naguère de l'excellent traité d'agriculture pratique de M. J.-H. Magne, j'ai fait voir, en m'appuyant sur l'opinion de ce savant agronome, que les répugnances du public contre l'hippophagie se fondaient, non sur de vains préjugés, mais sur des considérations d'hygiène et d'économie dont M. Geoffroy-Saint-Hilaire ne veut point tenir compte. Comme le fait d'ailleurs très-justement observer M. V. Meunier, la viande des chevaux abattus en état de santé ne représenterait qu'une addition à peine sensible à la somme actuelle de nos richesses alimentaires, et ce n'est pas avec cela que les vingt millions, je crois, de Français qui ne mangent de la viande qu'une fois l'an auraient du pot-au-feu ou du rôti à l'ordinaire. L'hippophagie, en un mot, n'est qu'un palliatif insignifiant, et les savants philanthropes qui, comme M. Geoffroy-SaintHilaire, se donnent tant de mouvement pour la faire adopter pourraient employer au service d'une cause plus digne d'eux leur talent et leurs peines.

M. Geoffroy-Saint-Hilaire dresse, dans la troisième partie de son mémoire, le bilan des résultats obtenus par la Société d'acclimatation. Parmi les insectes utiles, deux vers à soie, celui du ricin et celui de l'ailante; parmi les oiseaux, plusieurs espèces d'agrément, dont quelques-unes pourront devenir, avec le temps, des espèces utiles; dans la classe des mammifères, le lama, l'yak, l'hémione et deux antilopes, l'une de l'Inde, le nilgau, l'autre du Cap, le canna telles sont les espèces dont l'acclimatation peut être aujourd'hui considérée comme un fait acquis. Sur quoi, M. Geoffroy-Saint-Hilaire s'écrie plein de joie : « Voici presque doublé, en vingt ans, le nombre des animaux domestiques! >> - Un instant, s'il vous plaît: le nombre des espèces, peutètre; mais pour celui des animaux, c'est une autre affaire.

En résumé, la seule acquisition réelle me paraît être celle des vers à soie qui ne tiennent la place et ne mangent la ration d'aucune autre

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