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sait combien l'exercice qui vient de terminer a été rude pour le chancelier de l'échiquier, grâce aux importantes pertes que lui a imposées le traité de commerce anglo-français. D'après le calcul de M. Gladstone, la perte, par suite des taxes supprimées, devait être, pour l'exercice finissant le 31 mars 1861, de 3,631,000 1. st., compensée par des créations et augmentations d'autres impôts jusqu'à concurrence de 2,202,000 l. st., soit une différence de 1,429,000. En réalité, cependant, la décroissance sur le revenu de l'exercice précédent a été beaucoup moindre; en voici les éléments d'après les chapitres principaux du budget:

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Ce qui fait une diminution totale de 2,534,608 1. st., compensée par des accroissements se montant à 1,728,613, laissant ainsi une diminution nette de 808,995. Le résultat de ce déficit se traduit par la nécessité où a été le Trésor d'émettre pour 594,000 1. st. des bons d'échiquier (en outre de 1 million 1 st. émis pour retirer des bons échus), et d'employer 200,000 1. st. sur le crédit des fortifications.

Il est vrai qu'en retour de ces budgets qui enflent continuellement et des déficits venant remplacer les excédants des recettes dont le trésor anglais avait, il y a quinze ans, pris la douce habitude, l'Angleterre peut aujourd'hui se glorifier d'être non-seulement la première nation commerçante et industrielle du globe, mais encore d'être au premier rang des nations qui mettent les progrès des sciences au service de l'art de destruction. La nation productrice par excellence semble prendre goût à ce développement de l'art de destruction. « Je n'imagine rien qui doit flatter plus agréablement les organes de la destructibilité que le plaisir d'envoyer des obus percutants et du poids de 100 livres à un vaisseau à trois ponts chargé de monde: » c'est dans la patrie des Cobden et des Bright, c'est dans l'an de grâce 1861 que ces belles paroles ont été prononcées, il n'y a pas huit jours, par le fameux Armstrong, à un banquet qui lui a été offert pour célébrer sa réception en qualité de membre honoraire de la corporation des arquebusiers de Londres! Et assurément, si la France, — selon le dire d'un célèbre ministre du gouvernement de Juillet« est assez riche pour payer sa gloire, l'archi-riche Grande-Bretagne l'est assez pour se payer le plaisir » destiné à flatter si agréablement ses organes de destructibilité. » Reste à savoir si elle ne payera pas en vain, ou jusqu'à quel prix il faudra aller.

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En effet, dans ce même meeting, M. Armstrong lui-même, tout en proclamant la merveilleuse portée de ses canons, dont le calibre a successivement été porté par lui de 12 à 100 livres, en est à douter si même les boulets de 120 livres suffiront pour entamer les navires cuirassés ? Le célèbre inventeur « espère » que dans cette lutte suprême, où attaque et défense appellent à leur aide tous les procédés perfectionnés des sciences et des arts, la victoire finale restera à la destruction!

La recherche du « plaisir » pour les organes de destructibilité » semble de plus en plus devenir la manie dominante. Les États jadis réputés pour leur « sagesse » et qui semblaient créés tout exprès pour réaliser, d'une part, le gouvernement à bon marché, d'autre part, le beau modèle d'un état garanti par le droit international seul, se jettent à l'envi dans les dépenses dévorantes du perfectionnement des arts de la destruction. En ce moment même, les Chambres belges, qui, l'année dernière, ont voté des crédits relativement énormes pour les fortifications d'Anvers, depuis à demi enterrées, discutent de nouveau sur un crédit de 15 millions pour la réforme et l'accroissement de l'artillerie. Et, signe très-caractéristique du progrès qu'a fait le goût si hautement chanté par M. Armstrong, notre excellent confrère l'Économiste belge, jadis le pourfendeur intraitable des armées permanentes et des budgets de la guerre, est un des plus ardents dans la mêlée pour discuter, non le refus ou la votation de ce crédit, mais les mérites respectifs des canons rayés de la France et du système prussien! Aussi ne doutons-nous pas que le crédit de 15 millions que demande M. le général Chazal, lui sera accordé et viendra s'ajouter aux accroissements déjà si considérables que la dette belge a éprouvés depuis quelques années, grâce surtout aux exigences de ce même département de la guerre. Nous n'avons pas en ce moment sous les yeux les chiffres officiels des budgets de l'armée; mais nous restons au-dessous de la réalité en les estimant en moyenne à 20 millions par an pour les quinze premières années de l'existence indépendante de la Belgique, et à 30 millions pour les quinze années suivantes. Cela fait, au minimum, la jolie somme de 450 millions, dépensés dans la durée d'une seule génération, par un pays de 4.5 millions d'habitants, pour une armée qui n'a pas encore vu le feu! Espérons que la virginité lui sera conservée longtemps encore; seulement, cette immaculée conservation pourrait bien coûter un peu moins cher.

Quand des États en pleine paix et garantis par la neutralité que leur impose comme devoir et comme sauvegarde le droit des gens européen se mettent ainsi en frais pour avoir une « belle armée » et pour être « à la hauteur de la situation, on ne se sent pas le courage de blâmer l'accroissement des charges du budget, l'empirement de la situation financière, dans un pays qui, du moins, bataille ailleurs que sur les champs de manoeuvres, et qui n'a que sa fameuse • spada» pour se défendre et s'arrondir. Nos lecteurs devinent que nous voulons parler de l'ex-Piémont, aujourd'hui royaume d'Italie. M. Vegezzi, le ministre des finances qui a succombé dans la dernière crise ministérielle à Turin, et a été remplacé par M. Bastogi, banquier de Livourne, vient de publier, avant de quitter son ministère, un état de la situation du trésor, contenant les finances de l'ancien Piémont depuis 1853 jusqu'à 1859 et pour la fin de l'exercice 1860, la Lombardie aussi, ainsi que la Toscane et les provinces de l'Émi

lie. Voici les chiffres généraux de cet exposé sur lequel nous aurons probablement à revenir :

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Les chiffres de la deuxième colonne, quadruplés presque de 1853 à 1860, disent assez que les dépenses se sont accrues beaucoup plus fortement encore que l'étendue et la population du royaume : le chiffre de 1860 ne comprend pas encore l'ex-royaume des Deux-Siciles. Il est vrai que la première colonne (recettes) signale des progrès plus rapides encore; mais avons-nous besoin de dire que ces recettes ne sont appelées ainsi que par un euphémisme trèshasardé, par une « licentia financia » dont le royaume d'Italie n'est pas l'inventeur? La majeure partie des « recettes » provient tout simplement des emprunts auxquels presque chacune des années comprises dans notre tableau a ajouté son contingent plus ou moins considérable, et grâce auxquels le royaume d'Italie se place aujourd'hui, pour le montant de sa dette publique, immédiatement après les anciennes grandes puissances, depuis longtemps endettées sur un large pied. Constatons toutefois que si le Piémont, sous l'influence des événements que tout le monde connaît, est hors d'état d'empêcher la progression croissante de ses dépenses et de ses dettes, il s'applique au moins à y mettre de l'ordre et de la loyauté. Par un récent décret, il a été ordonné que toutes les opérations relatives aux diverses catégories de la dette des provinces de Romagne, des Marches et de l'Ombrie seront faites par la direction générale de la dette publique à Turin; c'est un premier pas vers l'unité dans l'administration de la dette publique. Un autre décret porte que le payement de toutes les rentes nominatives du consolidé romain non rachetables, qui, à l'échéance du premier trimestre 1860, étaient inscrites sur les registres de trésorerie des provinces des Marches et de l'Ombrie, sera affecté par le gouvernement sarde.

En présence de ce cliquetis d'armes dont résonne toute l'Europe et de la gloutonnerie financière de ce tonneau des Danaïdes appelé le budget militaire. il est vraiment consolant de constater que les bonnes traditions de la période décennale précédente se sont encore conservées quelque part, et de voir des pays qui mettent autant d'empressement à poser des rails qu'en mettent d'autres à construire des canons rayés et des boulets de 120 livres. Parmi ces pays nous avons nommé plus d'une fois l'Espagne; en 1860 encore, le réseau ferré y a continué ses développements rapides, Durant cette année, on a livré à l'exploi

tation les lignes et parties de lignes que voici: en Andalousie, de Séville à Xérès, 104 kilom., inaugurés le 1er mars; en Castille, le 1er août, ouverture d'une section de 128 kilom. comprise entre Valladolid et Alar; le 25 novembre, mise en exploitation de la ligne de San-Childrian à Burgos, 219 kilom.; dans la Navarre, on a circulé, à partir du 15 septembre, sur la section de Pampelune à Morillette, de la compagnie de Saragosse-Pampelune; sur la ligne de Madrid à Saragosse, exploitation, dès le 5 octobre, de la section de Guadalajara à Jadrague, 46 kilom.; la compagnie de Madrid à Alicante a ouvert à la circulation le chemin d'Alcazar à Ciudad-Réal, 12 kilom. Différentes autres sections ont été ouvertes, et la totalité des chemins de fer en exploitation s'élevait, à la fin de l'année, à 1,976 kilom., contre 1,136 kilom. seulement à la fin de 1859. Cette belle activité ne se ralentit heureusement pas en 1860 non plus. Un projet de loi soumis aux Cortès autorise le gouvernement à concéder un chemin de fer de Granolleres à San-Juan-de-las-Abadezas, et de lui accorder une subvention de 270,000 réaux par kilomètre. Ce qui mérite encore d'être signalé, c'est la promptitude avec laquelle l'exécution succède à la proposition; ainsi l'adjudication publique de la concession du chemin de fer de Léon à Ponferrada a eu lieu le 19 février 1861; le 16 mars, une ordonnance royale arrêtait le plan, et dès les premiers jours d'avril la main était mise à l'œuvre. Il y a un mois (13 mars), on a solennellement inauguré la section de Puerto-Réal à Cadix, par laquelle se trouve complétée la ligne de Cadix à Séville; après-demain (11 avril) doit être inaugurée la section de Tudela à Pampelune, qui constituera une nouvelle abréviation du trajet de Madrid vers la France.

Si ce n'est pas directement la France, ce sont au moins les capitaux français qui sont intéressés aussi dans une inauguration de chemin de fer, importante par elle-même, qui vient d'avoir lieu dans un pays qui, à tant d'autres titres, attire à présent l'attention de l'Europe; nous voulons parler de la ligne de Bude à Kanizsa, faisant partie du réseau de la compagnie franco-autrichienne. Cette ligne, ouverte le 20 mars, prépare la communication directe entre la capitale de la Hongrie et la mer Adriatique ; par Vienne et Trieste, la distance est de 111 lieues, tandis que par la nouvelle ligne la distance se trouve réduite à 81 licues; la différence du temps est plus grande encore, si l'on tient compte des retards qu'occasionne le transport sur le Sommering. Cette ligne met la Hongrie en communication avec les grands marchés consommateurs du monde, et facilitera l'écoulement de ses riches produits. Le transport des marchandises à, en effet, commencé le 22 mars par l'expédition de 50,000 metzen de maïs, que la maison anglaise de Bibby et fils a achetés en Hongrie et fait transporter à Liverpool.

J.-E. HORN.

2e SÉRIE. T. XXX.

15 avril 1861.- Supplément.

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SOCIÉTÉ D'ÉCONOMIE POLITIQUE

Suite de la réunion du 5 Mars 1861.

PRÉSIDENCE DE MM. C. DUNOYER ET L. DE LAVERGNE, MEMBRES DE L'INSTITUT.

S'il est exact de qualifier de JEUX DE BOURSE les spéculations sur les fonds publics et les valeurs industrielles?

Cette question avait été posée en ces termes par M. A. Courtois, négociant, un des rédacteurs du Journal des Économistes.

M. A. COURTOIS, invité par M. le Président à développer la proposition, dit que cette question lui a été suggérée par les expressions employées usuellement dans la conversation et la presse au sujet de tout ce qui concerne la Bourse opérations de jeu, jeux de bourse, tapis vert, dés, etc., quelquefois même dés pipés ou cartes bisautées, enfin tout le vocabulaire des termes employés dans les maisons de jeu les moins scrupuleuses, les plus susceptibles de tomber sous le coup de la loi.

Ces expressions sont-elles justes, exactes ? ou sont-elles des métaphores risquées?

Si elles sont justes, si la Bourse n'est qu'une maison de jeu, en vertu de la loi qui interdit en France les maisons de jeu, il faut également fermer la Bourse. L'auteur de la proposition (à qui les lois qui ont défendu en France les maisons de jeu et les loteries paraissent pleines de sagesse, par la raison que ces déplorables établissements blessaient les mœurs publiques et que le devoir d'un gouvernement est d'interdire tout ce qui choque les mœurs publiques de la nation à la tête de laquelle il est) insiste sur l'importance, à cet égard, de sa proposition. Ce n'est pas une question de mots, c'est une question de droit. La Bourse est-elle, oui ou non, un établissement de jeu? Si oui, fermons-la; si non, ne la tolérons pas seulement comme elle a lieu actuellement, mais accordons-lui le bénéfice de la juste protection qu'un gouvernement doit à ses contribuables en échange de l'impôt que ces derniers lui paient. La liberté sans la sécurité est une négation de la liberté; la Bourse n'est pas vraiment libre par le fait seul qu'on la tolère; il faut encore donner la sanction de la loi aux transactions qui s'y font.

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