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que le commerçant, qui se résout à un pareil retour, a fait le sacrifice de la perte au change, sacrifice compensé d'ailleurs, pour lui par la hausse de ses marchandises; par conséquent, on ne peut pas dire qu'il perdrait au retrait de la monnaie en question la différence de la valeur intrinsèque à la valeur nominale; dès lors il ne me semble pas juste de lui abandonner cette différence. Mais le change n'est pas constamment à la limite maximum, si toutefois il a jamais pu l'atteindre; d'autre part, tous les détenteurs de monnaie bolivienne ne sont pas dans le cas de ce commerçant; tous ne peuvent pas s'indemniser de l'élévation du change ou, ce qui revient au même, de la dépréciation de la monnaie; il en est beaucoup au contraire sur qui pèsent, sans compensation aucune, toutes les difficultés de la situation, tels sont les propriétaires qui ont fait des baux à longs termes, les pensionnaires de l'État, les fonctionnaires publics, dont les revenus sont invariables, et, en général tous les salariés qui peuvent difficilement modifier les conditions de leur travail. Tout le monde, il est vrai, gagnera par le retour normal des prix au niveau qu'une bonne monnaie comporte; mais tout le monde aussi perdra, plus ou moins, au moment du retrait de la mauvaise monnaie, si le remboursement n'en est pas fait au taux nominal pour lequel elle circule: que faire? Il y a encore cette circonstance que, bien qu'à certains égards complices de l'introduction de la mauvaise monnaie, le gouvernement n'en est pourtant pas l'auteur. La question, je le répète, est délicate. Pour qui ne voudrait favoriser ni blesser personne, elle est absolument insoluble. C'est le cas d'une transaction. En appelant à lui les délégués des différentes catégories de la population, en écoutant leurs plaintes et leurs propositions et en leur communiquant tour à tour ses vues, sans abandonner, bien entendu, son droit de suprématie comme représentant permanent de la souveraineté, le gouvernement arriverait à un arrangement, qui ne satisferait certainement pas tout le monde, mais qui aurait du moins le grand mérite de rejeter, autant que possible, sur la société entière la responsabilité de la résolution prise.

Je m'arrête ici. Si je devais épuiser toutes les considérations que soulève cette grave question, j'écrirais un volume; encore il n'est pas sûr que je dirais tout. Je vais bientôt partir pour le Chili, d'où je ne tarderai pas à me rendre en France. J'ai hâte de soumettre mes observations aux grandes et respectables autorités de notre Société d'économie politique.

A titre de variété et pour finir, je vous annoncerai que plusieurs chaires d'économie politique et de statistique ont été supprimées 'au Pérou. Le Ministre, qui a ordonné la mesure, a pensé que là où si longtemps on s'était passé d'un pareil enseignement, on pouvait bien encore élever la jeunesse sans le lui donner. C'est péremptoire. En revanche le gouvernement, sur la demande d'un de nos compatriotes, M. Jules Jariez, vient d'autoriser à ses frais une école d'arts et métiers.

Je ne vais pas oublier une fondation toute française, due à l'initiative de notre chargé d'affaires à Lima, M. Edmond de Lesseps; c'est une société de bienfaisance ayant en vue l'assistance des Français nécessiteux. Grâce à l'influence de son fondateur, influence aimable et délicate, cette institution a pu réunir, dès son début, un capital de vingt-cinq mille francs. Avec les cotisations mensuelles de ses membres, qui sont d'une piastre par personne, et ce capital est relativement considérable. elle a pu faire déjà beaucoup de bien, soit

en secourant les malades, soit en rapatriant ceux à qui seule la terre natale pouvait offrir des ressources. Elle fonctionne parfaitement bien; elle a ses réunions hebdomadaires, son bureau, ses commissaires, etc. Nos compatriotes ne se connaissaient pas tant d'aptitudes parlementaires, et ils ne sont pas encore revenus de l'étonnement de se voir constitués en corps délibérant, et délibérant avec sagesse. Puisse leur exemple s'étendre ailleurs !

Votre tout dévoué,

H. MANNEQUIN.

2o LETTRE.

Mon cher collègue,

Lima, le 13 mars 18:1.

Je sens le besoin de revenir sur ma letire du 27 du mois dernier, pour la compléter et peut-être même la rectifier. De pareilles matières réclament pour être exposées autant de soin que pour être apprises, et cette espèce d'improvisation que la forme épistolaire comporte ne s'y prête pas suffisamment. Il est vrai qu'une lettre peut être travaillée comme un article de revue; mais la mienne n'est pas dans ce cas, et voilà pourquoi il me faut aujourd'hui, sinon la rectifier, du moins la compléter.

Avant tout, je dois rétablir une vérité de fait que des renseignements inexacts m'ont fait altérer. Je vous annonçai que les chaires d'économie politique et de statistique avaient été supprimées à Lima; elles avaient été supprimées en effet, mais restaurées presque aussitôt. Je vous transmettais cette nouvelle le 27 février, et, quelques jours après, je recevais une invitation du professeur d'économie politique de San Carlos (la Sorbonne du Pérou), pour assister à des examens touchant précisément la matière que je croyais exclue du programme scolaire du pays. C'est toujours quelque chose de fâcheux d'apprendre qu'on s'est trompé, même sur un sujet sans importance.

A propos de cela, il n'est peut-être pas sans intérêt de vous dire quelque chose de ces examens des grands collèges de Lima, et notamment du collège de San Carlos. On appelle pour interroger les élèves des personnes étrangères au collège et même à l'enseignement, et ces examinateurs improvisés ont toute liberté pour questionner et embarrasser les jeunes gens, si bon leur semble. Je me trouvai ainsi être moi-même un examinateur de San-Carlos. Je dois dire que la jeunesse péruvienne se fait remarquer par une certaine facilite d'esprit, une grande mémoire et un aplomb surprenant. Ce type de l'enfance, etourdie dans la famille, mais timide et interdite devant les étrangers, n'est pas connu dans l'Amérique espagnole. Tous les enfants y sont de petits hommes. En revanche, on prétend que les hommes y sont de grands enfants. Je n'oserais pas dire que non, mais en même temps il faut reconnaître de notables exceptions. Les sociétés américaines-espagnoles ont beaucoup d'analogie avec les anciennes sociétés, dont l'histoire nous a donné, à mon avis, un portrait assez peu ressemblant; au milieu de masses ignorantes et superstitieuses on y trouve des figures étonnantes : c'est le reproche que je leur adresse; les publicistes qui s'occupent de l'Amérique espagnole sont beaucoup trop

frappés au contraire du spectacle des masses. Je ne veux, bien entendu, ni déprécier les peuples antiques ni exalter les peuples hispano-américains; mais je suis convaincu qu'il y aurait énormément à apprendre sur la nature essentielle des sociétés en général et de leur développement en étudiant sérieusement les constitutions intimes et si profondément troublées de tous ces rejetons que l'Espagne a semés dans le nouveau monde. Me voilà bien loin du collège de San Carlos et de ses élèves, mais je ne voulais pas vous en parler beaucoup, et puisque, d'ailleurs, je fais de la composition épistolaire, je me laisse aller au phénomène de l'association des idées. La cérémonie scolaire à laquelle je fus invité se termina comme beaucoup de choses graves à Lima on dansa. C'était chose assez curieuse que des quadrilles dans un cloître; le collége de San Carlos est un ancien couvent; mais les monuments les plus sévères sont habitués à tout au Pérou.

Je reviens à la question de la crise. Dans ma dernière lettre, je m'attachais à établir le fait de la circulation au Pérou d'une monnaie de mauvais aloi, qui a cours pour une valeur supérieure à sa valeur intrinsèque. Je maintiens ce fait dans toute son intégrité. Mais à côté, et en justification de l'opinion de M. Michel Chevalier que j'ai citée, je dois ajouter qu'il tend à disparaître. En effet, la mauvaise monnaie du Pérou tend clairement à ne circuler que pour une valeur égale à ce que la quantité de fin qu'elle contient représente sur le marché général du monde. Ce second fait n'est pas moins remarquable que le premier, et il justifie l'opinion parfaitement fondée des savants à ce sujet, en tant que principe s'appliquant à des périodes de temps suffisamment longues. Il en ressort en outre une explication plausible de la crise péruvienne. Comment, en effet, cette mauvaise monnaie aurait-elle la tendance qu'on lui reconnaît, si elle se comportait dans l'économie de la société de la même manière qu'une bonne monnaie? Mais, d'autre part, pourquoi y aurait-il crise au Pérou, si elle n'était pas soumise à la loi d'une pareille tendance? Une simple analyse rend toutes ces explications claires comme le jour.

Si la loi monétaire des deux étalons a pu faire sortir la bonne monnaie d'argent du Pérou, par cela seulement qu'elle créait une prime de 8 à 10 0/0 en faveur de l'exportation de cette bonne monnaie, à plus forte raison la monnaie bolivienne devait-elle produire le même effet, non-seulement pour les bonnes monnaies d'argent, mais encore pour la monnaie d'or, puisque la prime d'exportation qu'elle créait n'était pas moindre, à l'origine, de 25 à 30 0/0. Elle offrait encore une prime d'exportation pour tous les articles de retour sans exception, car l'importateur de cette monnaie gagnait tout autant, plus peutêtre, à exporter des lingots, du coton, de la laine ou de la cochenille, que de l'argent et de l'or monnayés. Par là s'expliquent encore le manque de retours, dont le commerce péruvien se plaint si amèrement, et l'apparent déficit des exportations. En effet, si les produits de l'industrie péruvienne, servant régulièrement, avec le guano, à payer les importations ordinaires du pays, c'està-dire celles qui sont destinées à la consommation intérieure, servent encore à payer une importation extraordinaire de mauvaise monnaie, il en résulte nécessairement un défaut de ces mêmes produits pour payer les importations ordinaires. Mais la monnaie bolivienne, entrant sans ressortir, ne peut pas manquer d'arriver à la dépréciation. Cela se conçoit faisant concurrence

aux importations régulières pour la demande des articles de retour, elle fait hausser ces articles, et comme, d'autre part, elle occasionne la hausse des importations régulières, afin que les négociants soient indemnisés de leurs pertes sur les retours, il en résulte que tous les prix s'élèvent, excepté le sien, et le principe posé par M. Michel Chevalier se vérifie. Les alternatives d'abondance et de rareté de traites sur l'Europe, occasionnées par les besoins irréguliers du gouvernement péruvien, s'ajoutant à tout cela, on comprend que la crise en question n'a que trop de raison d'être.

Le change, en apparence élevé, que payent aujourd'hui les commerçants du Pérou pour les traites sur l'Europe, est un double effet de la dépréciation de la monnaie bolivienne et de la rareté des traites: mais il prouve en même temps que la monnaie bolivienne n'est pas encore tombée à sa valeur intrinsèque. Cette valeur intrinsèque est à peine de 70 0/0; dès lors, le change, s'il correspondait seulement au faux de la monnaie, devrait se trouver au moins à 30 0/0, et, dans ce cas, il ne représenterait que le pair; c'est-à-dire qu'en réalité il n'y aurait pas change; eh bien, à la circonstance de la monnaie mauvaise s'ajoute la rareté des traites, rareté momentanée, causée par des avances considérables que les anciens et les nouveaux consignataires du guano ont faites au gouvernement, et, malgré cela, le change n'est pas à 30 00. Donc, je le répète, la monnaie bolivienne n'est pas encore arrivée au terme final de dépréciation auquel elle tend et que, selon toute probabilité, elle ne tardera pas à atteindre.

Cette tendance n'est pas comprise ici; il y a plus, on l'a vu, et, d'autre part, par une contradiction qui devrait être étonnante, mais qui n'étonne pas, tant les questions économiques en soulèvent, on prétend la combattre et la détruire. Une étrange question était posée dernièrement dans un cercle de négociants de Lima appelé bourse. Elle est relative à la liberté du change.

Le gouvernement péruvien, qui, comme je vous l'ai dit, est producteur et exportateur du guano, se trouve par cela même être le principal fournisseur de traites sur l'Europe. Pour des raisons que je ne veux pas examiner ici, il lui a plu de fixer le change de ses traites à un taux invariable, et, comme il fournit à lui seul au moins les quatre cinquièmes de toutes les traites tirées, il en résulte qu'il pèse énormément sur le cours naturel du change. Toutefois. son action, toute puissante qu'elle est, n'empêche pas le change de s'élever en dehors de sa sphère, au-dessus de la limite qu'il s'est imposée à lui-même. Ainsi, en ce moment, le change se trouve être environ du double de ce que déclare le gouvernement. Il résulte de là mille inconvénients dont les moindres sont encore fort graves. J'en citerai un seul. Un navire arrive au port de Lima, et ses connaissements portent que le fret lui sera payé en monnaie courante du pays avec bonification du change au cours du jour de son arrivée: mais quel est le change? Les commerçants prétendent que c'est celui fixé par le gouvernement, parce que c'est de beaucoup celui qui domine les autres généralement. Cela est vrai quand le gouvernement tire et qu'il tire en quantite suffisante pour les besoins du commerce; mais quand il ne tire pas ou qu'il ne tire pas suffisamment ? Alors le change est supérieur, ou du moins il y a deux changes. Dans tous les cas, dit avec raison le capitaine du navire à son consignataire, le change ne peut être que celui auquel je puis me procurer des traites, et je ne puis pas m'en procurer au taux fixé par le gouvernement.

Plusieurs procès ont été suscités à Lima à cette occasion, et, aujourd'hui encore, il s'en débat devant les tribunaux du pays. Mais cet inconvénient n'est pas de beaucoup le plus grave.

Des négociants, qu'un pareil état de choses troublait dans leurs opérations, ont proposé à la bourse de demander au gouvernement qu'il laissât le change de ses propres lettres suivre le cours naturel des événements; en un mot, qu'il laissât complète liberté au change. Au point de vue des principes, cela n'est pas discutable. C'est méconnaître la nature essentielle du change, c'est la violer que de vouloir lui imposer une fixité qui en est la négation. Mais la fixité arbitraire du change pour les traites du gouvernement a créé des intérêts puissants, qui se dressent aujourd'hui devant l'intérêt commun, en alléguant, suivant l'usage, qu'ils représentent mieux que leurs adversaires l'intérêt commun; l'honneur national du Pérou, suivant eux, tient à la fixité du change. Il faut avouer que cet honneur-là ne tient lui-même ni à la justice ni à la saine raison; mais l'honneur, ou du moins ce qu'on entend par ce mot, présente souvent des contradictions aussi choquantes. Bref, la bourse de Lima a décidé à une grande majorité que le change des traites du gouvernement devait rester fixe.

Voilà une mesure, si elle est maintenue, qui contrariera la tendance de la mauvaise monnaie à circuler pour sa valeur intrinsèque. Je crois pourtant que cette tendance finira par l'emporter. Mais que de fléaux cette opposition ne doit-elle pas appeler sur le Pérou? Si les nations savaient combien elles sont intéressées à ne jamais violer les principes de l'économie politique, et par conséquent à les connaître !

Votre tout dévoué collègue et ami,

H. MANNEQUIN.

DES MINES

REDEVANCES DES

La circulaire que vient d'adresser, il y a peu de temps, le Ministre de l'agriculture, du commerce et des travaux publics aux préfets, pour l'établissement de la redevance proportionnelle des mines, en faisant droit aux légitimes réclamations des exploitants, tranche en leur faveur les difficultés que la perception de ces droits n'a cessé de soulever entre ceux-ci et l'administration. Elle est en harmonie avec l'interprétation juste et logique de la loi de 1810 et des remarquables discussions qui ont précédé son adoption. Il n'est pas sans intérêt de rappeler leş principes proclamés alors, car on est étonné de voir comment on a pu les méconnaitre si longtemps et en fausser si arbitrairement l'application.

«S'il est juste, disait le comte de Girardin, à la tribune législative, le 21 avril 1810, que les propriétaires de mines paient une redevance à l'État,

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