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lions d'aggravation sur les impôts directs, en même temps que les impôts indirects subissaient une réduction de 144 millions.

Le second Empire a pu ramener les contributions directes de 633 millions à 479, pendant que les impôts indirects s'élevaient de 630 millions à un peu plus d'un milliard; malgré de nombreux et importants dégrèvements sur les tarifs d'importation, le budget total monte à 4,703 millions, (1861) que les frais de perception et les réductions d'ordre ramènent à 1,394 millions de produit net.

De ces rapprochements, M. d'Audiffret conclut que les progrès de la fortune nationale et du crédit public ont été constamment subordonnés aux vicissitudes politiques et aux formes du gouvernement, plus ou moins favorables à la marche providentielle de le civilisation. Il ne dissimule pas, du reste, la vive sollicitude que doit exciter l'accroissement incessant de la dette publique dont les chiffres suivants marquent la progression :

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L'Empire actuel est pour près de moitié dans ce dernier chiffre.

Cet énorme accroissement, accusé avec discrétion, mais avec une clarté suffisante, n'autorise pas une confiance aveugle dans notre système financier. Telle a été la pensée qu'ont exprimée MM. Dupin et Michel Chevalier, qui ont signalé, l'un, la dangereuse facilité des emprunts publics, l'autre, la préférence due à l'impôt pour les besoins imprévus des Etats, et M. d'Audiffret lui-même s'est rallié à l'opinion de ses confrères. On pourrait même induire de son lumineux et précis Aperçu, que la prospérité financière d'un pays dépend plutôt de la paix à l'intérieur et au dehors que des formes politiques.

La Restauration, le gouvernement de Louis-Philippe et le nouvel Empire, qu'il cite pour le bon état de leurs finances, ont en commun leur caractère pacifique et non l'analogie des gouvernements, tandis que la monarchie de 1789 et les deux Républiques ont eu leurs finances embarrassées sans avoir rien de commun dans leurs constitutions politiques. On doit même dire que des guerres incidentes, qui n'épuisent et ne troublent pas le pays, n'entraînent pas nécessairement de fortes aggravations de la dette publique, car elle s'est peu ressentie de la conquête de l'Algérie, laquelle a pourtant exigé, pendant plusieurs années, une armée de cent mille hommes et coûté 100 millions au Trésor. Si des guerres locales et courtes comme celles de Crimée, d'Italie, de Syrie grèvent énormément notre situation, que serait-ce de guerres longues et générales comme en connut le premier Empire! C'est l'emprunt, trop facilement substitué à l'impôt, qui favorise ces inquiétantes aggravations de l'état financier du pays.

Une autre promesse de M. Maury, dont je ne me crois pas quitte, bien qu'elle me concerne, se rapportait à un petit livre que j'ai publié l'an dernier, sous le titre de Gheel ou une Colonie d'aliénés vivant en famille et en liberté (1). M. Maury devait résumer le rapport favorable qu'a bien voulu en faire M. Michel Chevalier, et les observations qui ont été échangées entre divers membres. Je le ferai avec autant d'impartialité qu'il l'eût fait lui-même. L'économie politique est moins étrangère à ce débat qu'elle pourrait le croire : il ne lui est pas indifférent d'apprendre que la liberté et la famille, qui sont à ses yeux, et avec toute vérité, les conditions de l'essor harmonique de nos facultés, sont aussi les bases du meilleur traitement de l'aliénation mentale. Leur influence, qui développe la raison dans les esprits sains, la ramène dans les cerveaux égarés, bien mieux que la contrainte des chaînes, ou que l'isolement des cabanons ou la communauté des hospices.

C'est la conclusion qui ressort invinciblement du spectacle que j'ai vu dans la commune de Gheel, en Belgique, laquelle s'est donné, depuis un millier d'années, la singulière spécialité du traitement des aliénés dans les maisons particulières. Les 40,000 habitants qui la composent, entretiennent, surveillent, protégent, soignent 8 à 900 aliénés qui vivent, au milieu d'eux, intimement mêlés à l'existence des familles, aux travaux des ateliers, des jardins, des champs, jouissant de la libre circulation dans les rues et les places, de la libre fréquentation des lieux publics, sans qu'il soit besoin d'imposer que de légères entraves aux pieds à une cinquantaine d'entre eux, trop enclins à s'évader. Ce curieux phénomène social, unique sur la terre, est le sujet de mon écrit, dont M. Michel Chevalier a dit, en l'offrant à l'Académie : « La description, faite par M. Jules Duval, de la colonie de Gheel, est complète, et les réflexions que cette institution lui inspire sont justes. Sans avoir fait de la matière l'objet d'études spéciales, je ne puis me défendre de partager l'espoir de M. Duval, qu'il faut chercher l'amélioration du sort des aliénés dans une intelligente imitation de ce qui se pratique à Gheel; c'est ce qui me paraît donner à son travail un prix tout particulier. »

Le rapport de M. Michel Chevalier a suscité des observations de MM. Lélut et Giraud, qui ont pensé que ce qui s'observe à Gheel ne diffère pas essentiellement de ce que l'on voit à la ferme Sainte-Anne, annexe de Bicêtre, où des escouades d'aliénés travaillent aux champs sous la conduite d'employés intelligents; et encore à Dijon, à Châlonssur-Marne, à Auxerre, à Clermont, où les établissements d'aliénés prennent de plus en plus le caractère de colonies agricoles, au grand

(1) Librairie Guillaumin et C. Prix, 2 francs.

profit des malades et des finances de la maison. Ces honorables savants n'ayant pas lu mon livre, il est naturel qu'ils aient cru à une telle ressemblance; mais rien n'est moins exact. Dans tous les établissements officiels ou particuliers, les aliénés sont assujettis à un règlement disciplinaire, vivent en commun ou isolés sous la garde de surveillants; ils forment des groupes distincts de la population qui les entoure; la vie de famille ne se trouve que dans quelques rares maisons de santé destinées à des malades opulents. Partout un mur plus ou moins haut et des portes verrouillées circonscrivent les promenades dans un cercle étroit. En un mot, la réclusion est le caractère commun de tous les hospices d'aliénés; ce qui, en toute justice, les assimile aux prisons. Gheel, fondé sur l'heureuse influence de la famille et de la liberté, est la négation radicale et absolue d'un tel systeme. La discipline y est remplacée par l'ascendant moral que savent prendre sur le malade le maître de la maison, la femme, la jeune fille et l'enfant lui-même. Aucun mur n'y circonscrit l'horizon. L'aliéné ne se distingue, que par ses excentricités, du reste de la population. Il jouit du droit commun. Evidemment rien de pareil ne s'est vu nulle autre part, en aucun temps.

M. Villermé seu! a pu citer un fait analogue en France, pour des aliénés et des idiots, qu'une famille de Sainte-Marie-aux-Mines recevait en pension, conduisait au travail, soignait avec douceur et intelligence. C'était bien le germe de Gheel; mais il a disparu sans laisser de fruit durable. J'ai appris aussi, depuis l'impression de mon livre, que le curé de Saint-Martin, à Beaupréau, dans l'Anjou, recueille paternellement un assez grand nombre d'aliénés, qu'il dirige avec un remarquable succès, par sa seule autorité morale. Des instituts monastiques, m'a-t-on dit également, sont en voie de se fonder, pour donner au traitement des aliénés un caractère de mansuétude et de demi-liberté que des serviteurs salariés et les nécessités administratives ne sauraient admettre au même degré. Mais, sans désapprouver ces généreuses tentatives du sentiment religieux, je dois constater qu'il leur manquera toujours ce qui fait la vertu de Gheel, le milieu affectueux de la famille, le charme d'un foyer domestique, où le malade vit paisible et libre, entouré de la vigilante et sympathique sollicitude des femmes et du joyeux cortége des enfants.

Du reste, l'idée fait son chemin dans le monde; la plupart des gouvernements européens ont envoyé à Gheel, en mission, des médecins dont les rapports ont été favorables; et l'un des derniers venus, le docteur Pujada, de Madrid, a pensé qu'il ne pouvait mieux faire que de proposer, en Espagne, une imitation de Gheel, autant qu'elle est possible avec des éléments différents. M. Brière de Boismont, en portant ce fait à la connaissance de la société médico-psychologique, a provoqué une vive critique de Gheel par M. Ferrus, qui a déclaré l'institution

détestable sous le double rapport médical et moral. Comme il n'avait pas visité la colonie de Gheel depuis 1849, il pouvait ignorer, malgré les nombreuses publications de la Société de médecine de Belgique, les améliorations qu'y avait introduites, depuis cette époque, M. le docteur Parigot, pendant six années, comme inspecteur du service médical, et qu'y continue et développe depuis quatre années M. Bulckens, son successeur. Mais comment croire que la vie de famille puisse être, sous le rapport moral, inférieure à la séquestration qui entasse des centaines et des milliers de malheureux dans un même local, sur quelques hectares de terrain ? Aussi le savant inspecteur général a-t-il trouvé un ferme contradicteur dans son confrère M. Moreau (de Tours), qui, le premier entre les médecins français, a eu la sagacité, il y a près de ving ans, de soupçonner toute la valeur du système de Gheel et de le patronner? Entre des affirmations contradictoires, la Société a jugé nécessaire l'envoi d'une commission sur les lieux : elle se compose de MM. Michéa, Moreau (de Tours), Mesnet, J. Falret et Ferrus (4), auxquels s'adjoindra M. Legrand du Saulle, secrétaire de la Société. Elle est sans doute en ce moment à Gheel mème. Il n'y avait rien de mieux à faire. Nous savons qu'en Belgique on attend avec une entière confiance une inspection et un rapport qui pourront déterminer, en faveur de milliers d'infortunés, une réforme plus secourable encore que celle dont Pinel prit l'initiative vers la fin du dernier siècle.

L'arriéré réglé, revenons au courant des travaux de l'Académie, parmi lesquels nous trouvons d'abord un très-important mémoire de M. Léonce de Lavergne sur les Assemblées provinciales de l'ancienne France, institution qui, dans la pensée de Louis XVI et de ses ministres, devait rappeler aux diverses provinces de France les anciens États qu'elles avaient toutes possédés au moyen âge, pour le vote et la répartition des impôts.

Ces assemblées représentatives avaient disparu pour la plupart sous Richelieu; un quart seulement du territoire les avait conservées jusqu'en 1789 c'étaient la Bourgogne, la Bretagne, le Languedoc, quelques petits pays au pied des Pyrénées, et, à quelques égards, la Provence. Tout le reste était administré despotiquement par des intendants ou commissaires départis nommés par le roi. L'institution de ces commissaires remontait jusqu'au seizième siècle, mais elle n'avait pris sa dernière forme que sous Richelieu. Pendant tout le règne de Louis XIV les intendants furent les instruments passifs de la plus horrible oppression. Tous les documents de la fin du dix-septième siècle sont unanimes pour les condamner. Vauban, Boisguillebert, Saint-Simon, Boulain

(4) M. Ferrus est décédé il y a quelques mois.

villiers leur attribuent l'état de misère et de dépopulation où la France était tombée.

Dans un Plan de gouvernement pour le duc de Bourgogne, Fénelon ne se contente pas d'exprimer le même jugement sur l'administration des intendants; il indique le véritable remède : le rétablissement des anciens États provinciaux, qui, au moment où il écrivait, n'avaient disparu, pour la plupart, que depuis moins d'un siècle. Telle était, en effet, l'intention secrète du duc de Bourgogne, mais la mort ne lui permit pas d'exécuter ses projets. Pendant tout le règne de Louis XV, le pouvoir absolu des intendants fut maintenu; l'idée contraire ne périt pas cependant on la retrouve dans les écrits de tous les économistes, et en particulier dans ceux du marquis de Mirabeau, l'ami des hommes, qui écrivit à ce sujet un mémoire spécial, souvent réimprimé. Dans ce Mémoire sur les Etats provinciaux, le marquis de Mirabeau reprenait et développait la pensée de Fénelon, et rappelait inutilement à Louis XV les intentions de son père.

Quand Turgot devint ministre, à l'avénement de Louis XVI, il fit rédiger par son ami, Dupont de Nemours, un mémoire au roi sur les municipalités, qui contenait tout un plan de représentation provinciale; mais il sortit du ministère sans avoir eu le temps de le réaliser. Après lui, Necker fit la même proposition à Louis XVI, et cette fois elle fut suivie d'effet. Un édit de 1778 créa dans le Berri une assemblée provinciale qui devait servir d'essai; cette assemblée se composait de 48 membres, dont 12 de l'ordre du clergé, 12 de l'ordre de la noblesse et 24 du tiers-état. Les voix devaient se compter par tête. On voit que les trois principes qui ont triomphé dix ans plus tard dans l'Assemblée constituante la double représentation du tiers-état, la réunion des ordres et le vote par tête, n'étaient pas nouveaux en 1789. Le roi désigna luimeme les 16 premiers membres de l'assemblée du Berri, qui choisirent les 32 autres. Cette assemblée se réunit à Bourges sous la présidence de l'archevêque, et les résultats de ses premiers travaux furent tels, que, dès l'année suivante, Necker crut pouvoir créer une seconde assemblée provinciale dans la Haute-Guienne.

L'intention du ministre était d'établir successivement de pareilles assemblées dans toutes les provinces qui n'avaient pas d'états provinciaux; mais il fut renversé en 1781. Son plan succomba avec lui, et on craignit même un moment pour l'existence des deux assemblées qu'il avait instituées. Elles résistèrent cependant et continuèrent à porter de tels fruits, que l'opinion publique se prononça avec beaucoup de force pour la généralisation de l'institution. Quand l'assemblée générale des notables fut convoquée en 1787, M. de Calonne, alors ministre, lui proposa la création d'assemblées provinciales dans toutes les provinces, et ce projet ayant reçu l'assentiment des notables, l'édit fut 2 SÉRIE. T. xxx. 15 mai 1861.

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