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Rapporteur d'une commission nommée par le préfet pour examiner l'Exposition de 1860 au point de vue des intérêts agricoles du département, M. Teyssier des Farges développe quelques-unes des questions discutées dans le sein de cette commission, présidée par M. Drouyn de Lhuys et composée de propriétaires et d'agriculteurs notables. Il constate que la Brie, dont les troupeaux sont en majeure partie composés de mérinos produisant une excellente laine fine intermédiaire indispensable pour les besoins d'un grand nombre de fabriques, n'a rien à craindre du nouveau régime des laines, et il donne de cette opinion des raisons décisives. Il établit que, quand le sol et le climat sont favorables à une industrie agricole quelconque, il n'y a pas à redouter la concurrence étrangère, attendu qu'on ne produit nulle part sans frais, et que la production n'augmente qu'à l'aide des hommes qui consomment. Il repousse donc les vaines terreurs de ceux qui veulent voir dans les colonies des produits indéfinis destinés à inonder l'Europe. Comme expression de l'opinion collective de propriétaires et de cultivateurs éclairés et importants, c'est un fait bien digne d'être noté.

Abordant ensuite la question spéciale des races, M. Teyssier des Farges soutient que, tout au moins pour une partie de la France, la race mérinos est préférable à toute autre, et notamment aux races perfectionnées de l'Angleterre, soit au point de vue de la laine, ce qui est incontestable, soit au point de vue de la viande, et finalement du profit. Il suffit, suivant lui et les éleveurs dont il est l'organe, d'apporter dans la sélection des reproducteurs et dans le régime le tact et les soins convenables pour obtenir des résultats aussi satisfaisants que ceux qui sont donnés par les meilleures races anglaises, dont la réussite est souvent douteuse en France ainsi que leurs croisements, et qui ne produisent qu'une laine lisse ou commune, propre seulement au peigne, tandis que la laine mérinos est propre au peigne et à la carde.

Ces questions ont une véritable importance. La laine et la viande jouent dans la consommation générale un rôle de premier ordre. Tout le monde le comprend pour la viande. Pour la laine, il ne faut pas oublier que chaque année maintenant la France achète à l'étranger des laines dont la très-grande partie se compose de laines fines et dont la valeur dépasse 150 millions. On peut voir par ce chiffre de quel intérêt cette question est pour l'agriculture.

L'économie politique peut enregistrer un nouveau succès. De même que Montpellier, Reims vient d'ouvrir un cours d'économie politique, et tout fait espérer que le nouveau professeur, notre confrère et ami M. Victor Modeste, y obtiendra le même accueil qui a été fait à M. Fré

déric Passy par la ville de Montpellier. M. Victor Modeste a ouvert son cours devant une nombreuse assistance, et sa leçon a fait une vive impression sur l'auditoire. Tous ceux qui connaissent notre honorable confrère ne doutent point du succès qu'obtiendront ces leçons si brillamment inaugurées.

HENRI BAUDRILLART.

Paris, 15 mai 1861.

L'Administrateur-Gérant, GUILLAUMIN.

PARIS. — IMP. DE POUPART-DAVYL Et ce, rue du bac, 30.

DES

ÉCONOMISTES

LA CRISE AMÉRICAINE

La crise américaine préoccupe tous les esprits. La rupture de l'Union, si elle se consomme définitivement, comme tout aujourd'hui l'annonce, sera un des grands événements du XIXe siècle, un des plus féconds en conséquences de tout genre, immédiates ou lointaines. Parmi ces conséquences, il n'est pas douteux qu'il faille placer la disparition de l'esclavage des contrées où il garde ses dernières positions, que les vingt-cinq dernières années semblaient avoir fortifiées. Avant que les événements aient fait un pas de plus, pas qui paraît devoir être prochain et décisif, nous voudrions indiquer sommairement quelques-unes des grandes questions économiques, quelques-uns des graves intérêts qui se trouvent impliqués dans la lutte dont les États-Unis sont le théâtre dès aujourd'hui. Il y a là, pour la science attentive à recueillir les expériences qui se poursuivent sur la scène du monde, devant les yeux souvent éblouis des spectateurs absorbés par les péripéties du présent à mesure qu'elles se déroulent, d'utiles leçons à mettre en lumière; il y a là, pour elle, comme une vérification de ses principes, dont c'est son droit et même son devoir de se prévaloir à la face des sceptiques qui la nient et des indifférents qui la dédaignent.

La position prise par l'économie politique à l'égard de la question de l'esclavage a cela de particulier et de vraiment remarquable, qu'elle a été exempte de toutes les incertitudes et de toutes les contradictions 2e SÉRIE. T. XXX. - 15 juin 1861.

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qui ont marqué les jugements qu'en ont portés les autres sciences morales et politiques. La religion elle-même a douté, en dépit de la pensée de fraternité et d'égalité déposée dans l'Évangile. S'il est vrai que, comprise comme elle doit l'être, elle ait inspiré à un Channing son admirable livre sur l'Esclavage, il ne l'est pas moins qu'elle fournit encore des armes aux esclavagistes du Sud par la voix autorisée des pasteurs protestants, occupés à démontrer à l'esclave la sainteté de ses chaînes. La philosophie, si hardie d'ordinaire, a douté aussi : Platon, dans sa République, Aristote, dans sa Politique, ont justifié la vieille et inique institution, tout comme saint Thomas d'Aquin l'avait légitimée dans le De regimine principum, tout comme Mer Bouvier, évêque du Mans, persistait à la trouver conforme à la loi divine dans ses Instructions théologiques naguère enseignées au séminaire du Saint-Esprit de Paris. La science du droit a douté de son côté, ainsi que l'attestent les nobles combats livrés à leurs émules en science juridique par Jean Bodin au xvIe siècle, par Montesquieu au XVIII. La politique a été pleine enfin des tâtonnements qui signalent habituellement sa marche dans toutes les questions imaginables. Seule, l'économie politique a envisagé d'emblée le problème par le bon côté et a déclaré, sans la moindre hésitation, à l'unanimité de ses adeptes, depuis cent ans, l'esclavage inique, funeste, fatal aux sociétés qui le prennent pour base, non moins contraire aux intérêts bien entendus des nations qu'opposé aux principes de la dignité humaine, de l'égalité, de l'éternelle morale en un mot méconnue et foulée aux pieds par un égoïsme brutal s'affublant après coup de sophismes d'emprunt fournis par des docteurs complaisants, comme les mauvaises causes n'en manquent jamais.

Les États-Unis sont restés le vivant témoin de la vérité de cet enseignement taxé aujourd'hui encore, par bien des gens surnommés pratiques, de vaine théorie, et leur dissolution, qu'on a longtemps considérée comme un fantôme chimérique agité par de dangereux utopistes, atteste si le danger que l'esclavage faisait courir à la sécurité de la grande république était réel ou non. Depuis que Benjamin Franklin, Washington, Jefferson ont accompli l'œuvre de l'émancipation politique, qu'a fait des États-Unis l'institution de l'esclavage? Quel est le principe de la science économique, quel est le pronostic fâcheux de ceux qui cultivent ses enseignements comme le résumé authentique de l'expérience acquise, comme l'expression de la théorie la plus éclairée, qui n'ait été justifié tristement par l'histoire de cette institution déplorable dans cette partie du monde? Ne parlons même pas de la honte infligée

à une république qui se dit chrétienne, à un des principaux États d'un âge de civilisation, par la flétrissure morale de l'esclavage, par les mauvais traitements infligés à des hommes qui, fussent-ils traités d'ailleurs avec tous les égards possibles, n'en seraient pas moins mis au rang des animaux. N'insistons pas sur ce qu'il y a de monstrueux dans cet interdit de la propriété et même, chose horrible! de la famille, jeté avec une insolence sans pareille par une race sur une autre réputée inférieure, comme si cette infériorité équivalait à l'effacement des droits et des besoins de l'humanité, comme si ce qui s'est passé à la Martinique et à la Guadeloupe depuis l'émancipation de ces colonies ne prouvait pas que les nègres libres sont, aussi bien que les blancs, nés pour la vie de famille, et savent en apprécier les joies comme en pratiquer les devoirs! Laissons à d'autres le soin de montrer l'immoralité inévitable que l'esclavage engendre parmi les maîtres américains qu'il dégrade à son niveau. Le mot d'institution domestique, mis en avant par les Américains du Sud, n'est-il pas étrangement trouvé? Singulière institution domestique que celle qui corrompt les maris et les fils, et qui se traduit, pour l'édification des familles, par des naissances illégitimes formant plus du septième de la population, sans compter les avortements et les pratiques vicieuses qui rendent presque morale, par comparaison, l'illégitimité des naissances elle-même! Qu'il ne soit question que de population et de capitaux: or, qui peut douter que si, dans la lutte actuellement engagée, le Sud se présente devant le Nord avec une infériorité marquée, c'est à l'institution domestique et aux défauts, qui en sont le vice originel, qu'il le doit? qui peut en douter sachant qu'au début de la confédération, la supériorité du Midi n'était pas contestable. Partout presque la supériorité du nombre, des lumières, de l'intelligence se manifestait de son côté sans équivoque. Cette forte et fine race, qui a fourni à l'Union la plupart de ses présidents, paraissait née pour dominer et pour ajouter les splendeurs des arts comme l'éclat de la politique à l'ascendant du commerce. Elle semblait faite pour mêler la fleur de la civilisation à ses fruits savoureux. Mais, d'un côté, était le travail libre, progressif dès lors; del'autre, le travail esclave. Voilà pourquoi la Virginie n'atteint qu'à 1,600,000 àmes, tandis que la Pensylvanie, délivrée de l'esclavage peu de temps après la guerre de l'indépendance, n'est de monter à 3 millions d'âmes, de 434,000 qu'elle avait alors; exemple concluant, car il se reproduit partout, dans la comparaison des États libres aux États à esclaves, pour l'État de New-York, pour l'État de l'Ohio, pour l'Illinois, dont la population s'accroît avec l'aisance si ra

pas loin

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