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aux jeunes garçons, des cours à peu près semblables à ceux de l'école impériale de Paris. La Société industrielle de Mulhouse entretient une école où se recrutent les dessinateurs de l'industrie alsacienne, et Lyon possède aussi des classes de dessin dont ses soieries attestent l'heureuse influence.

Il suffirait, pour compléter ces moyens d'enseignement, que les corps municipaux, ou les sociétés industrielles établissent un plus grand nombre d'écoles du même genre, en ayant soin de fournir aux élèves des modèles corrects, puisés aux sources les plus pures. Au dessin devrait s'ajouter le modelage qui met à même de se rendre compte des formes, ainsi que la géométrie élémentaire qui sert à régler l'imagination. Puis il importerait que chaque année des concours fussent ouverts entre les élèves et suivis d'expositions et de distributions de prix; la publicité, la présence des autorités, rehaussent le mérite et excitent l'émulation. On pourrait ainsi doter à peu de frais l'industrie d'un capital immense qui non-seulement la mettrait en état de lutter avec avantage contre ses rivales du dehors, mais qui contribuerait en outre à avancer la civilisation dans le pays en y répandant des objets propres à développer l'amour du beau (1).

Il nous reste à parler de la production agricole.

III

Les travailleurs de l'agriculture ont besoin d'un ensemble de connaissances beaucoup plus nombreuses et plus variées que ceux de l'industrie. En effet, la division du travail n'est praticable que dans les grandes exploitations agricoles, et encore est-ce à un degré infiniment moindre que dans les établissements industriels. Tandis que les produits de ces derniers sont le résultat de la coopération d'un certain nombre de mains différentes qui ont chacune leur emploi spécial, le cultivateur ordinaire est obligé d'exécuter successivement un grand nombre de tâches diverses auxquelles il doit se rendre également apte (2). Les récoltes, d'ailleurs, étant exposées à mille accidents résultant des lois de la nature et qu'il n'est pas donné à l'homme d'empêcher, il faut que l'agriculteur s'ingénie à les éviter au moins autant que possible, qu'il s'efforce d'en atténuer ou d'en neutraliser les effets, et pour y parvenir, il

(1) On trouvera dans l'ouvrage déjà cité de M. L. de Laborde d'excellentes observations sur cette partie de l'enseignement industriel.

(2) Voy. dans le Dictionnaire de l'économie politique (Guillaumin et C"), l'article AGRICULTURE, de M. Hippolyte Passy.

doit combiner plus de notions et d'idées que l'industriel n'a besoin d'en appliquer à ses travaux (1).

Seulement l'enseignement agricole a plus ou moins de variété et d'étendue suivant l'économie rurale de chaque pays. Ainsi, en Angleterre, où les efforts des producteurs tendent essentiellement à fournir du pain et de la viande en abondance, et où, par conséquent, il n'existe qu'un petit nombre de cultures organisées sur la plus grande échelle, le cercle des études est moins étendu qu'en France où ces mêmes cultures organisées sont accompagnées de celles de la vigne, du tabac, de la garance, du mûrier, de l'olivier. De même que les Belges, nous rachetons par la variété et l'originalité de la production, son infériorité sous le rapport de la quantité produite. Il y a plus de richesse sous un moindre volume; mais il faut aussi plus d'art dans une pareille diversité de cultures, plus d'efforts d'intelligence pour les faire progresser ensemble; et partant, des moyens d'instruction plus étendus (2).

L'enseignement agricole peut exercer une influence bienfaisante, nonseulement dans les régions où la production est sollicitée par de larges débouchés, mais encore dans celles où la population est clair-semée, où il y a peu de villes, peu d'industrie, peu de moyens de communication, et par conséquent où la consommation est restreinte et la valeur vénale des produits peu élevée. Seulement dans les régions qui renferment des centres de population importants, l'enseignement sert directement à établir uue culture intensive en proportion avec les besoins de la consommation, tandis que dans les régions où les débouchés manquent encore, son rôle est de hâter les changements propres à abaisser les frais de la production et à procurer aux consommateurs les produits à meilleur maché. Il favorise ainsi l'accroissement de la population, en lui permettant de se nourrir plus largement, et par suite, le développement de la production, en créant de nouveaux débouchés.

(1) C'est cette lutte que lord Ashburton décrivait ainsi à Gloucester en 1853 « Vous ne pouvez arrêter les déluges de pluie, disait-il aux agriculteurs, mais vous écoulez par le drainage l'humidité surabondante; vous ne pouvez prévenir la sécheresse, mais vous pulvérisez la terre par vos machines à une telle profondeur, vous donnez une telle vigueur aux plantes par vos engrais, que vous la défiez; vous ne pouvez empêcher la multiplication des insectes nuisibles, mais vous pressez par des moyens artificiels la végétation de vos turneps de manière à leur échapper. Vous avez inventé des races d'animaux qui vous permettent de faire un boeuf en vingt mois et un mouton en quinze; vous avez appelé la vapeur à votre aide, et la vapeur vous a obei; en un mot, vous avez ôté à l'agriculture un caractère empirique pour en faire la première des sciences et le premiers arts.» (Économie rurale de l'Angleterre, par M. L. de Lavergne.)

(2) Voy. l'Économie rurale de la France, par M. de Lavergne.

C'est l'État qui, chez nous, pourvoit à l'enseignement agricole. Trois écoles impériales établies à Grignon, à Grand-Jouan et à la Saulsaie, servent à former des chefs de grandes exploitations, et cinquante-une fermes-écoles sont destinées aux maîtres-valets, valets de ferme et autres ouvriers. Les apprentis admis gratuitement dans ces derniers établissements, se choisissent parmi les travailleurs ruraux; ils reçoivent un enseignement essentiellement pratique, en même temps qu'ils sont rémunérés de leur travail. Dans les écoles impériales, les études embrassent la théorie et la pratique; tout en suivant les cours scientifiques, les élèves sont chargés, à tour de rôle, des principaux services de l'établissement, et s'exercent à toutes les opérations en passant successivement dans les écuries, les étables, les bergeries, les porcheries et les ateliers de culture. Il existe aussi des cours publics en divers endroits. A Paris, trois des chaires du Conservatoire impérial des arts et métiers sont consacrées à l'agriculture; celle de chimie agricole est occupée par M. Boussingault qui a illustré son nom par ses découvertes concernant l'action que les engrais exercent sur la végétation suivant leur nature et leur composition. Des leçons également utiles se donnent au Muséum d'histoire naturelle. Dans les départements, neuf chaires d'agriculture sont instituées à Rodez, Besançon, Quimper, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Compiègne, Rouen, Amiens, et trois des professeurs des facultés des sciences de Rennes, de Caen et de Bordeaux font des cours de chimie agricole.

Cependant ces moyens d'enseignement ne satisfont pas encore à tous les besoins. Il n'existe point de fermes-écoles dans une trentaine de départements, où des établissements de ce genre ne seraient pas moins utiles que dans les autres. Ensuite, beaucoup d'agriculteurs voudraient pour leurs enfants un enseignement organisé de façon que ces derniers pussent, de huit à quatorze ou quinze ans, apprendre, avec les connaissances dont se compose l'instruction primaire suivant la loi de 4850, les éléments de botanique, de chimie et de physique nécessaires à la culture, ainsi que la comptabilité agricole. «Nos enfants, disent ces agriculteurs, rentreraient ensuite chez nous pour recevoir sous notre direction l'instruction pratique, et ils n'auraient plus qu'à se tenir au courant des perfectionnements par les moyens ordinaires. Les écoles impériales sont bonnes pour former d'habiles régisseurs de grands domaines; mais nos exploitations ne demandent pas un cours d'études aussi étendu. On n'entre dans ces établissements qu'à dix-sept ans; on n'en sort qu'à vingt; c'est trop tard pour nous. A dix-sept ans déjà, nous sommes occupés de soins très-importants. D'un autre côté, les fermes-écoles ne nous offrent pas l'enseignement dont nous avons besoin; c'est pour acquérir des notions scientifiques que nous sortons de chez nous; quant à la pratique, nous avons l'enseignement domes

tique, qui est et sera de tous les temps. » Ce vœu n'a rien que de raisonnable en ce qui concerne la partie théorique; mais il ne pourrait être avantageux pour les jeunes gens de revenir s'exercer à la pratique chez leurs parents qu'autant que ceux-ci seraient au fait des bonnes méthodes et en état de les enseigner; sinon, ce que les parents auraient de mieux à faire serait d'envoyer leurs enfants se former comme apprentis, soit chez ceux de leurs confrères qui se distingueraient par une habileté particulière, soit dans les fermes-écoles. Moyennant cette réserve, l'enseignement indiqué ci-dessus serait d'une utilité incontestable, et si les communes ne pouvaient ou ne voulaient y concourir en établissant des écoles spéciales, l'industrie privée ne pourrait-elle pas s'en charger avec profit?

Un enseignement nomade qui se combinerait heureusement avec celui dont nous venons de parler, existe avec succès dans le département du Doubs depuis plus de vingt années. Pendant la belle saison, un professeur d'agriculture, rétribué sur les fonds départementaux, se rend, chaque dimanche, dans un des cantons, y fait une leçon publique et donne aux cultivateurs les conseils qu'ils lui demandent. Rien de plus simple que ce système, ni de mieux approprié aux mœurs rurales on ne s'explique pas comment il reste confiné dans le département où il a pris naissance.

L'enseignement direct est secondé par d'autres moyens qui contribuent à répandre parmi les populations agricoles les connaissances nécessaires au progrès de leur art. On compte 658 associations établies sous les noms de Comices agricoles ou de Sociétés d'agriculture, pour discuter les meilleurs procédés et pour en encourager l'application par des récompenses. Les membres se communiquent mutuellement, dans les réunions périodiques, le résultat de leurs réflexions et de leurs expériences, et des comptes rendus imprimés portent ces travaux à la connaissance du public. L'émulation est excitée par des concours d'animaux, d'instruments et de produits agricoles, par des primes d'honneur accordées aux exploitations les plus remarquables, et par des prix décernés aux ouvriers les plus méritants. Enfin, des journaux et des livres à bon marché permettent aux chefs d'exploitations de se tenir au courant des perfectionnements apportés à la culture du sol, et à tous ces éléments de progrès s'ajoute le penchant que manifestent aujourd'hui pour la vie des champs beaucoup de personnes riches ou aisées. On avance de cette façon; seulement l'impulsion serait beaucoup plus vive avec les compléments indiqués ci-dessus.

IV

L'éducation professionnelle n'exige donc aucune institution d'un nouveau genre. L'enseignement supérieur destiné à former des chefs

pour les grandes entreprises, est organisé de façon à satisfaire à toutes les nécessités de la production, et si les petits entrepreneurs et les ouvriers ne sont pas aussi largement pourvus de moyens d'instruction à leur usage, il existe du moins d'excellents spécimens des méthodes qui conviennent à leur condition sociale. Il ne s'agit que de multiplier ces éléments déjà si féconds.

L'esprit des populations ouvrières n'offre aucun obstacle qui ne se puisse surmonter graduellement. Sans doute on ne doit pas s'attendre à ce que tout d'abord la majorité des travailleurs se porte avec empressement vers les sources d'instruction qui leur seraient offertes; car beaucoup d'entre eux ont malheureusement des habitudes peu propices aux progrès intellectuels. Et d'ailleurs, est-ce à ceux d'entre eux qui gagnent péniblement leur vie à de simples travaux de force qu'il peut venir à l'idée, en général, de s'occuper du perfectionnement de leurs facultés? Mais ceux dont les fonctions exigent des efforts d'intelligence plus ou moins grands se montreront de moins en moins indifférents aux avantages du savoir. Si l'on en voit qui mènent une vie peu réglée, oubliant la dignité de leur nature et se vouant à la misère, est-ce par une préférence positive qu'ils se sont engagés dans cette mauvaise voie? Avaient-ils tous à leur portée des moyens d'éclairer leur esprit et de l'occuper sagement? Non; la plupart ont été privés d'un bon enseignement spécial qui aurait pu contribuer à les préserver du désordre en leur faisant aimer leur état et en les mettant à même de l'exercer honorablement; ils n'ont eu qu'un apprentissage plus ou moins défectueux, et l'instruction primaire elle-même ne leur a pas été toujours accessible. Veut-on que les enfants qui vivent à côté d'eux, et qu'atteint déjà la contagion de ces mauvais penchants, n'aient à leur tour que la même destinée? Ne doit-on pas s'efforcer, au contraire, d'élever leurs sentiments en perfectionnant leur esprit?

Les répugnances, comme l'a expliqué M. Baudrillart dans un travail auquel nous engageons le lecteur à se reporter (1), les répugnances viennent plutôt de la part d'un trop grand nombre de personnes qu'ont profondément émues les discordes civiles d'une autre époque et qui s'effrayent de la facilité avec laquelle les masses populaires se laissent séduire par des doctrines fausses ou perverses. On arrive, en obéissant à ces impressions, à voir la diffusion des lumières parmi les ouvriers avec non moins de défiance que l'accroissement de leur nombre, et à craindre que le perfectionnement de leurs facultés n'amène de leur part des

(1) Journal des Économistes, no de décembre 1859, et dans son livre: Des rapports de la morale et de l'économie politique, qui contient trois leçons importantes sur l'instruction.

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