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ministre informe ses subordonnés que ces forces nouvelles vont donner une très-vive impulsion aux travaux préparatoires relatifs au cantonnement des indigènes, à la formation des périmètres de colonisation, à la création des villages, enfin à l'aliénation des terres domaniales. Sur ces sujets importants, le ministre établit des règles d'un mérite inégal.

Au sujet du cantonnement des Arabes, les vrais principes triomphent : « Il ne faut pas isoler d'une manière fàcheuse deux populations qui, en se rapprochant, doivent se prêter un mutuel appui : secours de main-d'œuvre d'un côté ; secours de capitaux, de science agricole et de civilisation de l'autre. Loin de refouler la race indigène, nous devons nous efforcer de la faire entrer dans la sphère même de notre civilisation. » D'après ces principes, la propriété privée, par familles, a été introduite chez les Arabes des Fralias, des Abids et des Ouled-Kosseir.

Dans la question des périmètres de colonisation et des villages, les fàcheux errements ont repris leur empire: le ministre se réserve le droit de faire les lots et, par suite, d'assigner aux colons l'emplacement, l'étendue, le cadre de leurs domaines, leurs centres d'agglomération, au lieu de leur ouvrir de larges et libres espaces où ils fondent à leur gré des fermes, des villages et des villes dans un cadre général de colonisation.

Quant aux terres domaniales, la centralisation des concessions à Paris, établie par le prince Napoléon, est religieusement conservée, exagérée même.

Le 14 septembre, les cultes protestants sont réorganisés avec cette plénitude d'attributions et de libertés qui est un des caractères les plus honorables de l'administration publique en Algérie.

Le 21 septembre, le droit d'avertissement est rendu aux préfets, à qui le pouvoir d'attribuer à leur gré les annonces légales assure déjà une action toute-puissante sur la presse : retour en arrière inspiré par le désir de frapper d'une salutaire terreur l'Algérie nouvelle, dont la plume devenait plus agressive que jamais. Le bien public ne gagna rien à cet accroissement de rigueur, et de graves abus ne furent pas dénoncés comme ils méritaient de l'être (1).

Le 22 octobre, une instruction ministérielle reconnut aux chambres consultatives d'agriculture le droit d'initiative en dehors du programme officiel qui leur est tracé. Malgré cette concession, ces assemblées n'exercent aucune influence, privées qu'elles sont de toute existence légale en dehors de leur courte session annuelle. En vain elles ont demandé la permanence, ou tout au moins un bureau permanent investi

(1) Nous faisons allusion à l'occupation irrégulière, par M. le préfet d'Alger, d'une maison de campagne du Hamma, dépendant de la pépinière centrale.

pendant toute l'année du droit de correspondre avec l'autorité; sur ce point, le pouvoir civil s'est montré tout aussi sourd à leurs vœux que le pouvoir militaire. Déni de justice d'autant plus grave que les chambres de commerce sont permanentes; d'où résulte une infériorité préjudiciable à l'intérêt agricole. La fusion des deux institutions en une seule serait préférable à cette inégalité sans justice.

Le 9 novembre suivant, des milices algériennes furent réorganisées, avec de nombreuses améliorations de détail, qui furent malheureusement compensées par un accroissement de centralisation: les nominations d'officiers, précédemment attribuées au gouverneur général, furent toutes réservées à l'Empereur ou au ministre, sous le vain prétexte «< qu'ainsi nommés, les officiers comprendraient mieux l'importance de leur commandement et que leur autorité serait plus élevée aux yeux de leurs concitoyens. » Avec l'incessante mobilité des populations dans une colonie naissante, la bureaucratie seule peut gagner à ces réformes. La réorganisation des milices fut suivie de l'enrôlement des israélites, à leur grande joie mesure entièrement digne d'éloges.

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Le 30 décembre, l'administration de l'Exposition permanente des produits algériens et coloniaux fut organisée et confiée à une commission qui lui donna un éclat et une popularité que n'avaient jamais connue les expositions séparées des deux ministères.

L'année 1859 se termina par une réforme, devenue urgente, de la justice musulmane. En 1854, une malencontreuse réaction, opérée sous l'influence de l'esprit alors prépondérant à la direction des affaires algériennes, et qui aimait à conserver les indigènes purs de tout contact avec les Européens, avait séparé complétement la justice arabe de la justice française. Sous l'illusion que l'islamisme pouvait se suffire à lui-même, les vingt et un medjelés, ou tribunaux d'appel, avaient été érigés en cours souveraines. Aussi la concussion et la vénalité n'avaient-elles plus connu de bornes, et des tribunaux entiers avaient été poursuivis pour malversation. On dut revenir sur ce malheureux engouement des mœurs arabes. Les medjelés redevinrent des autorités consultatives, et les appels des jugements des cadis furent rendus aux tribunaux d'appel français. Admis à contracter sous le statut français, les musulmans se virent ouvrir nos prétoires suivant une procédure abrégée et économique, quoique moins simple encore que celle de leur propre législation.

L'année 4859 s'ouvrit par une mesure qui remplit de joie la colonie. Par décret du 14 janvier, la société du Crédit foncier fut autorisée, c'està-dire invitée à étendre ses opérations en Algérie. Bien que les espérances de l'agriculture risquassent d'éprouver quelques déceptions, au delà comme en deçà de la Méditerranée, ce n'en était pas moins un progrès désirable que l'émigration, devenue certaine, en Algérie des capi

taux et des influences d'une institution renommée par sa prudence, son honorabilité et son habileté; l'intervention qui en découlera, dans une mesure quelconque, procurera les garanties que réclame la propriété, et l'Algérie participera aux opérations du Crédit agricole, complément éventuel du Crédit foncier. Dès le début, un prêt de 4 million à la ville d'Alger, quelques prêts hypothécaires dans la campagne ont engrené la Société avec la colonie; le reste viendra de lui-même par l'impulsion naturelle des événements, et déjà le taux primitif de 8 0/0 a été réduit par la Société elle-même à 6 fr. 75 pour les immeubles situés dans la ville d'Alger.

Le 18 janvier de la nouvelle année, les sociétés de secours mutuels, rattachées à la métropole, reçoivent une nouvelle organisation beaucoup trop empreinte encore de tutelle administrative, mais qui est un commencement de charitable et volontaire association.

Le 7 février, les postes furent séparées de la trésorerie, suivant le vœu persévérant du pays. Quoique le nouveau service, livré à ses propres forces et réduit à des crédits insuffisants, n'ait pas, dès le début, répondu à toutes les espérances, la séparation n'en est pas moins un progrès réel, qui, à l'aide de perfectionnements successifs, portera des fruits qu'on eût en vain demandés à l'ancien système, où les intérêts et les vues du trésor tenaient nécessairement la première place. Déjà un service de terre est organisé entre Oran et Alger par Orléansville, et entre Alger et Constantine par Aumale, ce qui soustrait les voyageurs et les dépêches aux périlleux caprices de la mer.

Un décret du 14 février apporta une amélioration considérable dans le régime commercial de l'Algérie. Une centaine de produits naturels ou fabriqués furent gratifiés de la franchise d'entrée dans les ports de France. Ainsi se trouvait complétée la loi du 11 janvier 1851 (4), par un nouveau pas vers l'union douanière. Une décision de principe eût été préférable à une énumération qui laisse toujours hors de ses prévisions, des articles importants (et c'est le cas cette fois); mais à cet égard il parait que les bons désirs du ministre trouvèrent une répugnance invincible dans les traditions du ministère des finances. Accomplie sous cette forme, la mesure adoptée n'en reste pas moins préférable à un système qui, sous le prince Napoléon, avait été annoncé comme sa propre conception. Sous le nom de libre-échange, ce système n'en était que l'ombre trompeuse, en ce que, partant de l'idée fausse que les colonies sont des pays étrangers aux métropoles, il ne

(1) Rappelons que l'honneur d'avoir conçu et étudié la loi du 11 janvier 1851 appartient à M. Léon Blondel, directeur, en 1849, des affaires de l'Algérie, qui lui avait donné un caractère plus libéral que dans le projet présenté à l'Assemblée législative.

réclamait pour l'Algérie que la franchise d'importation, et relevait contre ses produits exportés les barrières douanières à l'entrée des ports français. C'eût été revenir au passé, bien loin d'avancer vers l'avenir; aussi le projet, en même temps qu'il soulevait dans les villes industrielles de France des inquiétudes que le Moniteur dut apaiser, fut-il repoussé en Algérie, même par les partisans de la liberté commerciale, qui, en place de mots, voulaient des réalités. Le décret du 11 février qui, sans toucher aux progrès accomplis, les étendait, n'éveilla de regrets que pour le silence gardé à l'égard de certains articles qui eussent mérité la même franchise.

Le 25 février, le ministre proposait à l'Empereur de consacrer à des travaux publics les cinq millions attribués à l'Algérie dans la répartition du reliquat resté libre de l'emprunt de guerre. Les projets renvoyés au conseil d'Etat furent adoptés dans le courant de 1859, et l'année 1861 assiste à leur exécution. Ces travaux concernent les ports d'Alger, d'Oran et de Philippeville, les routes d'Alger à Laghouat, de Stora à Biskra, d'Oran à Tlemcen et d'Alger à Constantine; ils s'étendent à des desséchements de marais, des forages de puits artésiens, l'établissement de phares, enfin la construction de la douane et du lycée d'Alger. Rarement la colonie avait eu une aussi heureuse aubaine.

Une autre, plus importante peut-être, lui vint de la promulgation, à la date du 10 mars, du traité de commerce avec l'Angleterre, que l'article 18 déclarait expressément applicable à l'Algérie.

Quelques jours auparavant, le 6 mars, le port de Collo avait été ouvert au commerce, décision qui aurait pu être prise depuis plusieurs années, si l'on n'eût considéré que la soumission des tribus avoisi

nantes.

Le 15 mars, un décret, donnant satisfaction à l'un des voeux les plus énergiques de la population, décida que les Européens et les israélites résidant en territoire militaire, jusqu'alors justiciable des conseils de guerre pour les crimes et délits dont ils se rendaient coupables, le seraient désormais des cours d'assises et des tribunaux correctionnels, c'est-à-dire, rentreraient dans le droit commun.

Le même jour, les juges de paix reçurent le pouvoir de légaliser la signature des officiers ministériels, exemple que la France devait imiter en 1864, et les officiers de bureaux arabes furent investis, comme les officiers de gendarmerie, et en vue de la plus prompte instruction des affaires, de la qualité d'officiers de police judiciaire.

A la même date, le journal l'Algérie nouvelle est supprimé. Les amis de la liberté de la presse, tout en regrettant l'intervention administrative dans des luttes que le pouvoir judiciaire eût suffi à modérer, durent reconnaître que la violence des polémiques de l'Algérie nouvelle compromettait la cause même que ses rédacteurs voulaient servir, en susci

tant contre celle-ci, rendue solidaire de ces attaques, l'animadversion des chefs de la plupart des services publics.

Le 31 mars, un décret étendit en Algérie le bénéfice des loi du 28 mai 4858 sur les négociations concernant les marchandises déposées dans les magasins généraux, et sur les ventes publiques des marchandises en gros, ainsi que le règlement d'administration publique du 42 mai 1859. Quelques semaines plus tard, une société était autorisée à ouvrir un magasin général pour les ventes publiques en gros.

Le 25 avril, le système des encouragements à la culture du coton était modifié par la substitution d'une prime d'exportation, décroissante d'année en année, à l'achat des récoltes par le gouvernement; en même temps la protection était garantie pour douze années. Aux réclamations de la théorie la pratique répondait, non sans raison, que c'était le gouvernement qui, sans aucune initiative ni sollicitation des colons, les avait poussés à grands renforts de primes, de promesses et d'espérances dans la culture des cotons. Pouvait-il se retirer soudainement d'une situation que lui-même avait créée par ses excitations? C'eût été peutêtre de la science orthodoxe, mais en tout cas de la très-mauvaise administration. Ausurplus, l'Etat ne poursuit pas une chimère, comme lorsqu'il voulut, sous le blocus continental, naturaliser le coton dans le midi de la France dans les plaines basses du Tell, surtout celles de la province d'Oran, et dans les plaines sahariennes le coton africain prospère comme en Amérique, et ce n'est pas un privilége qu'il convienne de dédaigner, au moment où la scission politique des États-Unis menace l'agriculture de ces pays de profondes perturbations dont l'Europe ressentira le contre-coup. En ce moment l'industrie anglaise cherche par toute la terre des lieux où la culture du coton puisse se faire par des bras libres, et l'Algérie appellerait à ce titre ses capitaux si la terre y était plus facilement accessible; mais ce n'est pas en vain que la fable plaçait en Afrique le jardin des Hespérides gardé par des dragons. La terre algérienne n'est pas moins bien gardée aujourd'hui qu'au temps d'llercule contre l'invasion étrangère. Il y a quelques années déjà, des Anglais ont en vain sollicité des concessions pour cet objet. Nous ne voulons pas introduire le loup dans la bergerie, telle a été la raison confidentielle du refus qu'on leur opposa.

Le 12 mai, un décret autorisa les travaux nécessaires pour la construction des fronts de mer de la place d'Alger, pour l'établissement de magasins et rampes d'accès vers les quais, et pour la création du boulevard de l'Impératrice : entreprises monumentales qui, par un trop rare accord, unissent le grandiose à l'utile, et qui ont été scellées sur place, au mois de septembre, de la main de Leurs Majestés Impériales. Le 20 juin, la loi sur les chemins de fer algériens, depuis six années objet de tous les vœux, était votée à l'unanimité par le Corps législatif, 15 juin 1861.

2o SÉRIE. T. xxx.

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