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rifier l'action des bureaux arabes, coupables d'avoir élevé entre la domination et la colonisation françaises l'obstacle, qui n'existait point, d'un peuple homogene. Ah! combien nous avions raison de precher la désagregation de la tribu au profit de l'individu et de la famille comme la vraie base de la politique française! Les bureaux arabes, au contraire, se sout appliques a fortifier la tribu, se rendant ainsi necessaires; et c'est pourquoi ils opposent à toute expansion de la colonisation europeenne, en accumulant les objections contre le cantonnement des Arabes, et les obstacles sur les pas du service topographique, un mauvais vouloir qui ne manque pas une occasion de se revéler. Il y aurait de la naïveté à perdre son temps en demonstration d'un fait que pas un enfant n'ignore en Algérie.

En outre, les bureaux arabes ont fait école à Paris. Ecoutons l'un de leurs disciples et amis (1):

... On semble vraiment perdre le sentiment de toute justice sociale lorsqu'on parle de la colonisation de l'Algérie. On ne s'aperçoit pas que, derrière ce mot de colonisation, se cachent les passions les plus égoïstes, les plus avides, les plus contraires au caractère et à la mission de la France. (P. 127.)

... La conquête de l'Algérie a posé une question de gouvernement; il faut regarder la chose par le petit côté pour n'y voir qu'une question de colonisation. (P. 131.)

Avec un tel sentiment au sein d'une administration, l'indiscipline règne bientôt si on ne la domine avec une inflexible fermeté et peutêtre est-ce là ce qui a le plus manqué.

Dans un écrit plus brillant qu'impartial, un écrivain dont le nom

(1) L'Algérie pour les Algériens, par M. Georges Voisin. De notoriété publique c pseudonyme voile un des principaux fonctionnaires de l'administration algerienne, naguère à Paris, aujourd'hui à Alger. On voit de quels concours le ministère special était entoure, ce qui n'empêchait pas le personnage, si puritain envers la colonisation, de se faire donner une fort belle concession. Ce pamphlet, car un tel ecrit ne merite pas d'autre nom, montre jusqu'où peut alter l'adace de l'erreur. A propos d'un troupeau modèle etabli à Lagnouât par l'autorite militaire, l'auteur ose dire : « Pendant que les propr.etaires europeens qui demandaient des reproducteurs aux grandes races anglaises et françaises, echouaient dans leurs tentatives, les essais diriges avec intelligence par l'autorite militaire, en s'adressant à des races rustiques dont les habitudes se rapprochaient de la race algérienne, étaient couronnés d'un plein succès. (Page 111.)

Ceci est le contraire absolu de la vérité, et sans bonne foi. Il est impossible que l'auteur ignore (il est trop bien placé pour cela) que le fameux troupeau de Laghouat a été d'abord composé d'une trentaine de béliers de Rambouillet qui ont tous péri, et ce n'est qu'en se rangeant à l'exemple des éleveurs euro2 SÉRIE. T. xxx. -15 juin 1861.

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promettait un défenseur aux libertés algériennes (1) a pris parti pour les gouverneurs généraux contre le ministère civil, et surtout contre le prince Napoléon, pour les bureaux arabes contre la colonisation; il n'a pas trouvé un mot de sympathie et d'estime pour l'institution des conseils généraux, qui a été le premier essai de la vie publique et libre en Algérie, et dont le succès éclatant a prouvé combien manquait de justice la prévention qui jusqu'en 1858 l'a repoussée. M. de Broglie critique encore comme un vice radical et la position faite aux officiers commandants soumis à deux chefs différents, suivant qu'il s'agissait d'affaires civiles ou d'affaires militaires, et surtout le rôle du commandant supérieur des forces de terre et de mer, qui restait étranger à l'administration civile, pendant que ses inférieurs y prenaient part. C'est le sort de toutes les colonies, et l'on peut dire de toutes les sociétés naissantes, de présenter des complications pareilles, destinées à disparaître à mesure que les pouvoirs réguliers agrandissent leur action. Pour s'assurer que celle-ci n'avait rien de blessant pour les personnes ni de compromettant pour les services, il suffit de rappeler qu'elle avait été acceptée de bonne grâce par MM. les généraux Mac-Mahon et Gueswiller.

Il est vrai cependant que des conflits couvaient sourdement sous la politesse des formes officielles, et l'on assure que, dans un déjeuner donné à l'Empereur, au palais de Mustapha, M. de Martimprey, leur successeur, déclara solennellement, non sans de vives protestations de la part des préfets, que l'anarchie était dans le pays. Bientôt après, un incident, précurseur d'une crise plus grave, éclata à Alger, pendant la session du conseil général, à l'occasion du discours du président, M. de Vaulx, discours dont un passage avait été l'objet de la désapprobation de M. le général de Martimprey. La démission du président, celle de la plupart de ses collègues s'en étaient suivies avec une précipitation qui nous sembla exagérée: quitter son poste est rarement le moyen de triompher. Cependant le conseil des ministres désapprouva le commandant supérieur des forces de terre et de mer, et les démissions ne furent pas acceptées, ce qui sembla réduire à un incident de peu de portée ce passager dissentiment.

péens (tels que MM. Dupré de Saint-Maur et Bonfort), qui faisaient venir leurs béliers mérinos, non de l'Angleterre, mais de l'Espagne et du midi de la France, que l'autorité militaire a pu enfin conserver des bêtes et obtenir quelques suecès; c'est ce qu'on veut voir dans un rapport de M. Albert Geoffroy SaintHilaire, à la Société d'acclimatation. Bulletin 1857, page 423.

Voilà pourtant comment les amis et élèves du gouvernement militaire écrivent son histoire depuis trente ans !

(1) M. Albert de Broglie, Une réforme administrative en Algérie.

Il en fut de même d'une autre réclamation que l'honorable général adressa au ministre contre le discours du président du conseil général d'Oran. On crut tous ces malentendus apaisés par de loyales explications, tandis que la suite des événements prouva que c'était la fumée qui annonçait le feu.

Après l'excès de centralisation qui affaiblissait plutôt qu'il ne fortifiait le ministère, après des divergences que l'on négligea de ramener ou de contenir à temps, nous devons en toute sincérité signaler parmi les malheurs ou les torts du ministère spécial, bien que ce ne soit pour rien dans sa chute, un amour trop platonique des libertés individuelles, municipales, provinciales qui sont les forces vives de toute société, surtout d'une colonie. Au lieu de doter les conseils généraux de larges attributions qui en fissent de véritables assemblées provinciales, on avait calqué leur mandat sur celui des conseils généraux de France, progrès très-sensible par rapport au passé, mais progrès insuffisant, une province qui comprend trois à quatre millions d'hectares et plus d'un million d'habitants étant de sa nature une circonscription supérieure au département. Mais s'agissait-it d'élections municipales, de nomination à ces conseils généraux et surtout de représentation nationale (1), les provinces n'étaient plus mème des départements, on leur refusait net toute liberté, tout droit civique. Les budgets provinciaux avaient simplement hérité, à peu de chose près, de l'ancien budget local et municipal, et sur les trente millions d'impôts que paye l'Algérie, les trois quarts continuaient à figurer au budget de l'Etat, qui les restituait, il est vrai, sous forme d'allocation, mais au gré du ministre seul, qui en avait la disposition, sans que l'Algérie eùt un mot à dire sur leur meilleur emploi. Il y avait pourtant tels chapitres, comme ceux des travaux publics et de la colonisation, qui, par leur caractère local, rentraient logiquement dans les attributions des provinces.

En un mot, la suppression du gouvernement général, au lieu d'ètre comprise, comme un pas vers l'autonomie ou le self-government des provinces, avait trop exclusivement profité à l'autorité, soit locale, soit

(1) La question de la représentation politique de l'Algérie et des colonies mérite une étude spéciale que nous comptons lui consacrer prochainement dans le Journal des Economistes. Nous voulons toutefois déclarer dès à présent que nous croyons à la nécessité et à la justice de leur donner des représentants au Corps législatif et au Sénat, sans leur enlever les assemblées locales. Il n'y a pas d'incompatibilité entre ces deux institutions, dont la première représente l'unité politique, la seconde l'autonomie administrative. Nous voudrions mème que les députés conservassent le titre et les fonctions de délégués pour les affaires administratives coloniales qui s'étudient ou se règlent à Paris.

centrale. La population n'en restait pas moins liée à cette tutelle qui étouffe et comprime toutes les viriles aspirations. Ce vice d'un systeme en lui-meme excellent survit tout entier dans l'organisation nouvelle.

VI.-ORGANISATION NOUVELLE.

Dans l'exposé de la situation de l'empire français, soumis au Corps législatif par le gouvernement, le ministre de la marine, chargé de rendre compte de la situation de l'Algerie, a pu dire, apres une rapide eaumeration des actes qui avaient signale son administration :

Telle etait la situation en 1860. Le ministère special avait marche dans la voie qui lui était tracee, le but qui lui avait ete assigne, c'e.t-a-dire Torgauisation de l'Algerie par les institutions françaises, les garanties civiles et admnistratives pour les intérêts qui vont s'y fixer, le rapprochement des p«< palations differentes par les interets communs, une justice unique, la constitution de la propriete, I essor des grands travaux publics, le credit, l'assimilation douanière et l'abaissement des barrières inutiles. Ce but a eté poursuivi sans relâche.

Sans doute, il n'a pas été atteint, car au temps seul il est donné de l'atteindre et de réaliser toutes les espérances qu'on peut concevoir; mais on s'est avancé dans la voie et on s'y est assez avancé pour que le gouvernement de l'Empereur ait vu le moment venu de faire un pas plus grand et plus decisif encore vers cette décentralisation dont le principe présidait depuis deux ans à toutes les mesures réalisées.

Au Sénat M. le ministre Magne, au Corps législatif M. le général Allard ont affirmé aussi qu'il n'est survenu qu'une phase nouvelle du meme mouvement, et non aucune réaction; que la meme administration acte transportee au cœur du pays, avec des rouages simplifies, avec une direction unique, avec la décentralisation; qu'en un mot c'est toujours le ministere spécial, placé à Alger au lieu de Paris. Belles paroles dout nous regrettons de ne pouvoir découvrir la confirmation dans les decrets des 24 novembre et 40 décembre 1860 ! Le grand progres que personnifiait le ministère spécial etait le triomphe, ou du moins l'espoir du triomphe de l'esprit civil sur l'esprit belliqueux, des garanties legales sur l'arbitraire des hommes, des libertés regulieres sur la discipline silencieuse : c'était en un mot une conquete du liberalisme, propre a inspirer confiance aux capitaux, aux intelligences, aux bras emigrants de la France et de l'Europe. Croie qui voudra que le gouvernement d'un marechal de France assisté d'un sous-gouverneur general de division personnitie exactement les mêmes choses! et puisse surtout l'emigration européenne se laisser persuader que le troisieme rang assigne au directeur des affaires civiles n'implique aucune subordination de l'element civil a l'element militaire! Le peril d'ailleurs est moins encore dans l'uniforme militaire que dans le pouvoir à peu près absolu donne à un

homme sur une nation et un royaume, et nous ne serions guère plus satisfaits d'en voir investi un gouverneur général civil, pour qui cette omnipotence n'aurait certainement pas moins de charmes que pour un maréchal de France : les préfets s'entendent en dictature aussi bien que les officiers. La réaction nous est évidente dans les institutions, et l'on ne peut compter que sur le bon vouloir des hommes et la puissance des moeurs publiques pour la tempérer.

A l'examen, s'évanouissent de même, pour une grande part, l'unité de direction, la simplification des rouages et même la décentralisation.

Le ministère spécial avait, en toute raison, attiré à lui la justice, l'instruction publique et les cultes. Ces trois grands services ayant fait retour, avec non moins de raison, à leurs ministères respectifs, où est l'unité?

Au gouverneur général est dévolue l'instruction publique des indigènes; mais les cultes et la justice indigène, qui en sont intimement solidaires, restent au ministre de la justice. Où est l'unité?

Le ministre spécial travaillait directement avec l'Empereur, il assistait aux séances du cabinet à côté de ses collègues ; il soutenait ses projets au sein du conseil d'Etat. Loin de Paris le gouverneur général ne peut que rendre compte à l'Empereur, et tous les projets qu'il lui soumet doivent passer par l'intermédiaire du ministre de la guerre qui n'entend pas être ré luit, on l'a appris au conseil d'Etat lors de la préparation du budget, au rôle d'intermédiaire. Ces projets, le ministre revendique le droit de les examiner, et partant de les approuver, rejeter, amender. Où est la simplification?

Le budget de la colonie, au lieu d'être remis à l'administration nouvelle, reste annexé au budget de l'Etat; et le directeur des affaires civiles a dû revenir une première fois d'Alger à Paris pour l'élaboration au conseil d'Etat, et il est de nouveau rappelé pour la discussion au Corps législatif. Où est la décentralisation?

Où est encore la décentralisation lorsque, sur une surface de 40 millions d'hectares, et tout au moins de 15 millions, à ne compter que le Tell, l'administration supérieure est centralisée sur un seul point à Alger, sans équilibre ménagé au profit des provinces latérales, qui se trouvant en minorité dans le conseil supérieur, et tout à fait absentes du conseil consultatif (1), ont toute chance de se voir, comme autrefois,

(1) La confusion des mots atteste celle des idées. Conseil consultatif est un pléonasme. Conseil supérieur est mal trouvé pour désigner un conseil privé de la permanence qui caractérise dans nos institutions ce genre d'assemblée, et inférieur sous bien des rapports au conseil consultatif qui est associé aux plusi portantes décisions du gouverneur. Le titre de conseil des finances eût mieux accusé la réalité, pour ce dernier, et celui de comité consultatif ou de conseit privé pour l'autre.

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