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est la bonne; mais il n'y a qu'un système de décentralisation forte et bien conçue qui rende ces relations fécondes. Le notaire, qu'on ne l'oublie pas, tel est par essence l'homme du prêt foncier, car c'est l'homme de tous les contrats, depuis celui qui arrête les conditions du mariage ́jusqu'à la police d'assurance. Et puisqu'il est ici question de risques, qu'on nous permette, en terminant, de faire remarquer comment opèrent de grandes compagnies qui comptent dans le notariat leurs agents les plus capables et les plus actifs. Le contrat se fait sur les lieux, et quand l'agent de la Compagnie a signé, l'assuré se regarde non-seulement comme engagé, mais il n'a pas à craindre que l'administration centrale refuse de ratifier un engagement dont un de ses agents a pris l'initiative. Choisissez dans chaque localité des représentants, des agents d'une capacité et d'une honorabilité à l'épreuve; le corps du notariat a de quoi satisfaire ici les plus exigeants. Cela fait, accordez la plus grande habitude à celui qui agit pour vous, et que le contrat, dressé selon la lettre des statuts, soit un contrat sérieux auquel il manque simplement la ratification d'en haut. Si vous voulez, pour plus de garantie, faites que ces contrats subissent invariablement le contrôle de la Chambre des notaires; vous serez ainsi protégé contre la condescendance extrême, outre qu'on puise dans ces relations nombreuses, incessamment actives, les forces, la puissance qui manquent. En fait de crédit, comme en toute autre chose où il s'agit de répondre à un besoin local, il faut reconnaitre que « si l'on gouverne de loin, on n'administre bien que de près. »

PAUL COQ.

DE L'INDUSTRIE MODERNE (1)

PAR F. VERDEIL,

Membre du jury international à l'Exposition universelle de 1855.

Les destinées positives de l'humanité peuvent contenter les âmes qu'excite la passion du merveilleux et que tourmente le besoin d'émotions impersonnelles. Aucun miracle est-il égal à celui de l'existence de l'individu humain? aucune rêverie comparable à cette merveille réelle, la formation et le progrès des sociétés humaines? Si notre esprit savait se dégager de l'habitude qui lui dérobe la physionomie des choses, il s'épouvanterait du dénûment et des périls sur lesquels les générations antérieures ont conquis la sécurité dont nous jouissons. La nature morte et vivante non-seulement a fait acheter par l'effort la satisfaction de nos plus indispensables besoins, mais elle multipliait les piéges et les menaces autour de l'humanité enfant. Essayez de calculer l'expérience périlleuse et longue qui a choisi les plantes bienfaisantes dans la confusion perfide d'une végétation indifférente? Mais ce n'est pas l'homme seulement qui arrache sa vie au monde environnant, et dont l'existence est une victoire sur l'hostilité de la nature. Quelle industrie que celle de ces tribus d'oiseaux et de poissons qui traversent les plaines de l'air ou des océans à la recherche d'une atmosphère qui ne soit pas mortelle! Quelle industrie que celle du plus humble ruminant discernant l'aliment entre les poisons, d'un instinct plus sûr que la science du naturaliste! Non, ce n'est pas la nécessité du travail qui distingue l'homme du reste des animaux; mais la civilisation, qui étend et transforme ses besoins à mesure qu'elle accroit et qu'elle élève sa vie, qui élargit sans cesse, entre l'indigence des présents spontanés de la nature et les exigences indéfinies de la vie sociale, un abime que l'industrie humaine doit combler par un perpétuel progrès. Aucun aspect de l'histoire ne manifeste en traits plus saisissants la sociabilité, attribut supérieur et prééminent de l'homme, et cette loi adorable par laquelle, de génération en génération et d'héritage en héritage, l'individualisme originel s'efface dans nos goûts, dans nos besoins, dans nos procédés, dans notre puissance. L'activité grandis

(1) Chez Victor Masson, place de l'École de médecine, et chez Garnier frères, 6, rue des Saints-Pères. Paris, 1861. 1 vol. in-8.

sante et les proportions nouvelles de l'industrie, sont le contre-coup et le témoignage de l'intensité croissante de la vie sociale, et c'est par une étrange aberration qu'on les a rapportées à une explosion de l'égoïsme. Aussi l'industrie est-elle digne au plus haut degré de l'attention des historiens et des philosophes.

M. Verdeil a tenté de renfermer ce sujet dans les bornes étroites d'un volume de moins de 600 pages. La variété des aspects sous lesquels il l'a envisagé prouve qu'il comprenait son importance, la signification historique de son développement, la grandeur de son rôle social, sa dignité scientifique en un mot. L'auteur promet, dans sa préface, d'étudier l'industrie « au point de vue de l'histoire, des faits actuels et de l'économie politique, » et le livre accomplit cet engagement, si l'on se contente, dans le récit historique ou dans les aperçus économiques, d'un dessin larguement esquissé, et, dans l'exposé spécial consacré à chaque branche du travail, d'un résumé substantiel des renseignements les plus importants.

L'introduction historique est remarquable, elle déploie les annales du travail depuis le début de la civilisation occidentale et les rattache, par un récit substantiel, aux considérations générales sur les conditions modernes de l'industrie. Durant cette longue et attachante période, dont nous commençons l'étude sur les murailles des hypogées d'Egypte et qui s'étend jusqu'à l'aurore de la phase actuelle, l'industrie s'est transformée trois fois : elle a passé du régime des castes à l'esclavage, et de l'esclavage au régime du servage et des corporations; mais à travers ces évolutions elle porte trois caractères qui, sans être nécessairement liés peut-être dans leur destinée, ont vécu, diminué et disparu ensemble. Ils se rapportent 4° aux moyens de l'industrie; 2o à son but; 3° à la condition de ses agents.

Jusqu'au grand mouvement scientifique des derniers siècles, qui a placé entre les mains de l'homme les clefs du monde inorganique, l'empirisme a régné exclusivement sur l'activité industrielle. L'antiquité avait fort avancé les mathématiques, mais ce n'est pas la possession de quelques lois abstraites de l'étendue et du mouvement (inconnues, du reste, des Égyptiens) qui nous explique la puissance mécanique dont ses incomparables monuments portent le témoignage. L'art se perfectionnait par l'empirisme et se conservait par la routine. Les anciens, qui ignoraient la chimie, obtinrent, dans les arts chimiques, des résultats que la science n'a pas dépassés et qu'elle n'atteint pas toujours. Les teintures égyptiennes et hindoues, celles de la Perse, sont encore un objet de surprise pour nos chimistes et d'émulation pour nos industriels. L'art, servi par le bonheur, l'opiniàtreté des recherches, ne reste pas inférieur à la science dans quelques effets isolés et partiels, et aucune science n'est assez complète pour n'avoir pas besoin, dans ses ap

plications, d'appeler l'expérience et la pratique à son aide. Ce qui caractérise l'infériorité de l'empirisme, c'est la lenteur, le hasard, le décousu des découvertes; c'est aussi le mystère facile : la science luit pour tout le monde; l'empirisme investit de monopoles ses privilégiés. Le bienfait est pour des individus, des familles ou des peuples; il peut être restreint à quelques générations, car les procédés qui se transmettent par une sorte d'initiation peuvent disparaître dans un ensevelissement involontaire ou prémédité. Aussi l'industrie empirique convient à merveille au régime des castes, qui perpétue les procédés dans les familles; elle s'arrange encore des corporations, où les procédés se perpétuent dans des groupes recrutés par affiliation. Il y a entre ces deux faits, l'empirisme industriel et le régime castique ou tout au moins corporatif, une affinité naturelle, dont l'exemple de la Chine, peut-être, contredirait la nécessité, mais dont l'histoire de l'antiquité occidentale et de la civilisation hindoue démontre l'ordinaire exactitude. Les procédés ont besoin, pour ne pas périr, d'une organisation hérédiditaire du travail, et, réciproquement, ils favorisent les instincts exclusifs que cette organisation satisfait et développe chez les travailleurs.

L'industrie avait, chez les nations de l'antiquité et au moyen âge, un but qui était déterminé par l'ensemble des faits sociaux et de l'organisation politique. C'est porter un jugement très-superficiel que d'indiquer pour but de l'industrie la satisfaction des besoins de l'homme. La satisfaction des besoins se retrouve toujours au terme du travail, mais, en la constatant, l'économiste n'explique rien. C'est notre sensibilité, sans aucun doute, qui détermine la direction de notre activité, de même qu'elle détermine le caractère et mesure l'étendue de notre connaissance; mais cette observation, qui a son importance en psychologie, n'en a guère en économie sociale. Cette dernière science, quelles qu'aient été ses prétentions, n'a pas pour objet les mobiles des actions humaines; jusqu'ici, elle n'a pas été très-heureuse dans ses entreprises pour remplir à elle seule le terrain entier où se développera la science générale de l'homme. N'est-il pas évident que l'on expliquerait mal par l'excitation du besoin et par le mobile de l'intérêt la construction des Pyramides? C'est que, pour comprendre les faits économiques, il ne faut pas regarder l'individu, il faut considérer la société. Dans les sociétés antiques et dans celle du moyen âge, l'industrie n'a pas eu pour but d'assurer le bien-être, la dignité physique de tous les membres de la communauté: son but social, qui s'imposait aux individus moralement et matériellement, servi par la terreur religieuse et par les habitudes de la conscience plus encore que par l'appréhension des violences corporelles, le but accepté comme légitime jusqu'à l'approche des révolutions, et consacré par la raison divine ou par la raison d'Etat, a été d'entretenir les castes sacerdotales ou militaires,

ou, plus généralement, les classes gouvernantes. De là la caste industrielle, de là l'esclavage, de là le servage.

Ainsi, le troisième caractère de l'industrie, avant l'époque moderne, fut une conséquence inévitable du but même que l'état social assignait au travail. Le grand nombre des travailleurs, attachés au service de classes relativement peu nombreuses, leur étaient assujettis; l'ordre, le maintien de ces sociétés l'exigeaient rigoureusement. Et il n'y avait pas renversement du droit les prètres et les guerriers dominaient alors légitimement, car le sacerdoce contenait tout l'avenir intellectuel de l'humanité, car les militaires soutenaient seuls, contre les pressions de la barbarie environnante, la naissante civilisation. Du reste, que l'on nie, si l'on veut, la nécessité historique des théocraties et des sociétés. militaires, c'est une question qui ne me regarde pas ici. Il suffit d'observer que, ces sociétés existant, les castes et l'esclavage en étaient l'indispensable condition; et que si cette remarque relève le passé d'anathèmes déraisonnables, elle écarte en même temps toute crainte de retour vers ces régimes détestés.

M. Verdeil a bien défini la modification que l'ère grecque et romaine introduisit dans les conditions du travail. Les fonctions industrielles qui, dans l'ère précédente, étaient l'attribut de la caste avilie, demeurèrent en mépris. Il y eut exception pour l'agriculture, moins sans doute par les raisons superficielles qui en ont été données que parce qu'elle se confondait avec la possession anoblissante de la terre. Le respect particulier qui entoura en Grèce et à Rome plus encore (car presque tous les peuples grecs avaient des ilotes) les travaux des champs était l'orgueil nouveau de la propriété individuelle, cette conquête essentielle de l'homme sur les dieux des théocraties. Les autres industries ne sortirent pas alors du mépris, mais elles ne furent plus une marque nécessaire d'asservissement. La caste était rompue; l'esclavage, ainsi que le remarque M. Verdeil, devint individuel. A Athènes, à Rome, il se rencontra des hommes libres parmi les artisans ; la littérature nous les montre allant de l'échoppe à l'agora. Cependant ce furent des faits exceptionnels; les nécessités politiques, l'habitude des spéculations philosophiques, les occupations guerrières et civiles remirent l'industrie aux mains des esclaves, et il vint un moment à Rome, lorsque le légionnaire ne pouvait plus revenir cultiver son champ entre deux victoires, où l'esclavage envahit à flots l'agriculture elie-même. Le servage, dont l'origine est romaine et non germanique, maintint, en l'atténuant, l'asservissement du travailleur à la caste guerrière. Jusqu'à l'époque moderne, l'industrie n'occupa dans l'activité sociale qu'un rang subordonné, et la dignité des organes se proportionnant à celle de la fonction, les travailleurs furent abaissés et opprimés.

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Ainsi l'industrie, à travers la caste, le dur esclavage de l'antiquité et

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