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temps. Dans le silence de cette grande ombre, il nous faut bien parler pour elle et chercher à rassurer les consciences timorées. M. Itier, par ses excellentes observations sur la marine, contenues dans notre dernier numéro, a fait tout ce qu'il faut pour y réussir; nous aurons sans doute à revenir plus d'une fois sur cet important sujet, et peut-être nos braves amiraux eux-mêmes arriveront-ils à regarder comme désastreuse cette dure servitude désormais sans raison d'être.

Quant à la question des droits sur le hareng, on se souvient comment elle se présentait devant le premier corps de l'Etat. Il s'agissait d'une pétition signée par quelques pécheurs de nos ports de la Manche, qui priaient le Sénat d'intervenir auprès du Gouvernement pour obtenir que le droit à l'importation du hareng de pêche étrangère fùt relevé à son ancien taux de 40 fr. (48 fr. avec les décimes de guerre), au lieu d'ètre réduit à 10 fr. (soit 12 fr.), comme le prescrit la convention supplémentaire, du 16 novembre 1860, au traité de commerce avec l'Angleterre. En renvoyant le pétition au ministre, le Sénat a paru lui donner raison. Cependant nous ne voyons pas qu'il ait été répondu rien de satisfaisant à l'argumentation de M. Michel Chevalier, de M. Rouher et des orateurs qui ont soutenu le Gouvernement. Comment admettre que le pays ait intérêt à payer le poisson qu'il consomme plus cher que ses voisins, et surtout un poisson que la nature, en le prodiguant, paraît avoir destiné à la nourriture des classes peu aisées ! N'est-ce pas l'effet des difficultés imposées à la consommation de resserrer la production, et par conséquent de nuire à l'intérêt même qu'on se propose de protéger? Si le hareng semblant, par une coïncidence pleine de malignité, prendre le parti de nos ennemis a abandonné nos côtes, en 1845, pour celles de l'Angleterre, n'est-ce pas une raison de plus pour ne pas le raréfier encore par des tarifs? Or, nul doute que ce dernier résultat ne se soit produit quand on voit M. le préfet de la Seine venir déposer que le plus grand centre de consommation, la ville de Paris, avec plus de 4 million 700,000 habitants, n'achetait pas plus de 800,000 harengs salés à nos pêcheurs, soit moins d'un demi-poisson par tête d'habitant, et moins de 6 c., même quand on le calcule au prix du commerce de détail.

Nous avons eu sous les yeux le texte officiel du double tarif annexé au traité de commerce entre la France et la Belgique. Le premier de ces tarifs est destiné à régler les droits sur les marchandises belges qui entreront en France; le second est à l'usage de l'autre partie contractante. L'objet des négociateurs français a été, d'une part, d'étendre au commerce des autres nations le tarif d'importation qui, sur sa propre frontière, résulte du traité de commerce avec l'Angleterre, et, d'autre part, de faire adopter ce même tarif par voie de réciprocité aux autres Etats pour l'entrée des marchandises étrangères chez eux. On peut dire

qu'en bloc ce double but a été atteint par rapport à la Belgique. Toutefois la règle générale n'a pas été sans quelques dérogations motivées soit sur des usages locaux, soit sur une manière de voir propre au gouvernement belge. Ces écarts méritent d'être signalés. Et puis, dans le traité négocié avec l'Angleterre, on avait omis de statuer sur un assez grand nombre de marchandises, soit des articles manufacturés que la prohibition n'atteignait pas, soit des produits bruts, peu ou point modifiés par l'industrie humaine. On avait négligé aussi d'y régier l'affaire des droits de sortie et des prohibitions à l'exportation qui s'offraient dans l'ancien tarif de la France. Enfin, après la signature du traité avec l'Angleterre, des réclamations, évidemment inspirées par l'intérêt général, s'étaient produites, afin d'obtenir qu'on modéràt davantage quelques-uns des droits et qu'on simplifiat la tarification qui, pour quelques catégories d'articles, était restée trop compliquée. Il a été pourvu plus ou moins complétement à ces différents objets.

Il est résulté de là: 1o que la liste des articles dénommés dans le traité avec la Belgique est notablement plus longue que celle du traité avec l'Angleterre; 2° que quelques-uns des droits ont été assis, pour l'importation en Belgique, sur des bases différentes de celles qui ont été admises pour la France par le traité du 23 janvier 1860 et ses annexes; 3° qu'un petit nombre des droits déterminés pour l'admission en France ont été adoucis; 4° enfin qu'on y a vidé à peu près sans exception la question des droits de sortie et des prohibitions d'exportation.

Sur le premier point, la tarification des objets que le traité avec l'Angleterre avait laissés à l'écart, le traité avec la Belgique a fait à peu près tout ce qui restait à faire. Le gouvernement français a pensé qu'il convenait que les droits sur les céréales et leurs dérivés, les farines, fussent fixés par une loi délibérée en Corps législatif. Il n'est donc pas fait mention de ces importants articles dans le traité belge. Mais un bon nombre de produits du sol y figurent, et la tarification qui s'y applique est fort modérée. Cette modération, au surplus, n'avait pas d'adversaires. L'agriculture, depuis quelques années, avait, mieux que la plupart des manufacturiers, compris qu'un régime libéral des douanes était d'intérêt public et favoriserait la production nationale ellemême tout autant que la consommation.

Le nombre des articles à l'égard desquels, pour l'importation en Belgique, les droits sont établis sur une assiette différente de ce qui avait été convenu pour l'entrée en France des mèmes objets venant d'Angleterre, est assez considérable. Il faut citer la fonte, le fer et l'acier et leurs dérivés, c'est-à-dire ces mêmes métaux ouvrés, et les machines. En cela, la Belgique porte l'abaissement de son tarif au delà de la réciprocité. Le tarif sur les fils de lin, de chanvre et de jute et sur les tissus de ces mêmes substances est aussi notablement réduit et simplifié. Pour

les uns et les autres, les Belges se sont soustraits à la classification compliquée qui doit être en vigueur pour l'admission en France. Pour les fils, les droits sont spécifiques, c'est-à-dire d'un montant expressément porté au tarif. Pour les tissus, c'est un droit à la valeur de 15 p. 400. A l'égard des filés de coton au-dessus du n° 40, les Belges n'ont pas admis la tarification ascendante qui chez nous va par gradation jusqu'au no 174 et porte le droit à un maximum de 3 fr. par kilogramme sur l'écru; leur maximum est de 40 c. De plus, ils ne surtaxent pas les filés blanchis, quoique nous leur en eussions donné l'exemple, et leur surtaxe sur les filés teints n'est que des deux cinquièmes de la nôtre. On devra prochainement imiter ces diverses dispositions pour l'entrée en France. C'est d'un intérêt pressant.

La modification des droits réglés, pour l'importation en France, par le traité avec l'Angleterre s'applique à peu d'articles, ce qui s'explique par le fait que le traité avec l'Angleterre est de date fort récente. Elle est d'ailleurs peu prononcée. Elle porte, par exemple, sur les fils de coton retors à deux bouts, ainsi que sur les fils de laine retors pour le tissage. La réduction est faible. Il y aurait eu de l'avantage à la rendre plus significative. Les intérêts auxquels nuit cette tarification demeurée excessive sont dignes d'une grande considération; il suffit de nommer l'industrie des tulles, qui jetterait une si grande masse de ses produits sur les marchés étrangers, si elle avait le filé de coton au même prix que les Anglais. Cette intéressante industrie avait fait entendre des plaintes énergiques lors de la publication de la convention annexe du 16 novembre 1860 au traité avec l'Angleterre. Elle ne sera point satisfaite de la modification qui lui a été accordée.

Beaucoup de plaintes s'étaient élevées aussi à l'occasion du tarif sur les articles ouvrés en fer, fonte et acier, tei qu'il était in liqué par le traité avec l'Angleterre. Ce tarif présente en effet le double inconvénient d'être trop élevé dans le plus grand nombre des cas, et de présenter une complication extrême. Sous ce dernier rapport, c'est une disparate choquante au milieu d'autres dispositions du traité de commerce avec l'Angleterre. Pour le fer même que nous appellerons brut, on a, dans ce traité, beaucoup trop multiplié les divisions. Il eût fallu un seul droit pour le fer brut proprement dit, sous toutes les formes, en barres en fils, en feuilles. C'était parfaitement justifié par les conditions mêmes du travail dans l'industrie métallurgique. Ce qui n'est pas moins grave, la plupart des droits admis pour cette catégorie spéciale restent prohibitifs; on en a la preuve par l'absence presque complète d'importation depuis le mois d'octobre, où cette partie du nouveau tarif est en vigueur. C'était, nous le croyons, le cas de revenir sur cette partie du tarif, à l'occasion du traité avec la Belgique.

Ici, les négociateurs français avaient un excellent modèle sous les

yeux, le tarif accepté par les Belges pour l'entrée chez eux. La modération et la simplicité s'y trouvent réunies. Voici en effet en quoi consiste ce tarif spécial, par 400 kilogrammes: Fonte brute et vieux fer, 4 fr. 50 c. maintenant, 1 fr. au 1er octobre 1864; fer en barres, en fils ou en feuilles, 4 fr. maintenant, 3 fr. au 1er octobre 1864; ferblanc, 9 fr. et 6 fr.; fonte ouvrée, 6 fr. et 4 fr. ; fer ouvré, 9 fr. et 6 fr.; acier ouvré, 9 fr. et 6 fr.; machines et pièces détachées, savoir en fonte, 6 fr. et 4 fr.; en fer ou acier, 9 fr. et 6 fr. Un tarif pareil serait pour l'industrie française un grand bienfait, et il n'y a pas de raison pour que la métallurgie française ne s'en accommode pas aussi bien que la métallurgie belge.

Les prohibitions à la sortie disparaissent du tarif français. Divers droits de sortie sont supprimés, quelques-uns de ceux qui disparaissent, ceux qui frappaient les tourteaux et le bois de noyer, par exemple, étaient assez élevés. La prohibition sur le chiffon et la pâte à papier fait place à un droit de 12 fr. les 100 kilog., tous décimes compris. Il faut croire que sous peu les intérêts qui avaient demandé le maintien de cette prohibition se rallieront à l'entière franchise de sortie. La frayeur qui les avait saisis est chimérique. On est étonné de ne pas trouver, dans la catégorie des droits de sortie supprimés, le droit sur les œufs. L'exportation des œufs, déjà très-grande en France, prendrait des proportions nouvelles si ce droit disparaissait.

Les Belges, de même, ont supprimé les prohibitions et les droits de sortie autres que les simples droits de balance qui déparaient leur tarifs.

En somme, ce traité avec la Belgique est un pas nouveau dans une excellente voie. Espérons qu'il n'aura été que le prélude d'autres conventions avec les principaux États de l'Europe. Le système de l'isolement commercial a fait son temps. De toutes parts on en sent les inconvénients. C'est une raison pour que les ouvertures que ferait le gouvernement français aux gouvernements des autres Etats, afin de généraliser le système d'un tarif libéral, trouvent partout un bon accueil.

Nos exportations ne se sont guère améliorées en avril dernier. Les tableaux que publiait naguère le Moniteur font voir, sur la plupart des marchandises, une décroissance à laquelle font exception pourtant nos tissus et nos machines. Pour nos vins, la situation, en avril, est restée stationnaire. Quant à nos importations, elles se montrent en progrès très-marqués pour les sucres et les cafés, comme pour les matières textiles, les métaux bruts et les charbons, en un mot pour la généralité des articles qu'a dégrevés ou affranchis le remaniement de nos tarifs ou le traité avec l'Angleterre. Le coton, en particulier, continue d'affluer chez nous en quantités toujours croissantes: 70 millions de kilogrammes en quatre mois, contre 20 millions l'an dernier. Est-ce prévision

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d'obstacles ultérieurs au trafic de ce précieux textile? Nous ne savons; mais il est certain que les arrivages dans les ports d'Europe, loin de se ralentir sous l'influence de la crise politique américaine, se sont, en dernier lieu, très rapidement développés. C'est toujours, bien entendu, le coton des États-Unis qui forme le gros de l'approvisionnement européen, les neuf-dixièmes au moins; les cotons de l'Inde, du Brésil ou de l'Égypte ne forment encore qu'un assez mince filet dans ce large courant cotonnier qui, des ports du Sud américain, vient aboutir aux ports d'Angleterre, de France et des mers du Nord, entre lesquels il se répartit dans des proportions si diverses.

Les relevés commerciaux du Moniteur présentent depuis quelques temps une innovation dont il faut savoir gré à l'administration des douanes. C'est le détail par principaux ports de nos expéditions à l'étranger. Le commerce pourra certainement trouver, dans ce perfectionnement de notre statistique officielle, de fort utiles informations.Constatons, en terminant, un résultat très-satisfaisant et nouveau par rapport aux six ou huit derniers mois, que font remarquer ceux du mois d'avril. La recette des douanes, à l'entrée, est enfin cette fois en augmentation; elle a donné 9 millions 629,000 fr. contre 8 millions 956,000 fr. La perception sur le sucre y entre pour beaucoup.

La mort de M. de Cavour a répandu dans le public une grande et légitime émotion. M. de Cavour meurt comme Mirabeau à l'aurore du gouvernement constitutionnel et au début de la révolution italienne, quand son esprit et sa main étaient encore nécessaires pour les diriger et les défendre. Heureusement, le gouvernement libre et l'indépendance de l'Italie ne sont pas plus à la merci du génie d'un homme que les principes de 1789. Cet homme d'Etat illustre laisse une page glorieuse à l'économie politique. Il a été le Turgot heureux du Piémont, ou, si l'on veut, son Robert Peel. Bien que les difficultés pour opérer les réformes économiques aient été moindres assurément dans ce dernier pays, elles étaient réelles néanmoins, et il n'a pas fallu moins que la forte et sage direction d'un pareil ministre pour mettre le Piémont dans la bonne voie. M. de Cavour n'était pas de ces hommes d'Etat qui parlent avec dédain de l'économie politique, alors même qu'ils la servent par des mesures partielles. Il l'aimait, la cultivait, la savait, et l'invoquait au besoin par son nom. Nous l'avons vu s'asseoir à notre banquet mensuel, et il était membre de notre Société d'économie politique. L'homme éminent, le grand ministre qui a introduit dans son pays les principes de la liberté commerciale, inspire parmi nous d'unanimes regrets. HENRI BAUDRILLART.

Paris, 15 juin 1861.

L'Administrateur-Gérant, GUILLAUMIN.

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