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ils sont foncièrement égoïstes alors même qu'ils sympathisent l'extérieur tout s'explique dans le monde par l'éternelle lutte pour la vie, les lois morales elles-mêmes se ramènent aux lois mécaniques, et l'ordre social n'est que le meilleur moyen de satisfaire à la fois tous les égoïsmes.

On le voit, les écoles rivales diffèrent par le rang qu'elles accordent aux deux éléments les plus essentiels du problème métaphysique la nécessité et la liberté.

Mais d'abord l'antithèse des deux termes n'est peut-être pas absolue; on peut se faire de la liberté morale une idée qui la rende compatible avec le déterminisme de la nature. Pour cela il faut concevoir la liberté non comme une puissance de décision indifférente entre les contraires, comme une liberté d'indifférence ou un libre arbitre vulgaire, mais comme une puissance de développement indéfini dont l'essence consiste dans le pouvoir de se désintéresser et d'aimer (1). La fatalité est l'égoïsme, la liberté est l'amour de tous les êtres. Or, il se peut que l'égoïsme soit imposé provisoirement par une nécessité du dehors et n'exprime pas le fond même de l'être; il se peut que le désintéressement, au contraire, soit le dégagement et la délivrance de notre vraie nature, si cette nature est précisément une bonne volonté que les circonstances seules et les besoins physiques semblent rendre mauvaise. En tout cas, l'idéal de la bonne volonté n'est pas en contradiction absolue avec notre nature puisqu'en fait nous la concevons, nous la désirons, nous la voulons. Il n'y a donc plus qu'un pas à faire pour admettre qu'elle est au fond notre nature même, notre essence et celle de tous les êtres, en un mot que la bonne volonté fait le fond de tout ce qui agit, vit, sent et veut.

Les progrès à venir de la métaphysique et des sciences positives pourroi sans cesse apporter de nouvelles lumières dans ce diff cile problème; mais, dès aujourd'hui, l'alternative où il se résums peut et doit être résolue pratiquement, sinon théoriquement. kë effet, les deux systèmes qui demeurent en présence n'ont pas même valeur au point de vue de l'idéal moral, de l'idéal pratique, puisque l'un est l'acceptation et l'autre le rejet de cet idéal même. Or le fatalisme absolu n'est qu'une hypothèse spéculative; la doctrine de la liberté et du désintéressement, au contraire, est une hypothèse pratique et pratiquement nécessaire, conséquence

1. Voir notre livre sur la Liberté et le Déterminisme, 2o partie et notre ivre sur l'Idée moderne du droit, livre iv.

de l'idéal que notre volonté se propose à elle-même. Dès lors, qu'est-ce qui déterminera la direction que nous prendrons ?- La puissance même que cet idéal exerce sur nous. L'homme en qui l'influence de l'idéal moral est prédominante agit envers soi et envers les autres comme envers des êtres moraux; il règle sa volonté et ses actions comme si la bonne volonté était l'essence universelle qu'il dépend de nous de manifester, comme si la force fatale et égoïste était un obstacle qu'il dépend de nous soit de détruire, soit de reculer, soit de tourner au profit de la volonté même.

Ainsi la volonté, lorsque en elle prédomine la conscience et l'amour de son idéal intérieur, tranche pratiquement pour son propre compte le problème relatif à l'essence de l'être, que la pure théorie n'est pas encore parvenue à résoudre. Cette induction métaphysique fait le fond de tout acte moral. A ce point de vue idéaliste, où est le relatif et le provisoire ? C'est dans la fatalité de l'égoïsme et dans la lutte brutale qu'elle engendre. Où est le vrai et le définitif? C'est dans l'idéale liberté, c'est-à-dire dans la puissance de se désintéresser ou d'aimer, et dans l'union morale ou sociale que sa réalisation progressive prépare entre tous les êtres.

FIN.

TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES

PAR ORDRE HISTORIQUE.

INTRODUCTION.

DE LA MÉTHODE DANS L'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE.

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-

Que l'historien doit 1o comprendre, 2o apprécier. Pour comprendre, il
faut se placer au point de vue d'autrui et non à son propre point de
vue, entrer dans la pensée des autres plus profondément qu'eux-mêmes,
s'il est possible, la pousser plus loin qu'eux pour en bien apercevoir
la direction, s'attacher à l'esprit en même temps qu'à la lettre, aux
parties supérieures des systèmes plutôt qu'aux parties inférieures, aux
vérités plutôt qu'aux erreurs. La grande critique est celle des beautés,
non des défauts.

Pour apprécier, il faut corriger les erreurs et concilier les vérités.
Les erreurs portent sur les conséquences ou sur les principes. Les
erreurs de conséquences doivent être rectifiées au moyen des principes
du système, sans sortir du système lui-même ; on complète ainsi et on

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-

perfectionne le système avec ses propres ressources.
Si le sys-
tème ainsi perfectionné est cependant insuffisant à l'explication
de la réalité, et s'il laisse en dehors de lui des choses que la con-
science nous atteste, c'est que le principe du système est incomplet.
L'erreur de principe consiste à prendre ainsi une vérité incomplète et
partielle pour la vérité totale. La réfutation de cette seconde es-
pèce d'erreur consiste à compléter un système par un autre vers lequel
ses tendances et sa direction propre l'entraînent, et où il trouve son
achèvement. De là la conciliation progressive des doctrines dans leurs
parties positives, et leur réduction à l'unité au sein d'une doctrine
plus large. Cette méthode diffère de l'éclectisme ou choix plus_ou
moins arbitraire de propositions empruntées à divers systèmes. Elle
diffère aussi de la méthode hégélienne, qui finit par regarder l'erreur
même comme une partie essentielle de la vérité en identifiant les
contradictoires. La vraie méthode de l'histoire doit être une méthode
de justice et de fraternité à l'égard de ceux qui ont aimé et cherché
comme nous la vérité . .

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VI

!

-

PREMIÈRE PARTIE

PHILOSOPHIE ANCIENNE.

CHAPITRE PREMIER

DOCTRINES PHILOSOPHIQUES DES ANCIENS PEUPLES.

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-

Métaphysique des Indiens. - Polytheisme et panthéisme de la religion
brahmanique. La première doctrine de l'Inde fut le polythéisme.
L'homme conçoit toutes les puissances de la nature à l'image de sa
propre puissance, comme douées d'intelligence et de volonté. Ce poly-
théisme respire dans les hymnes des. Védas. Puis la pensée in-
dienne passe au panthéisme, qui fait le fond de la religion brahma-
nique. Les dieux multiples se réunissent sous trois grands dieux,
gui eux-mêmes sont les puissances diverses de l'Esprit universel.
La production du monde est une émanation de Dieu; Dieu engendre le
monde par amour, mais par un amour mêlé de désir. En tant qu'il
crée, Dieu est Brahma; en tant qu'il détruit, il est Siva; en tant
qu'il conserve, il est Vichnou: c'est la trinité indienne. A cette
théorie de l'émanation divine se joint la transmigration des âmes. En
vertu de cette loi, chaque être a, dans l'univers, la place et la forme
qui conviennent à son degré de moralité. Il n'y a point de destin exté-
rieur qui gouverne la vie des êtres; chaque être, par son vice ou sa
vertu, se fait à soi-même son propre destin.- Originalité et grandeur
de cette conception. .

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3

II. - Morale de la religion brahmanique. Dévotion, humilité, modestie;
patience et pardon des injures; amour et respect des faibles; amour
et respect de la femme; pitié et respect des animaux. Malgré sa
grandeur, cette morale ne place pas dans la liberté le vrai caractère du

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