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que l'un & l'autre ne peut être apperçu que par la raifon; le Beau fenfible, par la raifon attentive aux idées qu'elle reçoit des fens ; & le Beau intelligible, par la raifon attentive aux idées de l'efprit pur. Je commence par le Beau fenfible, quoique peut-être lé plus compliqué, mais qui d'ailleurs me paroît le plus facile à éclaircir, par les fecours que je puis tirer de nos idées les plus familieres, pour me faire entendre à toutes fortes de perfonnes.

D'abord, il eft certain que tous nos fens n'ont pas le privilege de connoître le Beau. Il y en a trois, que la nature a exclus de cette noble fonction: le goût, l'odorat & le toucher; fens ftupides & groffiers, qui ne cher chent, comme les bêtes, que ce qui leur eft bon, fans fe mettre en peine du beau. La yue & l'ouïe font les feules de nos facultés corporelles, qui aient le don de le difcerner. Qu'on ne m'en demande pas la raifon je n'en connois point d'autre, que la volonté du Créateur, qui fait, comme il lui plaît, le partage des talens.

Toute la question se réduit donc ici au Beau qui eft du reffort de ces deux fens privilégiés; c'eft-à-dire, au Beau vifible ou optique, & au Beau acoustique ou mufical: au Beau vifible, dont l'œil eft le juge naturel, & au Beau acoustique, dont l'oreille eft l'arbitre née : l'un & l'autre établis par un ordre fouverain, pour en décider chacun dans fon diftrict, mais en tribunaux fubalternes fuivant certaines loix, qui, leur étant antérieures & fupérieures, doivent dicter tous leurs arrêts.

Celles que l'oreille doit fuivre dans les fiens, font d'une théorie trop fine & trop délicate pour me réfoudre à commencer par elles. Ainfi, pour .plus grande facilité, je me borne dans ce premier Difcours au Beau fenfible, qui eft l'objet de la vue. Nous n'aurons encore que trop de matiere.

Il faut montrer qu'il y a un Beau vifible dans tous les fens que nous avons diftingués; un Beau effentiel un Beau naturel, & un Beau en quelque forte arbitraire. Il faut expliquer

par

le

la nature de ces trois efpeces de Beau vifible. Il faut établir quelques regles pour les reconnoître, chacun trait particulier qui le caractérise. Vous voyez, Meffieurs , par la maniere toute fimple dont j'expose mon deffein, que je n'ai nulle intention de fufpendre vos fuffrages, ni de vous demander grace pour mes preuves. Mais auffi vous me permettrez de vous demander juftice contre l'infolence du pyrrhonisme, dont la folie & le ridicule ne parurent jamais plus palpables que dans cette matiere.

Eft-il poffible qu'il y ait eu des hommes, & même des philofophes, qui aient douté un moment s'il y a un Beau effentiel & indépendant de toute inflitution, qui eft la regle éternelle de la beauté vifible des corps? La plus légere attention à nos idées primitives, n'auroit-elle pas dû les convaincre que la régularité, l'ordre, la proportion, la fymmétrie font effentiellement préférables à l'irrégularité, au défordre & à la difproportion? La Géométrie naturelle, qui ne peut être ignorée de perfonne, puifqu'elle fait

partie de ce qu'on appelle fens-commun, auroit-elle oublié de leur mettre, comme aux autres hommes, un compas dans les yeux, pour juger de l'élégance d'une figure, ou de la perfection d'un ouvrage? Auroit-elle ou blié de leur apprendre ces premiers principes du bon-fens: qu'une figure eft d'autant plus élégante, que le contour en eft plus jufte & plus uniforme; qu'un ouvrage eft d'autant plus parfait, que l'ordonnance en efl plus dégagée; que, fi l'on compofe un deffin de plufieurs pieces différentes, égales ou inégales, en nombre pair ou impair, elles y doivent être tellement diftribuées, que la multitude n'y caufe point de confufion; que les parties uniques foient placées au milieu de celles qui font doubles; que les parties égales foient en nombre égal, & à égale diftance de part & d'autre ; que les inégales fe répondent auffi de part & d'autre en nombre égal, & fuivant entr'elles une efpece de gradation réglée; en un mot, en forte que, de cet affemblage, il en résulte un tout, où rien ne fe confonde, où rien ne fe

contrarie, où rien ne rompe l'unité du deffin? Et pour defcendre de la métaphyfique du Beau, à la pratique des arts qui le rendent fenfible, un fimple coup-d'oeil fur deux édifices, P'un régulier, l'autre irrégulier, ne doit-il pas fuffire, non-feulement pour nous faire voir qu'il y a des regles du Beau, mais mais pour nous en découvrir la

raifon?

Cette raifon fondamentale des regles du Beau, qui eft affez fubtile paroîtra peut-être meilleure dans la bouche de quelque Auteur célebre, que dans la mienne. Je n'en connois que deux, qui aient un peu approfondi la matiere que je traite; Platon & faint Auguftin.

Platon a fait deux Dialogues intitulés, du Beau; fon grand Hippias,& fon Phédre. Mais comme dans le premier il enfeigne plutôt ce que le Beau n'eft pas que ce qu'il eft; comme dans le fecond il parle moins du Beau, que de l'amour naturel qu'on a pour lui; comme dans l'un & dans l'autre il étale à fon ordinaire plus d'efprit & d'éloquence que de véritable philofophie,

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