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sans en faisant asseoir Molière à sa table; au
mois d'août 1665, si des scrupules religieux ne
lui permirent pas encore de lever l'interdiction
du Tartuffe, il s'empressa du moins d'en dédom-
mager l'auteur en attachant à sa personne, avec
une pension de sept mille livres, sa troupe, qui
jusque-là n'avait été
que la troupe de MONSIEUR.
Les acteurs qui la composaient prirent dès lors
le titre de comédiens du Roi: noble réponse aux'
lâches efforts que la cabale avait faits pour in-
disposer contre Molière la Reine-nière et le mo-
monarque lui-même 1.

A peu près dans le même temps, l'illustre protégé, pressé par les sollicitations de ses camarades, eut de nouveau occasion de recourir aux bontés du Roi. Les mousquetaires, les gardesdu-corps, les gendarmes et les chevau-légers étaient en possession d'entrer à la comédie sans payer; et, par ce moyen, le parterre se trouvait souvent rempli, sans que la caissé en fût moins vide. Molière, cédant aux instances de sa troupe, demanda la réforme de cet abus au prince, qui donna les ordres nécessaires pour y mettre fin. Mais les plus mutins de ceux sur qui pesait cette défense s'en prirent aux comédiens qui l'avaient

I. Préface de l'édition des OEuvres de Molière de 1682 (par La Grange). Grimarest, p. 106. Histoire du Théâtre français (par les frères Parfait), tom. X, p. 79 et 94, note. ·

1665.

1665. sollicitée. Ils se rendirent donc en troupe au théâtre, résolus d'en forcer l'entrée. Le portier fit, pendant quelque temps, la meilleure contenance; mais à la fin, forcé de céder au nombre, il jeta son épée à terre en criant: Miséricorde! Cette soumission et ses prières ne servirent à rien outrés de la résistance qu'il leur avait opposée, les assaillans le percèrent de cent coups d'épée, et chacun en entrant lui donnait le sien. Ils cherchaient tous les comédiens, pour leur faire subir le même traitement, quand Béjart jeune, qui était habillé en vieillard pour la pièce qu'on allait jouer, se présenta sur le théâtre : «Eh! Messieurs, leur dit-il, épargnez du moins >> un pauvre vieillard de soixante-quinze ans qui » n'a plus que quelques jours à vivre ». La présence d'esprit de cet acteur calma leur fureur. Molière, qui savait fort bien haranguer le parterre et qui n'en laissait pas passer les occasions, parut alors, et leur représenta très-vivement les · torts qu'ils s'étaient donnés en violant les ordres du Roi. Ils sentirent la justesse de ses observations, ouvrirent les yeux sur la position où ils s'étaient mis, et se retirèrent. « Mais le bruit et les

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cris, dit Grimarest, avaient causé une alarme » parmi les comédiens. Les femmes croyaient être » mortes : chacun cherchait à se sauver; surtout » Hubert et sa femme, qui avaient fait un trou

» dans le mur du Palais-Royal. Le mari voulut 1665. » passer le premier; mais, comme le trou n'était » pas assez ouvert, il ne passa que la tête et les épaules; jamais le reste ne put suivre. On avait » beau le tirer de dedans le Palais-Royal. Rien » n'avançait et il criait comme un forcené, par » le mal qu'on lui faisait et par la peur qu'il avait » que quelque gendarme ne vînt lui donner un » coup d'épée par derrière. Le tumulte s'étant » apaisé, il en fut quitte pour la peur; et l'on agrandit le trou pour le retirer de la torture où » il était ».

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La troupe alla aux voix sur le parti qu'elle avait à prendre. La frayeur porta la plupart à demander qu'on sollicitât la révocation de la défense. Molière tint bon, et leur fit observer que, puisqu'ils l'avaient poussé à demander cet.ordre, et que le Roi avait daigné le leur accorder, ils en devaient subir les conséquences.

Instruit de cette scène, Louis XIV ordonna aux commandans des compagnies de sa maison de les faire mettre sous les armes, afin qu'on en pût reconnaître et punir les auteurs. Mais Molière, qui craignait qu'une mesure sévère ne fît qu'irriter les esprits et n'amenât de nouveaux désordres, se rendit au lieu de la réunion et dit aux gardes assemblés « que ce n'était point pour eux >> ni pour les autres personnes qui composaient la

1665. maison du Roi qu'il avait demandé à Sa Ma

»

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»jesté un ordre pour les empêcher d'entrer à la

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» comédie; que la troupe serait toujours ravie de » les recevoir quand ils voudraient l'honorer de » leur présence; mais qu'il y avait un nombre infini de malheureux qui tous les jours, abusant de » leur nom et de leur bandoulière, venaient remplir le parterre et ôter injustement à la troupe le » gain qu'elle devait faire; qu'il ne croyait pas » que des gentilshommes qui avaient l'honneur » de servir le Roi dussent favoriser ces miséra>>bles contre les comédiens de Sa Majesté; que » d'entrer à la comédie sans payer n'était point » une prérogative que des personnes de leur ca»ractère dussent si fort ambitionner, jusqu'à ré» pandre du sang pour se la conserver; qu'il fal»> lait laisser ce petit avantage aux auteurs et aux » personnes qui, n'ayant pas le moyen de dépen>> ser quinze sols, ne voyaient le spectacle que par » charité, s'il m'est permis, dit-il, de parler de la

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Ce discours produisit tout l'effet que Molière en espérait. Mais Grimarest a prétendu à tort que depuis ce moment la maison du Roi n'entra plus à la comédie sans payer. Le même abus et des désordres encore plus grands nécessitèrent

1. Grimarest, p. 131 et suiv.

en 1673 une semblable ordonnance, sollicitée par 1665. la troupe de l'hôtel de Bourgogne1 (31).

Un nouveau succès vint dédommager Molière de ces inquiétudes nouvelles. Demandé pour un divertissement du Roi, l'Amour médecin fut en cinq jours proposé, fait, appris, et représenté. La cour l'applaudit le 15 septembre, la ville confirma son jugement le 22. Dans son avertissement sur cette pièce, l'auteur inanifeste la crainte qu'elle ne paraisse insupportable sans les airs et les symphonies de l'incomparable Lulli: il ne nous est pas parvenu une seule note de cette partition du célèbre Baptistė; et les mots heureux dont la pièce abonde, le fameux, Vous êtes orfèvre, monsieur Josse, et une foule d'autres traits dignes de cette histoire générale des donneurs d'avis, ne périront jamais, tant qu'il restera quelque sentiment du vrai.

On a assez généralement regardé l'Amour médecin comme le premier, acte d'hostilité de Molière contre la Faculté. La remarque est inexacte. Don Juan du Festin de Pierre avait déjà porté de dangereux coups aux médecins3. A la vérité ces traits sont lancés par un personnage puni à la fin de la pièce; mais il y aurait bien de l'amour

1. Le Théatre-Français (par Chapuzeau), 1674, p. 165. 2. Avertissement de l'Amour médecin, de Molière.

3. Le Festin de Pierre, act. III. sc. I.

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