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1665.

Le croirez-vous, race future,
Que la fille du grand Henri
Eut, en mourant, même aventure
Que feu son père et son mari?
Tous trois sont morts par assassin,
Ravaillac, Cromwell, médecin :
Henri, d'un coup de baïonnette,
Charles finit sur un billot,

Et maintenant meurt Henriette
Par l'ignorance de Valot.

Voilà les hommes que les ennemis de Molière ont voulu défendre contre ses attaques. Louis XIV cependant, dont le nom se rencontre toujours là où notre premier comique a besoin d'un juste protecteur; Louis XIV, qui faisait l'esprit fort en médecine quand il entendait ses bons mots, et qui se laissa bientôt après purger toutes les semaines par Fagon; Louis XIV avait approuvé cette satire sous prétexte, dit-on, que les médecins font assez souvent pleurer pour qu'ils fassent rire quelquefois, et qu'institués pour le rétablissement de la santé, ils y parviennent bien mieux en excitant la gaieté au théâtre qu'en ordonnant des remèdes dans leur cabinet. Il est faux toutefois que Molière ait, comme on l'a prétendu, fait prendre aux acteurs chargés des rôles de ces quatre médecins des masques qui reproduisaient exactement leurs traits. Il est aussi ridicule qu'injurieux pour la mémoire de deux

1665. grands hommes de penser un seul instant que l'un eût osé proposer une aussi licencieuse mascarade et que l'autre se fût oublié au point de l'autoriser. A l'exception des Pierrots et des Arlequins de la scène italienne, on n'avait pas vu au théâtre de personnages sous le masque, depuis les premières représentations des Précieuses ridicules, auxquelles Molière avait rempli le personnage de Mascarille sous un masque dont les traits, comme on le pense bien, ne rappelaient ceux de qui que ce fût. Ce n'est pas dans une telle circonstance et avec de tels détails qu'il eût fait renaître cette coutume entièrement oubliée.

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Plus tard Molière, justement effrayé du nombre de ses ennemis, voulant en éclaircir les rangs, et lever les derniers obstacles qu'on opposait encore au Tartuffe, sembla proposer la paix aux médecins : « La médecine, dit-il en 1669, dans la préface de ce dernier chef-d'œuvre, est un art » profitable, et chacun la révère comme une des » plus excellentes choses que nous ayons; et cependant, il y a eu des temps où elle s'est ren» due odieuse, et souvent on en a fait un art » d'empoisonner les hommes. » Mais, soit que le souvenir de ses précédentes attaques eût porté la Faculté à demeurer sourde à ces paroles de paix, soit qu'il se fût ensuite effrayé de nouveau du dangereux empire des médecins et de leur igno

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rance, il attaqua dans une autre de ses comé- 1665, dies, le Malade imaginaire, et cette confiance aveugle qui a sa source dans notre frayeur de la mort, et cet amour démesuré de la vie qui fait découvrir aux gens les mieux portans mille maladies mortelles, enfans de leur imagination. Dans l'Amour médecin, ses plaisanteries avaient été principalement dirigées contre les médecins ; dans sa dernière pièce, un grand nombre l'étaient contre la médecine. Avant lui, Montaigne était descendu dans la lice pour soutenir la même cause, pour combattre les mêmes préjugés; et l'on peut dire que les coups portés par le premier champion rendirent au second la carrière plus facile à parcourir; car nous retrouvons dans l'Amour médecin, dans le Malade imaginaire, plus d'un trait satirique de l'auteur des Essais.

Ses envieux ne lui ménagèrent pas les reproches pour avoir osé attaquer une classe et un art aussi redoutable. Ils cherchèrent même à prouver qu'une telle conduite ne pouvait être que celle d'un hérétique. «Molière, a dit Perrault dans 'ses Éloges des Hommes illustres, ne devait pas tour>> ner en ridicule les bons médecins, que l'Écri>>ture nous enjoint d'honorer. » Celui-là eût pu opposer à cette insidieuse accusation l'autorité du prophète reprenant le roi Asa d'avoir eu recours aux médecins, et l'autorité, plus profane

1665. sans doute, mais imposante encore, des Romains défendant, pendant près de six cents ans, l'entrée de leur ville aux médecins, et les en chassant plus tard, quand ils eurent fait la triste expérience de leur savoir. Mais quels témoignages auraient pu convaincre Perrault, qui jouait presque dans cette pièce le rôle de M. Josse, puisqu'il avait un frère médecin, et les ennemis de l'auteur du Tartuffe, qui, n'écoutant que leur baine, demeuraient sourds à la vérité? Aujourd'hui, nous le savons, on trouve encore des ns qui, sans compter de parens dans la Facu é, sans nourrir de rancune contre l'auteur qui flétrit l'hypocrisie, regardent comme plus comique que fondée la guerre qu'il déclara aux docteurs de son temps. Mais nous ne craignons pas d'affirmer, ce que les faits que nous avons rapportés plus haut ont d'ailleurs démontré, que cette opinion ne repose que sur une erreur en histoire médicale, sur une sorte d'anachronisme. Ces censeurs de Molière jugent la Faculté d'autrefois par celle de nos jours, ou du moins croient qu'il n'existe entre elles que cette différence en amélioration que deux siècles amènent naturellement chez un peuple policé. Ce raisonnement, qui, appliqué à d'autres sciences, pourrait se trouver juste, ne saurait l'être pour la médecine. Cet art, tout conjectural par lui-même, n'a acquis,

ou du moins n'a mérité quelque confiance que 1665. depuis le moment où une connaissance profonde de l'anatomie est venue mettre ceux qui l'exercent à même d'entrevoir la cause de nos maux, de soupçonner les moyens de les guérir; enfin, depuis que la raison, fortifiée par l'étude, a pris la place du charlatanisme. Mais quelle foi ajouter aux conseils imbécilles de gens qui se refusaient encore à croire à la circulation du sang, et voyaient dans une goutte d'or potable le remède de tous les maux?

Les efforts de Molière ne pouvaient être couronnés d'un bien grand succès; car un aveuglement qui se fonde sur l'égoïsme et la crainte du trépas doit nécessairement vivre aussi longtemps que les chefs-d'œuvre par lesquels on essaie de le détruire. On est toutefois forcé de reconnaître que, si notre premier comique ne dessilla pas les yeux des malades, il ne fut pas étranger aux améliorations que subit l'exercice de cette profession; ses sarcasmes, plus efficaces que beaucoup d'ordonnances, guérirent les médecins de quelques-uns de leurs ridicules pédantesques.

Un mois avant la représentation de l'Amour médecin, le 4 août, mademoiselle Molière donna le jour à un second enfant (32). Son mari avait lieu d'espérer que cette circonstance et l'indul

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