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1653. scène II du premier acte de ce chef-d'œuvre '.

Dassoucy, dans ses Aventures, nous apprend qu'en partant de Lyon, Molière et ses camarades se rendirent à Avignon, où il les suivit. Cette ville, d'après les aveux de ce troubadour épicurien, le vit se livrer avec excès à sa passion pour le jeu, dont les chances lui furent si constamment et si cruellement défavorables, qu'en moins d'un mois il demeura, selon son expression, vétu comme notre premier père Adam lorsqu'il sortit du paradis terrestre. Mais, ajoute-t-il, comme un homme » n'est jamais pauvre tant qu'il a des amis, ayant » Molière pour estimateur et toute la maison des » Béjart pour amie, en dépit du diable et de la for» tune........., je me vis plus riche et plus content que » jamais; car ces généreuses personnes ne se con>> tentèrent pas de m'assister comme amr, elles me >> voulurent traiter comme parent. Étant comman

»

» dés

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pour aller aux États, ils me menèrent avec

» eux à Pézenas, où je ne saurais dire combien de
» graces je reçus ensuite de toute la maison. On
>>> dit le meilleur frère est las au bout d'un
que
» mois de donner à manger à son frère; mais ceux-
»ci, plus généreux que tous les frères qu'on
» puisse avoir, ne se lassèrent point de mne voir à

1. Voir les Femmes savantes, acte I, sc. 2.- La Fameuse comédienne, p. 8. - Petitot, p. 7.

>> leur table tout un hiver.... Quoique je fusse 1653.
» chez eux, je pouvais bien dire que j'étais chez
>> moi. Je ne vis jamais tant de bonté, tant de
» franchise, tant d'honnêteté que parmi ces gens-
» là, bien dignes de représenter réellement dans
» le monde les personnages qu'ils représentent
» tous les jours sur le théâtre '. »

:

Il existe à Pézenas un grand fauteuil de bois auquel une tradition a conservé le nom de fauteuil de Molière; sa forme atteste son antiquité; l'espèce de vénération attachée à son nom l'a suivi chez ses divers propriétaires. Voici ce que les habitans du pays racontent à ce sujet d'après l'autorité de leurs ancêtres Pendant que Molière habitait Pézenas, le samedi, jour du marché, il se rendait assidument, dans l'après-dînée, chez un barbier de cette ville, dont la boutique trèsachalandée était le rendez-vous des oisifs, des campagnards et des agréables; car, avant l'établissement des cafés dans les petites villes, c'était chez les barbiers que se débitaient les nouvelles, que l'historiette du jour prenait du crédit, et que la politique épuisait ses combinaisons. Le grand fauteuil de bois occupait un des angles de la boutique, et Molière s'emparait de cette place. Un tel observateur ne pouvait qu'y faire une ample

1. Aventures de Dassoucy, tom. I, pag. 3og.

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1653. moisson; les divers traits de malice, de gaieté, de ridicule, ne lui échappaient certainement pas; et qui sait s'ils n'ont pas trouvé leur place dans quelques-uns des chefs-d'œuvre dont il a enrichi la scène française? On croit à Pézenas au fauteuil de Molière comme à Montpellier à la robe de Rabelais (29). Dassoucy nous apprend qu'après avoir passé six mois dans cette cocagne, il suivit Molière à Narbonne.

1654.

De Narbonne, notre auteur se rendit à Beziers pendant la tenue des États de Languedoc, présidés par le prince de Conti, qui l'avait engagé à l'y venir rejoindre. L'Étourdi, représenté l'année précédente à Lyon, et le Dépit amoureux qui ne l'avait encore été nulle part, furent accueillis avec la plus grande faveur, et attirèrent à la troupe et à Molière d'unanimes applaudissemens et de nouveaux bienfaits de la part de son ancien condisciple'. Le prince voulut même se l'attacher en qualité de secrétaire. Le poste ne laissait pas que d'être périlleux; car Segrais dit dans ses Mémoires, que Sarrasin, qui l'avait occupé, << mourut à l'âge de quarante-trois ans, d'une » fièvre chaude causée par un mauvais traitement » de M. le prince de Conti. Ce prince lui donna un

1. Préface de l'édition des OEuvres de Molière de 1682 (par La Grange).

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» coup de pincettes à la tempe : le sujet de son 1654. » mécontentement était que l'abbé de Cosnac, de

puis archevêque d'Aix, et Sarrasin, l'avaient fait » condescendre à épouser la nièce du cardinal » Mazarin (Martinozzi), et à abandonner qua>> rante mille écus de bénéfices pour n'avoir » que vingt-cinq mille écus de rente, de sorte » que l'argent lui manquait souvent; et alors il >> était dans des chagrins contre ceux qui lui » avaient fait faire cette bassesse, comme il l'ap»> pelait à cause de la haine universelle qu'on avait » dans ce temps-là contre le cardinal Mazarin '‚» Toutefois, il est probable que ce ne fut pas par la crainte d'un semblable sort, ou, comme le prétend Grimarest, à qui un sentiment généreux ne semble pas apparemment une raison déterminante dans une semblable position, parce qu'il aimait à parler en public, et que cela lui aurait manqué chez M. le prince de Conti, qu'il crut devoir refuser cette place; mais bien parce que rien

à

ses yeux ne pouvait être préférable à cet art pour lequel il n'avait pas hésité à rompre en quelque sorte avec sa famille, et qu'il sentait d'ailleurs que quitter ses camarades, c'était les abandonner à la misère. «Eh! messieurs, disait-il à ceux qui le blâ»> maient de refuser la proposition du prince, ne

1. Mémoires de Segrais, pag. 51.

1654. » nous déplaçons jamais : je suis passable auleur, >> si j'en crois la voix publique; je puis être un >> fort mauvais secrétaire. Je divertis le prince par » les spectacles que je lui donne ; je le rebuterai > par un travail sérieux et mal conduit. Et pen>> sez-vous d'ailleurs qu'un misanthrope comme » moi, capricieux, si vous voulez, soit propre au» près d'un grand? Je n'ai pas les sentimens assez flexibles pour la domesticité. Mais, plus que » tout cela, que deviendront ces pauvres gens » que j'ai amenés de si loin? Qui les conduira? » Je me reprocherais de les abandonner. » La place fut donnée à un gentilhomme nommé de Simoni '.

1654

1657.

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Molière et sa troupe parcoururent encore la à province pendant plusieurs années. Dans ces diverses excursions, il fit représenter plusieurs farces dans le goût italien, par lesquelles il préludait à ses belles compositions. C'étaient les Trois Docteurs rivaux et le Maître d'école, dont il ne nous reste que le titre. Mais deux autres de ces bluettes que nous possédons, le Médecin volant et la Jalousie du Barbouillé, ne laissent pas de grands regrets pour la perte des premières. L'intrigue de ces deux petites comédies a bien quel

1. Grimarest, pag. 24.—Voltaire, Vie de Molière, 1739, pag. 14. —Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière.— Petitot, p. 9.

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