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sions qu'il en reçoit, il se précipite, se modère 5 ou s'arrête, et n'agit que pour y satisfaire. C'est une créature qui renonce à son être pour n'exister que par la volonté d'un autre, qui sait même la prévenir, qui, par la promptitude et la précision de ses mouvements, l'exprime et l'exécute; qui sent autant qu'on le désire, et ne rend qu'autant qu'on le veut; qui, se livrant sans réserve, ne se refuse à rien, sert de toutes ses forces, s'excède, et même meurt pour mieux obéir. . . .

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Le cheval est de tous les animaux celui qui, avec une grande taille, a le plus de proportion et d'élégance dans les parties de son corps: car, en lui comparant les animaux qui sont immédiatement au-dessus et au-dessous, on verra que l'âne est mal fait, que le lion a la tête trop grosse,11 que le bœuf a les jambes trop minces et trop courtes pour la grosseur de son corps, que le chameau est difforme, et que les plus gros animaux, le rhinocéros et l'éléphant, ne sont, pour ainsi dire,12 que des masses informes.12 Le grand allongement des mâchoires est la principale cause de la différence entre la tête des quadrupèdes et celle de l'homme: c'est aussi le caractère le plus ignoble de tous; cependant, quoique les mâchoires du cheval soient fort allongées, il n'a pas comme l'âne un air d'imbécillité, ou de stupidité comme le bœuf. La régularité des proportions de sa tête lui donne, au contraire, un air de légèreté qui est bien soutenu 18 par la beauté de son encolure. Le cheval semble vouloir se mettre au-dessus de son état 14 de quadrupède en élevant sa tête dans cette noble attitude, il regarde l'homme face à face. Ses yeux sont vifs et bien ouverts, ses oreilles sont bien faites et d'une juste grandeur,15 sans être courtes comme celles du taureau ou trop longues comme celles de l'âne; sa crinière accompagne bien sa tête, orne son cou et lui donne un air de force et de fierté; sa queue traînante et touffue couvre et termine avantageusement l'extrémité de son corps; mais l'attitude de la tête et du cou contribue plus que celle de toutes les autres parties du corps à donner au cheval un noble maintien.17

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BUFFON (1707-1788).

XII. LA CONSULTATION.

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"Tous mes voisins parlent de consultation. Jacques 1 a consulté son avocat; Pierre a consulté son avoué; Mathieu a consulté son notaire. J'ai de l'argent; je veux consulter aussi, moi." 2

Ainsi raisonnait Jean-Paul. Il va à la ville, demande l'adresse d'un homme de loi, se présente chez lui et, jetant une pièce de monnaie sur le bureau du jurisconsulte, "donnez-moi une consultation d'un écu, dit-il; voici votre argent."

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"Sur quoi désirez-vous avoir mon avis? demanda l'avocat. Avez-vous une difficulté avec un voisin ?" "Oh! non! Je vis très-bien avec mes voisins: Je les laisse faire ce qu'ils veulent." "Avec un parent,* alors! "Oh!

que non.5

Je leur donne ce qu'ils me demandent et je ne leur demande rien." "Mais enfin avez-vous à vous plaindre de quelqu'un, ou quelqu'un se plaint-il de vous?" "Non! non !" "Mais alors pourquoi voulez-vous une consultation?" "Je ne sais pas; mais j'en veux une."

Le

L'avocat prit une feuille de papier timbré, écrivit quelques mots dessus et le remit à Jean-Paul, en empochant l'écu. paysan s'en alla content.

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Revenu à la maison, il entendit sa femme discuter avec les domestiques. Les uns prétendaient qu'il fallait rentrer les foins ce soir là, les autres qu'il fallait ne les rentrer que le lendemain. La dispute allait s'échauffer, et Jean-Paul allait y prendre part, car la question était difficile :

"Le foin doit-il 10 être rentré aujourd'hui ou demain ?"

"Que je suis niais ! s'écria-t-il; j'ai une consultation dans ma poche et je l'ai payée un écu. Voyons ce qu'elle dit. Il tire son papier timbré, le déploie et lit: "Ne remets jamais au lendemain ce que tu peux faire la veille."

"Voilà la solution, claire et nette, s'écria-t-il. Qu'on rentre les foins ce soir."

XIII. LE GRILLON.

UN pauvre petit grillon

Caché dans l'herbe fleurie

Regardait un papillon

Voltigeant dans la prairie.

L'insecte ailé brillait des plus vives couleurs;

L'azur, le pourpre et l'or éclataient sur ses ailes;
Jeune, beau, petit-maître,1 il court de fleurs en fleurs,'
Prenant et quittant les plus belles.

Ah! disait le grillon, que son sort et le mien
Sont différents! Dame nature

Pour lui fit tout et pour moi rien.

Je n'ai point de talent, encore moins de figure;*
Nul ne prend garde à moi, l'on m'ignore ici-bas!
Autant vaudrait n'exister pas.

Comme il parlait, dans la prairie

Arrive une troupe d'enfants;

Aussitôt les voilà courants 7

Après ce papillon, dont ils ont tous envie.8
Chapeaux, mouchoirs, bonnets servent à l'attraper.
L'insecte vainement cherche à leur échapper,
Il devient bientôt leur conquête.

L'un le saisit par l'aile, un autre par le corps;
Un troisième survient,10 et le prend par la tête :
Il ne fallait pas tant d'efforts 11

Pour déchirer la pauvre bête.

Oh! oh! dit le grillon, je ne suis plus fâché;
Il en coûte trop cher 12 pour briller dans le monde.
Combien je vais aimer ma retraite profonde!

Pour vivre heureux, vivons caché ! 18

FLORIAN (1755-1794).

XIV. VERNET.1

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VINGT-CINQ tableaux, mon ami! vingt-cinq tableaux ! et quels tableaux! c'est comme le Créateur, pour la célérité; c'est comme la nature, pour la vérité. Il n'y a presque pas une de ces compositions à laquelle un peintre, qui aurait bien employé son temps, n'eût donné les deux années qu'il a mises à les faire toutes. Quels effets incroyables de lumière ! les beaux ciels ! quelles eaux ! quelle ordonnance! quelle prodigieuse variété de scènes! Ici, un enfant échappé du naufrage est porté sur les épaules de son père; là, une femme étendu morte sur le rivage, et son époux qui se désole. La mer mugit, les vents sifflent, le tonnerre gronde, la lueur sombre et pâle des éclairs perce la nue, montre et dérobe la scène. On entend craquer les flancs d'un vaisseau qui s'entr'ouvre; ses mâts sont inclinés, ses voiles déchirées : les uns, sur le pont, ont les bras levés vers le ciel; d'autres se sont élancés dans les eaux. Ils sont portés par les flots contre des rochers voisins, où leur sang se mêle à l'écume qui les blanchit. J'en vois qui flottent; j'en vois qui sont prêts à disparaître dans le gouffre; j'en vois qui se hâtent d'atteindre le rivage, contre lequel ils seront brisés. La même variété de caractères, d'actions et d'expressions règne parmi les spectateurs: les uns frissonnent et détournent la vue, d'autres secourent; d'autres, immobiles, regardent. Il y en a qui ont allumé du feu sous une roche s'occupent à ranimer une femme expirante, et j'espère qu'ils y réussiront.

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Tournez vos yeux sur une autre mer, et vous verrez le calme avec tous ses charmes. Les eaux tranquilles, aplanies et riantes, s'étendent en perdant insensiblement de leur transparence,7 et s'éclairent graduellement à la surface, depuis le rivage jus qu'où l'horizon confine avec le ciel. Les vaisseaux sont immobiles; les matelots, les passagers ont tous les amusements qui peuvent tromper 10 leur impatience. Si c'est le matin, quelles

nuées légères s'élèvent! comme ces vapeurs éparses sur les objets de la nature les ont rafraîchis et vivifiés! Si c'est le soir, comme la cime de ces montagnes se dore! de quelles nuances les cieux sont colorés! comme les nuages marchent, se meuvent, 11 et reflètent ainsi dans les eaux la teinte de leurs couleurs! Allez à la campagne, tournez vos regards vers la voûte des cieux, observez alors sa physionomie, et vous jurerez qu'on a détaché une partie de la grande toile lumineuse que le soleil éclaire, pour la transporter sur le chevalet de l'artiste; ou fermez votre main, et faites-en 12 un tube qui ne vous laisse apercevoir qu'un espace limité de l'horizon, et vous jurerez que c'est un tableau de Vernet, qu'on a pris 13 sur son chevalet et transporté dans le ciel.

Quoique de tous nos peintres celui-ci soit le plus fécond aucun ne me donne moins de travail. Il est impossible de rendre ses compositions; il faut les voir.1 Ses nuits sont aussi touchantes que ses jours sont beaux; ses ports sont aussi beaux que ses morceaux d'imagination sont piquants. Également merveilleux, soit que le pinceau captif s'assujettisse à l'imitation d'un modèle, soit que sa muse, dégagée d'entraves, s'abandonne à elle-même; incompréhensible, soit qu'il emploie pour éclairer ses tableaux l'astre du jour ou celui de la nuit, la lumière naturelle ou les lumières artificielles; toujours harmonieux, vigoureux et sage, tel que 15 ces grands poëtes, ces hommes rares, en qui le jugement gouverne si parfaitement la verve, qu'ils ne sont jamais ni exagérés ni froids. Ses fabriques,16 ses édifices, les vêtements, les actions, les hommes, les animaux, tout est vrai. De près il vous frappe, de loin il vous étonne plus encore.

DIDEROT (1713-1784).

Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne ne se

plaint de son jugement.

LA ROCHEFOUCAULD (1613-1680)

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