Le manteau d'un ruban sur le dos retroussé; Et parmi les marquis de la plus haute bande, Avec vos brillantes hardes, Et votre ajustement, Faites tout le trajet de la salle des gardes, Portez de tous cotés vos regards brusquement, De les saluer par leur nom, De quelque rang qu'ils puissent être. Donne, à quiconque en use, un air de qualité. De la chambre du roi, Ou montez sur quelque chose, D'un ton rien moins que naturel : Monsieur l'huissier, pour le marquis un tel. Jetez-vous dans la foule et tranchez du notable; Coudoyez un chacun, point du tout de quartier; Pressez, poussez, faites le diable Pour vous mettre le premier : Et quand même l'huissier, A vos desirs inexorable, Vous trouverait en face un marquis repoussable, Ne démordez point pour cela, Tenez toujours ferme là; A déboucher la porte il irait trop du vôtre: Quand vous serez entré, ne vous relâchez pas; En y gaguant le terrain pas à pas; En bouche toutes les approches, Aisément vous pourriez l'étendre, Et parler des transports qu'en vous font éclater Sont, après ses bontés, qui n'ont point de pareilles, Tout votre art et toutes vos veilles ; La louange et l'encens n'est pas ce qui le touche, Pour lui parler de grâce et de bienfait, Il comprendra d'abord ce que vous voudrez dire, Et se mettant doucement à sourire, D'un air qui sur les cœurs fait un charmant effet, Et cela doit vous suffire, MOLIÈRE. Ah! cruelle! si c'était Tircis qui t'en priât, tu demeurerais bien vite. PHILIS. Cela se pourrait faire, et je demeure d'accord que je trouve bien mieux mon compte avec l'un qu'avec l'autre; car il me divertit avec sa voix, et -toi, tu m'étourdis de ton caquet. Lorsque tu chanteras aussi bien que lui, je te promets de t'écouter..... SCÈNE II. MORON. Elle s'enfuit, et je ne saurais l'attraper. Voilà ce que c'est. Si je savais chanter, j'en ferais bien mieux mes affaires. La plupart des femmes se laissent prendre aujourd'hui par les oreilles; elles sont cause que tout le monde se mêle de musique, et l'on ne réussit auprès d'elles que par les petites chansons et les petits vers qu'on leur fait entendre. Il faut que j'apprenne à chanter comme les autres. Bon, voici justement mon homme. Ah! Satyre, mon ami, tu sais bien ce que tu m'as promis, il y a longtemps. Apprends-moi à chanter, je te prie. LE SATYRE. Je le veux. Mais auparavant, écoute une chanson que je viens de faire. MORON, à part. Il est si accoutumé à chanter, qu'il ne saurait parler d'autre façon. (Haut.) Allons, chante, j'écoute. Je portais dans une cage Les fleurs de son beau visage. Hélas! dis-je aux moineaux, en recevant les coups Celui qui vous a pris est bien plus pris que vous. (Moron demande au Satyre une chanson plus passionnée, et le prie de lui dire celle qu'il lui avait ouï chanter quelques jours auparavant.) LE SATYRE. Dans vos chants si doux Chantez à ma belle, Ma peine mortelle. Mais si la cruelle Se met en courroux Au récit fidèle Des maux que je sens pour elle, Oiseaux, taisez-vous. MORON. Ah, qu'elle est belle! Apprends-la-moi. Moron pousse la bouffonnerie jusqu'à se permettre le calembour; mais ce calembour tient à la musique, et la princesse d'Élide l'applaudirait s'il était dit en sa présence. Remarquez, s'il vous plaît, que le Satyre qui parle en chantant est le type, le prenfier exemplaire de tous les musicomanes, que tant d'auteurs ont montrés depuis lors sur la scène, depuis les Opéras, comédie de Saint-Évremond; le Coquet trompé, de Baron; le Distrait, de Regnard, le Négligent, de Du Fresny; les Talents à la mode, de Boissy; jusqu'à la Musicomanie, la Mélomanie, la Visite à Bedlam, la Fausse Ágnès, opéra comique. Je ne citerai pas une trentaine de farces de la foire où ce moyen d'égayer le public, en faisant paraître un personnage qui parle en chantant, se trouve reproduit, à l'imitation du Satyre de Molière. Voyez aussi comme ce poète musicien parle avec délices d'un art qu'il chérissait trop pour ne l'avoir pas cultivé; comme il revient toujours à la musique, et toujours afin de louer, d'exalter le pouvoir de ses charmes! Un panégyriste aussi judicieux, enthousiaste au dernier point, et ne disant jamais un mot qui ne frappe juste et ne tombe carrément en ses discours, comme la note de basse frappe juste sous une mélodie de Mozart, un dilettante de cette force, dont l'habileté ne se dément pas une seule petite fois, mérite le titre de professeur, dignus est intrare. Molière était musicien, quoi qu'on die. Il n'avait qu'une fille, que son mérite, sa beauté, l'agrément de son esprit distinguèrent également; (1) Dans l'édition des OEuvres de Molière, publiée, en 1666, par Claude Barbin, Moron dit: Fa toi-même. |