Images de page
PDF
ePub

Le manteau d'un ruban sur le dos retroussé;
La galanterie en est grande,

Et parmi les marquis de la plus haute bande,
C'est pour être placé.

Avec vos brillantes hardes,

Et votre ajustement,

Faites tout le trajet de la salle des gardes,
Et, vous peignant galamment,

Portez de tous cotés vos regards brusquement,
Et ceux que vous pourrez connaître,
Ne manquez pas d'un haut ton

De les saluer par leur nom,

De quelque rang qu'ils puissent être.
Cette familiarité

Donne, à quiconque en use, un air de qualité.
Grattez du peigne à la porte

De la chambre du roi,
Ou si, comme je prévoi,
La presse s'y trouve forte,
Montrez de loin votre chapeau,

Ou montez sur quelque chose,
Pour faire voir votre museau,
Et criez sans aucune pause,

D'un ton rien moins que naturel :

Monsieur l'huissier, pour le marquis un tel. Jetez-vous dans la foule et tranchez du notable; Coudoyez un chacun, point du tout de quartier; Pressez, poussez, faites le diable

Pour vous mettre le premier :

Et quand même l'huissier,

A vos desirs inexorable,

Vous trouverait en face un marquis repoussable, Ne démordez point pour cela,

Tenez toujours ferme là;

A déboucher la porte il irait trop du vôtre:
Faites qu'aucun n'y puisse pénétrer,
Et qu'on soit obligé de vous laisser entrer,
Pour faire entrer quelque autre.

Quand vous serez entré, ne vous relâchez pas;
Pour assiéger la chaise il faut d'autres combats :
Tâchez d'en être des plus proches,

En y gaguant le terrain pas à pas;
Et si des assiégeants le prévenant amas

En bouche toutes les approches,
Prenez le parti doucement,
D'attendre le prince au passage:
Il connaîtra votre visage,
Malgré votre déguisement,
Et lors, sans tarder davantage,
Faites-lui votre compliment.

Aisément vous pourriez l'étendre,

Et parler des transports qu'en vous font éclater
Les surprenants bienfaits que, sans les mériter,
Sa libérale main sur vous daigne répandre,
Et des nouveaux efforts, où s'en va vous porter
L'excès de cet honneur où vous n'osiez prétendre;
Lui dire comme vos deisrs

Sont, après ses bontés, qui n'ont point de pareilles,
D'employer à sa gloire ainsi qu'à ses plaisirs

Tout votre art et toutes vos veilles ;
Et là-dessus lui promettre merveilles.
Sur ce chapitre on n'est jamais à sec :
Les Muses sont de grandes prometteuses,
Et comme vos sœurs les causeuses,
Vous ne manquerez pas sans doute par le bec:
Mais les grands princes n'aiment guères
Que les compliments qui sont courts;
Et le nôtre sur tous a bien d'autres affaires,
Que d'écouter tous vos discours.

La louange et l'encens n'est pas ce qui le touche,
Dès que vous ouvrirez la bouche

Pour lui parler de grâce et de bienfait,

Il comprendra d'abord ce que vous voudrez dire, Et se mettant doucement à sourire,

D'un air qui sur les cœurs fait un charmant effet,
Il passera comme un trait,

Et cela doit vous suffire,
Voilà votre compliment fait.

MOLIÈRE.

[blocks in formation]

Ah! cruelle! si c'était Tircis qui t'en priât, tu demeurerais bien vite.

PHILIS.

Cela se pourrait faire, et je demeure d'accord que je trouve bien mieux mon compte avec l'un qu'avec l'autre; car il me divertit avec sa voix, et -toi, tu m'étourdis de ton caquet. Lorsque tu chanteras aussi bien que lui, je te promets de t'écouter.....

SCÈNE II.

MORON.

Elle s'enfuit, et je ne saurais l'attraper. Voilà ce que c'est. Si je savais chanter, j'en ferais bien mieux mes affaires. La plupart des femmes se laissent prendre aujourd'hui par les oreilles; elles sont cause que tout le monde se mêle de musique, et l'on ne réussit auprès d'elles que par les petites chansons et les petits vers qu'on leur fait entendre. Il faut que j'apprenne à chanter comme les autres. Bon, voici justement mon homme.

[blocks in formation]

Ah! Satyre, mon ami, tu sais bien ce que tu m'as promis, il y a longtemps. Apprends-moi à chanter, je te prie.

LE SATYRE.

Je le veux. Mais auparavant, écoute une chanson que je viens de faire. MORON, à part.

Il est si accoutumé à chanter, qu'il ne saurait parler d'autre façon. (Haut.) Allons, chante, j'écoute.

[blocks in formation]

Je portais dans une cage
Deux moineaux que j'avais pris.
Lorsque la jeune Chloris
Fit, dans un sombre bocage,
Briller, à mes yeux surpris,

Les fleurs de son beau visage.

Hélas! dis-je aux moineaux, en recevant les coups
De ses yeux si savants à faire des conquêtes,
Consolez-vous, pauvres petites bêtes:

Celui qui vous a pris est bien plus pris que vous.

(Moron demande au Satyre une chanson plus passionnée, et le prie de lui dire celle qu'il lui avait ouï chanter quelques jours auparavant.)

LE SATYRE.

Dans vos chants si doux

Chantez à ma belle,
Oiseaux, chantez tous

Ma peine mortelle.

Mais si la cruelle

Se met en courroux

Au récit fidèle

Des maux que je sens pour elle,

Oiseaux, taisez-vous.

MORON.

Ah, qu'elle est belle! Apprends-la-moi.

[blocks in formation]

Moron pousse la bouffonnerie jusqu'à se permettre le calembour; mais ce calembour tient à la musique, et la princesse d'Élide l'applaudirait s'il était dit en sa présence.

Remarquez, s'il vous plaît, que le Satyre qui parle en chantant est le type, le prenfier exemplaire de tous les musicomanes, que tant d'auteurs ont montrés depuis lors sur la scène, depuis les Opéras, comédie de Saint-Évremond; le Coquet trompé, de Baron; le Distrait, de Regnard, le Négligent, de Du Fresny; les Talents à la mode, de Boissy; jusqu'à la Musicomanie, la Mélomanie, la Visite à Bedlam, la Fausse Ágnès, opéra comique. Je ne citerai pas une trentaine de farces de la foire où ce moyen d'égayer le public, en faisant paraître un personnage qui parle en chantant, se trouve reproduit, à l'imitation du Satyre de Molière.

Voyez aussi comme ce poète musicien parle avec délices d'un art qu'il chérissait trop pour ne l'avoir pas cultivé; comme il revient toujours à la musique, et toujours afin de louer, d'exalter le pouvoir de ses charmes! Un panégyriste aussi judicieux, enthousiaste au dernier point, et ne disant jamais un mot qui ne frappe juste et ne tombe carrément en ses discours, comme la note de basse frappe juste sous une mélodie de Mozart, un dilettante de cette force, dont l'habileté ne se dément pas une seule petite fois, mérite le titre de professeur, dignus est intrare. Molière était musicien, quoi qu'on die. Il n'avait qu'une fille, que son mérite, sa beauté, l'agrément de son esprit distinguèrent également;

(1) Dans l'édition des OEuvres de Molière, publiée, en 1666, par Claude Barbin, Moron dit: Fa toi-même.

« PrécédentContinuer »