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haut, elles retombaient rudement sur eux quands ils entraient ou sortaient.

>> Toute la lumière consistait d'abord en quelques chandelles dans des plaques de fer blanc attachées aux tapisseries; mais comme elles n'éclairaient les acteurs que par derrière, et un peu par les cotés, ce qui les rendait presque tous noirs, on s'avisa de faire des chandeliers avec des lattes mises en croix, portant chacun quatre chandelles, pour mettre au devant du théâtre. Ces chandeliers, suspendus grossièrement avec des cordes et des poulies apparentes, se haussaient et se baissaient sans artifice, et par main d'homme, pour les allumer et les moucher.

» La symphonie était d'une flûte et d'un tambour, ou de deux méchants violons. On jouait alors les pièces de Garnier et de Hardy, qui, la plupart, ne sont autre chose que les pièces de Sophocle et d'Euripide, imitées ou traduites. Cela valait mieux que les pièces qu'on avait quittées, mais n'était pourtant guère bon et ennuyait beaucoup. Nos pères, à qui l'on faisait entendre que les tragédies qu'on leur donnait étaient les plus beaux ouvrages de l'antiquité, les écoutaient avec patience, et croyaient même être obligés de s'y divertir, parce qu'il leur aurait été honteux de n'être pas touchés de ce qui avait fait les délices de toute la Grèce et mérité l'admiration de tous les siècles. On jouait ensuite une farce un peu grasse qui les faisait rire de tout leur cœur, et les dédommageait de l'ennui de la tragédie.

>> Dans ce temps parut la Sylvie de Mayret. Ce n'est pas une pièce fort excellente, et son auteur l'appelait ordinairement les péchés de sa jeunesse; cependant, parce qu'elle ressemblait un peu à celles qui sont venues depuis, ce fut une joie, une admiration, une espèce d'émotion si grande dans tout Paris que l'on n'y parlait d'autre chose. C'était un nouveau ciel, une terre nouvelle. Tout le monde la savait par cœur, surtout le dialogue d'un berger et d'une bergère, qui fut imprimé à part, et que l'on faisait apprendre aux enfants, dans toutes les maisons où il y avait un jeune garçon et une

jeune fille, pour le leur faire réciter au bout de la table après le repas. Cette pièce fut suivie de la Sophonisbe du même auteur, beaucoup meilleure que la Sylvie, et même si bonne qu'elle n'a pu être obscurcie par la Sophonisbe du grand Corneille.

>> La scène s'embellissait à proportion, on en fit les décorations d'une peinture supportable, et l'on y mit des chandeliers de cristal pour l'éclairer. »>

Voilà pourtant l'état où se trouvait la Comédie-Française en 1629 Sept ans encore, et le Cid allait être représenté.

Quelques mois avant l'explosion de cette bombe dramatique, de cet éclair fulgurant, qui dissipa les sombres nuages dont la scène française était encore oppressée, obscurcie, Pierre Corneille avait produit l'Illusion comique, facétie d'un grand poète, drame étincelant de beaux vers, que Fontenelle et Voltaire ont très-mal jugé. Non, l'auteur de Médée ne dormait pas, quand il a si vigoureusement tracé le rôle du Matamore, que tant d'autres avaient seulement ébauché. Ce caractère adopté, qui plaisait au public de l'époque, ce capitan, dont les extravagances.... Tout beau, ma passion, où voulez-vous m'entraîner? Il ne s'agit point d'exprimer vos sympathies pour la comique Illusion, mais tout simplement d'y puiser un fait curieux, assortissant aux tapisseries de la Sylvie, aux mèches flambantes de la Sophonisbe. Descendez à l'instant de l'empyrée, où vous iriez braver le soleil, et revenez à vos chandelles. Montrez-nous les comédiens assis devant une table, avec leur portier, comptant l'argent de la recette du soir, et prenant chacun sa part : moyen expéditif qui rend les fonctions de caissier inutiles.

PRIDAMANT.

Que vois je! chez les morts on compte de l'argent?

ALCANDRE.

Voyez si pas un d'eux s'y montre négligent.....
Ainsi tous les acteurs d'une troupe comique,

Leur poème récité, partagent leur pratique.

L'un tue et l'autre meurt, l'autre vous fait pitié;

Mais la scène préside à leur inimitié.

Leurs vers sont leurs combats, leur mort suit leurs paroles;
Et sans prendre intérêt à pas un de leurs rôles,

Le traître et le trahi, le mort et le vivant,

Se trouvent à la fin amis comme devant.

Cette simplicité primitive n'empêchait pas le public de goûter les charmes d'une œuvre dramatique, d'applaudir aux progrès de l'art, et de courir cent fois de suite aux représentations de Sylvie et de Sophonisbe. A l'excès de la simplicité du spectacle, devait succéder l'excès de l'opulence dans la mise en scène, richesse perfide et funeste qui détruit l'art dramatique et lyrique, et ruine toutes les entreprises théâtrales. L'Académie nationale de Musique n'est plus aujourd'hui qu'une galerie de peintures, une exposition de tableaux vivants.

Les dépenses qu'exige un opéra nouveau forcent l'entrepreneur à n'en produire que deux en trois ans..

Le temps nécessaire pour équiper une infinité de chassis, d'escaliers, de voûtes, de montagnes, de galeries praticables ou non, prolonge les entr'actes de telle sorte que le divertissement devient une fatigue.

La beauté des peintures et des habits, les artifices du machiniste, ont assez de crédit sur le public pour maintenir à la scène des pauvretés musicales péniblement élaborées, où les spectateurs bâillent, à dire d'experts, en attendant l'exhibition d'un soleil, d'un vaisseau, d'un incendie, d'une cavalcade, d'une procession, d'une orgie, d'un enterrement, d'une apothéose. Certes voilà de beaux modèles à proposer aux jeunes musiciens français!

La pompe de la mise en scène, la richesse des costumes, introduites dans les drames lyriques, ont toujours annoncé la décadence et la ruine de l'art. On s'est vu forcé d'éblouir les yeux, lorsque la pièce et la musique devaient laisser l'esprit, le cœur et l'oreille dans un calme plat. Le drame est sans intérêt, la musique sans mélodie, la salle est immo

bile et silencieuse, l'ennui répand ses pavots sur toute cette assistance, victime d'une longue et cruelle mystification; il faut bien la réveiller de temps en temps par l'exhibition d'une cathédrale ou d'un incendie. Faibles ressources, moyens impuissants, quiralentiront une chute au lieu d'assurer une victoire, qui vous forceront d'exposer sur jeu cinquante mille écus, pour gagner vingt sous. Heureux encore si vous pouvez embourser un aussi modeste bénéfice! Que montrerez-vous à des spectateurs avides de nouveautés? Que leur offrirez-vous qu'ils n'aient déjà rencontré cent fois sur votre scène et sur d'autres? Des églises, des forêts, des palais, des bocages fleuris, d'affreux déserts, des champs de bataille, la mer et ses tempêtes, des chaumières, des moulins à vent? Depuis deux cents ans on a fait tout cela, depuis deux siècles on l'a fait mieux que vous ne pouvez l'exécuter. Ce que vous donnez aujourd'hui pour des prodiges n'eût été qu'un jeu d'enfant, votre dépense qu'une lésinerie pitoyable, en 1680.

Des salles immenses avaient été construites pour y déployer un immense spectacle. Comparez vos scènes larges comme une serviette aux scènes de Parme, de Modène, de Piazzola, de Venise, des Tuileries de l'ancien temps, et jugez. Des amateurs passionnés, des musiciens, des paroliers millionnaires ont brillé pendant le XVIIe siècle; mais au lieu d'aller misérablement colporter leurs œuvres chez le voisin, ils employaient avec noblesse leurs trésors à bâtir des salles, à réunir des artistes, pour l'exécution des opéras composés par eux et leurs amis. Le châtelain ouvrait son splendide manoir, son théâtre, sa table, et régalait tout un peuple d'admirateurs. L'œil, l'oreille, le goût étaient satisfaits harmoniquement et gastronomiquement. Le musicien millionnaire trônait dans son palais, au lieu de prendre le baton du Juif errant; il agissait de telle sorte, que ses trésors ne pouvaient jamais être un instrument de dommage pour ses confrères, artistes peu favorisés des biens de la fortune, un instrument de corruption pour les boutiquiers de louanges.

Le comte de Hodiz avait fait, de la terre qu'il habitait en Moravie, une espèce d'opéra perpétuel. Tout, dans le lieu de sa résidence, était disposé pour des représentations lyriques. Il avait fait de sa famille, de ses vassaux, de ses domestiques, des chanteurs, des danseurs et des symphonistes. A septante ans, avec la goutte et la pierre, il n'était encore occupé que des amusements dramatiques dont il s'était fait une si douce habitude.

Le procurateur Marc Contarini montra, sur son théâtre de Piazzola, cinq chars de triomphe, traînés chacun par quatre chevaux superbes, cent amazones et cent Maures à pied, cinquante cavaliers et pareil nombre de cavalières, montés sur des palefrois, des chasses en pleine forêt, des tournois, des combats, des pompes religieuses, des marches triomphales, Christophe Colomb voguant à pleines voiles avec ses braves, et bien d'autres spectacles d'une aussi brillante solennité. Les cours de Modène et de Mantoue, la ville de Venise, le chevalier romain Philippe Acciajoli firent assaut de zèle dramatique avec Contarini. Toutes ces folies de mise en scène allaient étouffer la musique et le drame, lorsque les Italiens eurent le bon esprit de les abandonner, pour les céder aux Allemands. C'est alors que l'empereur Léopold Ier dépensa 700,000 à 750,000 francs pour chacun des opéras italiens qu'il faisait représenter à Vienne, en 1705. Voyez les Lettres de lady Worthley Montague, témoin oculaire.

Franchement, dites-moi, lorsque vous sortez ébloui, fatigué, plusieurs diraient assourdi, par le rom rom harmonique dont on a trop libéralement pourvu les peintures de la Reine de Chypre et les ustensiles du Prophète, dites-moi si vous n'aimeriez pas cent fois mieux une Sylvie, présentée au milieu de ses tapisseries et de ses chandelles, quand même cette Sylvie aurait nom Cenerentola?

Il n'est point de serpent, ni de monstre odieux,
Qui, par l'art imité, ne puisse plaire aux yeux.

En s'appuyant sur l'autorité de Boileau, plusieurs me di

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