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ront que l'opéra des peintres et des tailleurs, des anabaptistes et des chevaux, l'opéra sans musique, l'opéra-franconi, puisqu'il faut lui donner un nom, peut nous offrir des avantages réels, et nous montrer son beau coté. Cet opéra plaît aux sourds, il n'a pas besoin de chanteurs puisqu'il ne leur donne rien à dire. Hàtons-nous de rayer les chanteurs de notre contrôle, c'est une épargne de la plus haute importance. Les journaux de la province nous annonçaient jadis le passage des virtuoses de Paris, et les succès, les triomphes qu'ils obtenaient à Lyon, à Bordeaux, à Marseille, à Toulouse. Maintenant ces journaux ont changé de gamme; ils gardent le silence à l'égard des chanteurs, qui n'ont plus rien à faire, et signalent avec emphase la venue des peintres décorateurs de Paris, dont la présence est indispensable pour dessiner, colorier des toiles qui doivent figurer à l'exposition de la Reine de Chypre ou du Prophète.

Nous voyons cependant qu'à Paris le nom de Me Alboni figure très-souvent en lettres énormes sur l'affiche d'un opéra-franconi, et que ce nom magique procure d'excellentes soirées au Prophète. D'accord; mais il faut toute la stupidité de notre public anti-musicien, pour venir examiner, lorgner une cantatrice dans une pièce qui ne renferme pas une phrase de chant réel. Mlle Alboni mâche à vide pendant quatre heures; n'importe, c'est une très jolie femme, c'est un tableau gracieux de plus dont la vue fera supporter l'absence de la musique. Vous amènerez à Paris le coureur le plus renommé d'Epsom ou de New-Market, pour atteler à quelque lourde charrette de plâtre le noble, le vaillant quadrupède, et notre public ira voir, admirer, applaudir le coureur d'Epsom, qui n'aura pas couru, parce qu'il ne pouvait réellement pas courir.

Dans le jardin des Tuileries, à l'extrémité du bosquet de marronniers que longe l'allée des orangers, du coté de la Petite-Provence, on voyait encore, en 1720, un théâtre en maçonnerie, dont la ferme et les coulisses étaient en treillis couverts de charmilles et de plantes grimpantes. On y jouait

la comédie en plein jour. Ovide a parlé de ces théâtres de verdure, en usage chez les Romains.

Illic, quas tulerant nemorosa palatia, frondes
Simpliciter posite; scena sine arte fuit.

DE ARTE AMANDI, liber I, versus 105.

- Poursuivi dans le jardin (des Tuileries), l'abbé ne savait quel parti prendre, quand une jolie promeneuse l'aborde en lui disant : Six louis, et vous êtes sauvé. Suivez-moi dans les coulisses du théâtre, prenez ma coiffe, une de mes jupes et mon manteau; vous sortirez sans être reconnu. » DE GRAAF, Aventures secrètes, Paris, 1696, in-12, page 188.

Le Mariage d'Orphée et d'Eurydice, ou la Grande Journée des Machines, tragédie de Chappoton (1640); le Déluge universel, tragédie en cinq actes, en vers, de Hugues de Picou (1643); Andromède, tragédie de Pierre Corneille (1650), et les autres pièces à grand spectacle, mêlées de chants et de symphonies. firent descendre les violons de leur empyrée des secondes loges. L'orchestre devait se lier doublement à l'action dramatique; il fallait nécessairement se rapprocher des acteurs, des danseurs et des chanteurs. Ces derniers figuraient sur la scène et dans les loges voisines des symphonistes. Le comédien La Grange, qui représentait Agénor, dans Psyché, mélodrame à décors et machines, de Molière, Corneille et Quinault, musiqué par Lulli, La Grange nous a laissé la note suivante :

- Jusqu'à ce jour, 24 juillet 1671, les musiciens et musiciennes n'avaient point voulu paraître en public. Ils chantaient à la comédie dans des loges grillées et treillissées; mais on surmonta cet obstacle. Avec quelque légère dépense, on trouva des personnes qui chantèrent sur le théâtre à visage découvert, habillées comme les comédiens. »

L'Académie royale de Musique avait ouvert son théâtre le 10 mars 1671, et cette exhibition brillante, solennelle, dut encourager les virtuoses à se produire sur la scène, et triompher de leurs scrupules. D'ailleurs, par une bizarrerie in

concevable, les comédiens chanteurs n'étaient pas excommuniés; Louis XIV leur avait assuré, garanti, par lettres patentes du 28 juin 1669, l'entrée au paradis, et les avait fait ainsi participer aux immunités et priviléges dont jouissaient Arlequin et Colombine, Pantalon, Silvia, Trivelin et tous les farceurs de la Comédie-Italienne; priviléges, immunités que tous nos acteurs d'opéra comique possèdent aujourd'hui, par droit incontestable de succession immédiate. Le concile de Soissons, tenu pendant le mois d'octobre 1849, sous la présidence de l'archevêque de Reims, vient enfin d'affranchir tous nos comédiens des censures ecclésiastiques. Ce concile déclare formellement, en son chapitre VI: Quoad comodos et actores scenicos, eos non recensemus inter excommunicatos.

Dans le Mariage d'Orphée et d'Eurydice de Chappoton, mis en scène sept ans avant que les chanteurs italiens eussent fait connaître à Paris l'opéra d'Orfeo e Euridice; dans le mélodrame de Chappoton, Orphée adresse à Pluton une harangue de huitante-six alexandrins, récités sans musique, et suivis d'une romance chantée, dont voici les derniers couplets:

Grand dieu, si jamais votre cœur
A connu l'Amour pour vainqueur,
Écoutez un amant fidèle.

Rendez Eurydice à mes pleurs,
Ou bien, pour finir mes douleurs,
Faites-moi mourir auprès d'elle.

Ne me dites point que la Mort
Ne rend jamais ceux que le Sort
Fait tomber dessous votre empire;

Amour s'oppose à cette loi,
Vous fûtes amant comme moi,

Jugez donc quel est mon martyre.

PLUTON, à Proserpine.

Touché de ses chansons, amolli par ses vers,

J'ignore si je suis le prince des enfers.

L'orchestre qui devait accompagner les chants des acteur

tragiques, devenus ténors et basses, vint se ranger auprès de la scène. Dans un retranchement, une forme de parquet, entre le théâtre et le parterre, » dit Chappuzeau.

En 1674, je vois les violons remontés dans leur loge; d'où ils font plus de bruit que de tout autre lieu où on les pourrait placer. Il est bon qu'ils sachent par cœur les deux derniers vers de l'acte, pour reprendre promptement la symphonie, sans attendre qu'on leur crie: Jouez; ce qui arrive souvent. » CHAPPUZEAU, le Théatre françois, etc., sans nom d'auteur, Lyon, Michel Mayer, 1674, in-12, 284 pages, très-rare. M. Lassabathie le possède, et c'est l'exemplaire que Mme de Pompadour avait placé dans sa précieuse collection d'ouvrages sur l'art dramatique.

En 1675, l'orchestre redescend pour exécuter les symphonies, accompagner les chants que Thomas Corneille avait introduits dans l'Inconnu, mélodrame à grand spectacle. Les violons, depuis lors, n'ont plus quitté la place où nous les voyons maintenant.

Aux bals donnés à l'Opéra-Comique, en 1835, les symphonistes étaient rangés sur un pont jeté d'une galerie à l'autre; et dans une salle de spectacle en construction à Paris, rue Neuve-Saint-Nicolas, n° 20, l'architecte a suspendu l'orchestre au plafond. Il y tient la place occupée jusqu'à ce jour par le lustre, dont il reproduit la forme circulaire.

Psyché, tragi-comédie-ballet, avait paru sur le théâtre immense des Tuileries, devant la cour, le 17 janvier 1671; elle avait été donnée au public, sur la scène du Palais-Royal, le 24 août suivant. La Fontaine venait de publier Psyché; le succès de ce roman, mi-partie de prose et de vers, engagea Molière à traiter le même sujet en mélodrame. Mis au jour en 1810, l'Enfant prodigue, roman de Campenon, en prose rimée, fit éclore tous les Enfant prodigue que l'on a vus depuis lors sur nos théâtres.

Le sujet de Psyché, choisi par Molière pour inaugurer la salle des machines, dit La Motte, eut pu lui seul faire in

venter l'opéra. » Sans doute si le drame de Corneille et Molière n'avait été fait à l'imitation de l'opéra, depuis un siècle inventé. Trouvez seulement l'arquebuse, et vous aurez bientôt des pistolets, des canons, des mortiers, des obusiers. Psyché ravissante, Mme Molière chantait à merveille dans le mélodrame nouveau.

Vingt violons, c'est-à-dire vingt instruments de la famille du violon, sonnaient alors dans l'orchestre de Molière. L'année suivante ce nombre était réduit à six. Et pourquoi cette suppression? -Vous le saurez, si me prêtez une oreille attentive.

Il était autrefois un roi et une reine: le Théâtre-Français et l'Académie royale de Musique. Ce couple de majestés existe encore. Leur trône fut renversé tout comme un autre, en 1790, mais on le rétablit dix ans après.

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Le Théâtre-Français n'était qu'un tyran subalterne, plus à plaindre qu'à blamer. Trop complaisant, il se laissa dominer par sa femme, qui bientôt l'eut mis au premier rang..... de ses esclaves et de ses tributaires. L'Académie royale de Musique tenait sous son joug de fer, écrasait tous les théâtres de la France sous le poids de son privilége odieux. Cette autocrate n'était pas jalouse de ses droits au point de ne pas en céder quelques fragments à ses amis pour de l'argent. Elle disait à l'un: Tu vas congédier tes chanteurs, tes danseurs, et quatorze de tes vingt violons; je te défends d'en avoir plus de six dans ton orchestre. Elle disait à l'autre : Tu chanteras de la musique nouvelle, et tu parleras tour à tour. Au troisième : Tes drames seront chantés d'un bout à l'autre sur des airs connus, des voix de ville, répertoire des virtuoses du Pont-Neuf. » Un quatrième devait parler et mêler quelques chansons à ses pièces. Un cinquième ne pouvait s'exprimer que par gestes. D'autres directeurs étaient forcés de ne montrer qu'un seul acteur parlant; d'autres devaient faire manoeuvrer des comédiens de bois; d'autres, des acteurs muets gesticulant sur la scène, tandis que l'on chantait et l'on parlait pour eux dans la

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