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gré dans le caractère de cet air de violon. » DUBOS, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture.

Cette lenteur que signale Dubos avait dû s'introduire dans les airs de ballet pendant le règne de l'apathique Louis XIII, qui certes devait danser aussi posément que le roi de Maroc. Nous savons que la reine Marguerite de Valois et ses joyeuses compagnes se trémoussaient vivement, et que leur volte échevelée n'avait pas moins de licence et de folie que les polkas, les cachuchas, les cancans de la Chaumière et du bal Mabille. Je vous montrerai bientôt un chanoine donnant de sages conseils aux damoiselles de la cour de Catherine de Médicis, et leur recommandant surtout de poser leur main gauche sur leur cuisse, afin que leur chemise ne prît pas un vol trop exagéré.

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Tous ces exercices plus ou moins licenciéux, entrepris et suivis pour favoriser la galanterie, déjà bien facile en des cours où l'ennui se glissait encore; l'ennui! cet ennemi qu'il fallait chasser à tout prix; ces rapprochements, ces mélanges concertés harmonieusement, qui faisaient dire à je ne sais quel philosophe : Les bals sont des lupanars autorisés par l'usage; » toutes ces fêtes, dont on voulait augmenter les attraits au moyen de quelque ingénieuse nouveauté, fruit du génie inventif de gens désœuvrés, dirigeant leur esprit sur un seul but, le plaisir ; tous ces divertissements de princes amoureux ou non, amenèrent souvent d'heureux résultats dont l'art a su profiter. C'est à la duchesse du Maine que l'Europe doit la première idée du ballet-pantomime qui triomphe aujourd'hui sur tous les théâtres.

Aux charmes de son esprit natürel, cette aimable princesse joignait beaucoup de lumières acquises, du savoir, de l'érudition même, et surtout une grande passion pour les spectacles. Elle desira voir de ses propres yeux un essai de l'art des pantomimes de l'antiquité, des Bathyle, des Hylas, des Pylade, qui pût lui montrer une image réelle de leurs représentations, de leurs exercices, dont elle n'avait conçu qu'une idée imparfaite en lisant les historiens. Elle choisit la scène

du quatrième acte d'Horace, tragédie de Corneille, et la fit mettre en musique par Mouret, comme si l'on avait dû la chanter. Cette musique fut ensuite exécutée, sans paroles, par l'orchestre, tandis que Balon et Mlle Prévost, danseurs de l'Opéra, mimaient sur le théâtre de Sceaux, l'action et les sentiments des personnages de Corneille devenus muets. Nos deux virtuoses, danseurs habiles, intelligents, pleins d'ame et de chaleur, mais novices en pantomime, s'animèrent si bien réciproquement par leurs gestes, leur jeu de physionomie, d'une vérité parfaite, qu'ils en vinrent jusqu'à verser des larmes. On ne demandera point s'ils parvinrent à toucher, émouvoir les spectateurs. Cet heureux essai, fait en 1708, dut sans doute engager Mlle Sallé, poète et danseuse, à tenter la fortune avec un ballet d'action complet, en exécutant ses drames de Pygmalion, d'Ariane, qu'elle mit en scène à Londres, vingt-six ans plus tard.

LE MISANTHROPE.

MOLIÈRE, 1666.

ACTE I, SCÈNE II.

Le comédien Baron affirmait que la force des gestes et de la diction était telle que des sons tendres et tristes, venant à porter sur des paroles gaies et même comiques, n'en excitaient pas moins dans l'ame les émotions douloureuses qui nous arrachent des larmes. Plusieurs fois on l'a vu faire l'épreuve de cet effet surprenant sur les paroles de la chanson que Molière rapporte dans le Misanthrope.

Si le roi m'avait donné
Paris sa grand'ville,
Et qu'il me fallût quitter

L'amour de ma mie;
Je dirais au roi Henri :

Reprenez votre Paris,

J'aime mieux ma mie, ô gué,

J'aime mieux ma mie.

Ces paroles n'ont rien de comique, elles sont d'une gaieté douce et pleine de sentiment, on peut donc en forcer l'expression jusqu'aux larmes sans les faire grimacer. Molé pleurait et faisait pleurer son auditoire lorsqu'il disait pour la seconde fois ce couplet, en lui donnant, pour cette répétition,. une diction chaleureuse dont les intonations étaient presque musicales. Témoin de l'effet ravissant que Molé produisait, je doute que Baron ait déployé plus de vraie sensibilité que son successeur en faisant cette épreuve, et n'en persiste pas moins à dire que Baron se trompait lourdement s'il croyait faire un tour de force. Toutes les fois qu'il y a demi-teinte,

on peut égayer ou rembrunir la nuance, au moyen des artifices de l'exécution. Au lieu de ces paroles:

J'ai perdu mon Eurydice,
Rien n'égale mon malheur.
Sort affreux ! quelle rigueur !
Rien n'égale mon malheur.

Dites:

J'ai trouvé mon Eurydice,

Rien n'égale mon bonheur.
Sort heureux! quelle faveur!

Rien n'égale mon bonheur.

Si vous possédez une voix touchante, un solide talent, vous aurez raison de l'une et l'autre manière, et Gluck n'aura pas tort; son orchestre même ne vous contrariera pas. La mélodie et son accompagnement sont dans la demi-teinte; c'est de l'eau tiède que vous pouvez à l'instant échauffer ou refroidir; mais s'il vous plaît d'égayer les imprécations de Camille ou le duo d'Euphrosine, d'assombrir les récits de Lisette et de Mascarille ou de donner une expression douloureuse à l'air que le barbier de Séville chante à son entrée en scène, vous tombez dans la charge ignoble de Bobêche et de Galimafré; l'orchestre vous poursuivra, vous accablera de ses démentis; il faudra nécessairement vous cacher ou prendre la fuite pour échapper au courroux légitime d'un auditoire révolté.

La rime n'est pas riche et le tour en est vieux,

ajoute Alceste. Si la rime n'est pas riche, opulente, elle est du moins à son aise; et c'est ainsi que les poètes français devraient toujours rimer: ils diraient beaucoup moins de sottises. Lamartine professe un mépris solennel pour la rime, et je l'en félicite. On voit qu'il se règle sur les bons, les anciens modèles, en faisant rimer quitter et donné, mie et ville, Paris et Henri comme la chanson que je viens de citer. La poésie française est encore à trouver; Lamartine est sur la voie pour la découvrir un jour.

Mie et ville, sensible et facile, sont des rimes assonnantes que nous devrions admettre.

Sarrasin voulait parier d'exciter l'émotion la plus vive en déclamant un article pris au hasard dans la Gazette de France. Rameau n'a-t-il pas offert ensuite de musiquer la Gazette de Hollande ? Trouvez un auditoire composé d'imbéciles, et ces turlupinades réussiront.

ORONTE.

Mais, mon petit monsieur, prenez-le un peu moius haut.

ALCESTE.

Ma foi, mon grand monsieur, je le prends comme il faut.

Le ton, sous-entendu. La conversation est une mélodie dont les intonations vagues, inappréciables même, ne peuvent être notées. On leur applique cependant, au figuré comme au propre, les termes adoptés pour la musique. Je te ferai baisser le ton, changer de ton, chanter sur un autre ton, etc.

Il l'a pris trop haut, disent parfois quelques ignorants lorsque, au théâtre, ils entendent chanter un air dont la mélodie trop élevée met l'acteur au supplice, et le force à déchirer l'oreille de ses auditeurs par des cris peu flatteurs s'ils ne sont tout à fait discordants. Il l'a pris trop haut; non, il ne saurait prendre un autre ton que celui de l'orchestre. L'air est écrit trop haut pour la voix de l'exécutant, il ne peut en atteindre les points culminants, mais il ne l'a point pris trop haut. Il arrive pourtant, qu'en un jour de début, la peur serre le gosier d'un virtuose au point de le faire chanter un peu trop haut sans qu'il s'en aperçoive, tant il est troublé.

Dans le Cantatrici villane, Lablache dit un air tout entier un demi-ton plus bas que le diapason de l'orchestre; il faut être solide musicien pour mener à bonne fin cette bouffonnerie de chanteur, sans abandonner un seul instant le parti pris, malgré les sollicitations puissantes de la symphonie. Paër chantait Di tanti palpiti en sol, s'accompagnait sur le clavier en mi bémol de la main droite, tandis que sa main gauche manœuvrait en mi naturel, et sa triple cacophonie marchait avec une régularité mathématique. Lablache l'avait

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