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du roi, Mme Ulrich était jolie, aimable, charmante, spirituelle, séduisante, adorable et d'humeur prodigieusement galante, » nous vous croirons de grand cœur; mais ne hasardez rien sur l'habileté de son père et des ménétriers qui raclaient avec lui.

Les gazettes de 1760 imprimaient une fois par semaine que Rameau, l'auteur de Castor et Pollux, était le premier musicien de l'Europe. S'il vous prend la fantaisie de copier cet éloge, ayez soin d'ajouter en note cette observation de Grimm: Cependant l'Europe connaissait à peine le nom de son premier musicien, elle ne connaissait aucun de ses opéras, elle n'en aurait pu supporter aucun sur ses théâtres. »

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Dès la première phrase d'un littérateur, on doit voir s'il divague ou s'il parle en connaisseur et d'aplomb. Lisez le Neveu de Rameau, petit chef-d'œuvre, et vous jugerez si le littérateur Diderot savait asséner une opinion sur la musique de son temps.

Page 250 de la même Histoire de La Fontaine, l'auteur nous dit que le célèbre Lambert donnait des concerts ravissants avec sa belle-sœur madame Hilaire. » Cette madame ne fut jamais en puissance de mari. Le nom d'Hilaire est celui qu'elle avait reçu de son parrain, de sa marraine sur les fonts baptismaux. Fille de Le Puis, qui tenait le cabaret de Bel-Air dans la rue de Vaugirard, près du Luxembourg, M1le Hilaire Le Puis brilla comme cantatrice aux ballets de Louis XIV, aux divertissements des comédies de Molière, et devint tante de Lulli, quand ce musicien épousa Madeleine Lambert.

Il est d'autant.plus nécessaire de relever les fautes de ce genre, qu'elles se propagent ensuite et se multiplient, lorsque le livre qui les contient présente assez d'intérêt pour être lu souvent; et que d'ailleurs une infinité de documents historiques, pris avec soin, bien raisonnés, le recommandent. L'abondance du vrai plaide alors en faveur des choses inexactes. Depuis cent quarante-cinq ans, des écrivains français, parmi lesquels figure Voltaire, s'obstinent à donner le nom de Lambert à Cambert, fondateur de notre Opéra. Leur

méprise constante vient d'une superbe faute d'impression que j'ai découverte enfin dans le Traité de la Police, de Nicolas Delamare, 4 volumes in-2, publiés à Paris en 1705, tome premier, page 473, seconde colonne, deuxième ligne. Je voulais me rendre compte de ce parti pris, de cette erreur sans cesse renaissante et j'y suis parvenu. L'imprimeur avait mis une L pour un C.

Charles Perrault, Le Cerf de la Viéville, sieur de Freneuse, Titon du Tillet, l'auteur de la Vie de Quinault, et bien d'autres, nous ont dit que Lulli était le premier violoniste de son temps. Ils auraient touché juste, en ajoutant, avec ou sans parenthèse (en France). Lulli pouvait être un peu moins maladroit que ses compagnons, voilà tout. S'il connaissait l'artifice du démanchement, il ne l'a point mis en pratique; s'il en était autrement, on n'aurait pas crié gare l'ut, trente ans après sa mort, aux élèves qu'il avait formés. Les mêmes littérateurs affirment que l'illustre Corelli devait une partie de son talent, pour les airs de violon, à l'étude des œuvres de Lulli; que ce même Corelli en avait fait l'aveu modestement au cardinal d'Estrées. Cet aveu, s'il a jamais été proféré, sera rangé, s'il vous plaît, parmi les mensonges officieux que la civilité puérile dicte un peu trop souvent. Savez-vous bien que ce Lulli, premier violoniste de son temps, eût été fort embarrassé pour exécuter le solo de violon, placé par Cavalli dans l'air, Il mio cor alla vendetta, de son Eritrea; solo que les Italiens faisaient sonner victorieusement, avant que Lulli n'eût cultivé sérieusement le violon, c'est-à-dire en 1652. Corelli sans doute a d'abord cherché des modèles, mais il les a trouvés dans son pays. Il faut savoir juger papier sur table. Allez à la bibliothèque du Conservatoire de Musique de Paris, ouvrez la partition manuscrite de l'Eritrea, comparez le solo de violon, que je vous désigne, à tout ce que l'auteur de Thésée et d'Atys a noté pour cet instrument, et vous verrez si l'audacieux Corelli a pu faire le moindre profit des infiniment timides essais de Lulli. Quand l'histoire d'un art est écrite par de simples littérateurs, les erreurs, les bévues, les

impossibilités, les mensonges, y fourmillent, ils y restent inscrustés pendant plusieurs siècles.

Les Français étaient alors plongés dans les ténèbres de la barbarie, ils s'y plaisaient; l'entêtement de l'amour-propre, l'exemple donné par leur roi les y retenait. Louis XIV avait en horreur la musique brillante et leste; le duc de SaintAignan lui présenta le petit Baptiste (Anet), élève de Corelli, qui joua des morceaux italiens d'une agilité prodigieuse à cette époque. Le roi voulut bien écouter cette musique avec beaucoup d'attention, et quand le jeune virtuose eut fini, Louis demanda qu'on lui fit venir un violoniste de sa chapelle. Un air de Cadmus, » dit le prince. Après que ce musicien eut exécuté cet air lourd et trainant de Lulli,- Je ne saurais que vous dire, monsieur, voilà mon goût à moi, voilà mon goût. » Telle fut la réponse de Louis XIV au duc de Saint-Aignan ; et voilà comment les vingt-quatre violons, de la sorte encouragés, pouvaient dicter des lois et servir de modèles aux musiciens du reste de l'Europe.

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Un butor académicien, un porc-épic gouvernant une plume, n'osait-il pas imprimer en 1719, réimprimer en 1733, ce refrain mémorable: - Les plus habiles violons d'Italie exécuteraient mal, je ne dis pas les symphonies caractérisées de M. de Lulli, mais même une gavotte. Quoique les Italiens étudient beaucoup la mesure, il semble néanmoins qu'ils ne connaissent pas le rhythme, et qu'ils ne sachent pas s'en servir pour l'expression, ni l'adapter au sujet de l'imitation, aussi bien que nous. » DUBOS, Réflexions critiques sur la Poésie et sur la Peinture.

Multa paucis, que de sottises en peu de mots! apophthegme d'académicien, chef-d'œuvre d'ânerie! Voilà sur quels modèles se règlent encore aujourd'hui nos littérateurs!

L'Eritrea de Cavalli prouve que les violonistes italiens démanchaient d'une manière très hardie en 1652. Rabelais va nous démontrer que cet artifice précieux était en usage dès les premières années du seizième siècle, non pas en France, mais en Italie. Rabelais ainsi que Molière est un de nos his

toriens de la musique; ses commentateurs ont négligé de signaler une infinité de passages, de mots infiniment significatifs pour les musiciens. - Panurge, ces mots achevez, jecta au milieu du parquet une grosse bourse de cuir pleine d'escus au soleil. Au son de la bourse commencearent tous les chats fourrez jouer des gryphes, comme si feussent violons desmanchez.» Pantagruel, livre V, chapitre 13.

Rabelais était musicien, il avait ouvert une école de plainchant à Meudon; et, pendant son séjour en Italie, cẹ maître avait curieusement observé l'artifice du démanchement, et les ressources que les violonistes en obtenaient pour les traits agiles portés à l'aigu. Ces tours de force, admirés, considérés alors comme une merveille, donnaient à la main gauche de l'exécutant une activité que Rabelais compare à celle des chats fourrés, jouant des griffes, pour saisir la bourse que leur jette Panurge, comme si fussent violons démanchés.

On donnait autrefois le nom de cymbales à des paires de petites sonnettes, espèces de castagnettes métalliques, dont on jouait comme on joue à présent des castagnettes d'ivoire et de bois. Telles étaient les cymbales dont s'accompagnait Clérante du roman de Francion, que je viens de citer. Rabelais parle de cet instrument au chapitre 7 du livre Il de Pantagruel. Les cymbales des dames. >>

TARTUFE ou L'IMPOSTEUR.

MOLIÈRE, 1667.

Molière compose, fait représenter une pièce ayant pour titre l'Imposteur, et donne le nom de Tartufe au personnage principal de cette comédie. Le caractère de l'hypocrite, de Tartufe, si merveilleusement tracé, d'une vérité si complète, produit une sensation telle que le nom de Tartufe, généralement adopté, passe dans la langue française pour y désigner un fourbe consommé. Bien avant les représentations publiques de l'Imposteur (1), on disait un tartufe pour désigner un hypocrite; comme on avait dit un amilcar pour désigner un joyeux compagnon, et comme on dit plus tard un amphitryon pour désigner celui qui se plaît à réunir de nombreux convives à sa table, un Pourceaugnac, un Harpagon, en montrant au doigt un gentillâtre ridicule, ou bien un avare.

- Dès qu'il arrive en France quelqu'un qui ait tant soit peu de votre air, et de vos petites façons de faire, fût-ce un prince, ne dit-on pas, Voilà un vrai Pourceaugnac ? Et n'estce pas un honneur considérable pour vous et pour votre province, que votre nom puisse quelquefois servir d'une qualité aux gens de la plus haute naissance? » BRÉCOURT, l'Ombre de Molière, scène x, 1674.

Voilà donc le mot tartufe qui change de condition, et perd

(1) Les trois premiers actes avaient été représentés à Versailles le 12 mai 1664, et le furent encore à Villers-Coterets, chez Monsieur, le 24 septembre; au Raincy, chez M. le Prince, le 29 novembre de la même année, et le 9 novembre 1665. Mise en scène devant le public le 6 août 1667, la pièce entière, arrétée en son cours le lendemain, ne reparut que le 5 février 1669,

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