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d'elle est un jeune garçon qui tient à la main un par-dessus de viole. La sainte Cécile du Dominiquin joue de la basse de viole, et les musiciens que Paul Véronèse a placés dans son immense et superbe tableau des Noces de Cana, font sonner la viole batarde et la contre-basse de viole. Le prince Nicolas Esterhazy jouait très-bien du baryton, viole d'amour plus grave d'une octave. Haydn écrivit plus de cent cinquante morceaux de musique, où le baryton était employé comme partie principale; ils étaient destinés aux concerts de l'illustre

amateur.

L'Almanach musical de 1783 signale encore deux maîtres de par-dessus de viole: Decaix et Doublet; un maître de viole d'amour : Corsin; six maîtres de mandoline, et cinq de vielle, professant à Paris.

S'il faut en croire les historiens du XVIIe siècle, la viole produisait des miracles. Maugars, Hottmann, Sainte-Colombe, le père André, bénédictin, le savant Tanneguy Lefèvre, père de Mme Dacier, Alarius, et beaucoup d'autres virtuoses du même genre, enchantaient la cour et la ville. Jean Rousseau, dans l'excès de son enthousiasme, nous dit que-si Adam avait voulu faire un instrument, il aurait fait une viole, et s'il n'en a pas fait, il est facile d'en donner les raisons; » et l'auteur du Traité de la Viole (1687) se livre à ce sujet aux conjectures les plus drôlatiques.

A la cour d'Henri IV, le musicien Granier, jouant devant la reine Marguerite, chantait le ténor en s'accompagnant de la contre-basse de viole; tandis qu'un page, enfermé dans l'instrument, concertait avec lui en exécutant la partie de soprane en duo. La même facétie fut renouvelée devant Louis XIV. Le comédien Raisin fit entendre un clavecin dont les sons, obtenus au moyen des cordes, accompagnaient un jeu de flûtes d'une mélodie ravissante. Ce concert eut lieu plusieurs fois sans que l'on pût deviner la cause d'un effet aussi merveilleux. Le roi voulut enfin la connaître; Raisin ouvrit le clavecin, il en sortit un joli petit garçon, dont la voix imitait la flûte.

M. de Saint-Montant, chef d'une famille du Vivarais, était amateur passionné de musique; il jouait admirablement de la viole, de même que ses fils et ses filles. Vers la fin de la régence de Philippe d'Orléans, il lui survint un procès porté devant le présidial de Nîmes. Il fallut aller solliciter; et le virtuose plaideur imagina que la musique était le meilleur moyen de se concilier l'esprit de ses juges. Il part en troubadour, accompagné de ses élèves, se rend à Nîmes, voit ses juges l'un après l'autre, leur expose son affaire en quelques mots, et fait entendre un concert de violes en manière de péroraison. Jamais avocat ne parut plus divertissant; la musique servit à merveille ces aimables solliciteurs, et le procès fut gagné.

Une contestation du même genre avait été jugée de la même manière en 1686. Campra (Joseph), frère du compositeur de ce nom, dirigeait l'orchestre du théâtre lyrique de Marseille, lorsque l'entrepreneur Gaultier refusa de payer les symphonistes sous le prétexte qu'ils n'étaient point assez habiles. Ces musiciens le firent assigner devant le tribunal compétent, et Campra demanda qu'il leur fût permis de plaider eux-mêmes leur cause. Les juges accordèrent cette licence; armés de leurs instruments, les symphonistes se rangèrent en bataille dans la salle de l'audience, et Campra leur fit jouer une ouverture de Lulli, dont l'exécution fit tant de plaisir, que le tribunal, d'une voix unanime, condamna le directeur à payer ce qu'il devait à son orchestre. Après avoir proclamé ce jugement digne de Salomon, le président voulut bien déroger à sa gravité de magistrat, et sé permettre cette innocente plaisanterie : - Huissier, appelez une autre cause, vous voyez bien que les parties sont d'accord. >>

PHILOCLÉON.

Si le comédien OEagre est cité devant le tribunal, il faut qu'il amuse les juges en leur récitant quelque tirade harmonieuse de sa tragédie de Niobé. Si nous faisons gagner le procès à un joueur de flùte, quand nous sortons il ne manquera pas d'exécuter sur son instrument une belle marche guerrière. Si un père, en mourant, laisse ses biens à sa fille,

et lui désigne un mari dans son testament, nous nous moquons de sa volonté dernière, nous brisons le sceau posé sur le testament, nous donnons la fille et l'héritage à celui qui sait le mieux l'art de nous graisser la patte, et quand nous avons insulté de cette manière aux lois comme à la justice, nous n'avons à rendre compte de notre conduite à personne : prérogative unique et précieuse qui n'appartient qu'à nous. » ARISTO PHANE, les Guêpes, comédie satirique.

AKÉBAR, ROI DU MOGOL,

TRAGÉDIE LYRIQUE,

PAROLES ET MUSIQUE DE L'ABBÉ MAILLY, 1646;

Premier opéra français.

Une des bévues les plus solennelles de nos auteurs dramatiques, c'est de vouloir être plaisants, facétieux au moyen d'un nom de ville choisi sur la carte de France. Ces messieurs d'un esprit superfin, d'une sagacité parfaite, ont décidé que tout individu serait frappé d'une stupidité phénoménale, s'il avait le malheur à nul autre second de naître à Brive-laGaillarde, à Pézénas, à Gigondas, à Tartas, à Valréas, à Bazas, à Carpentras surtout. N. B. Ayez soin de prononcer Carpentrasss à la parisienne, au lieu de Carpentra, comme disent les naturels du pays ces naturels en seront plus bêtes de trois s.

Si nous étions au temps d'Abélard, où le savant réel, l'artiste réel, l'homme d'esprit réel, se campait dans une chaire, et, coram populo, battait en ruine les prétentions d'un troupeau d'ambitieux sans études, les arguments des cuistres, les inventions burlesques des charlatans; où le fougueux orateur, le dialecticien ferré jusqu'aux dents, abattait les pygmées par centaines, et les fourrait dans le sac comme des lapins éreintés; si le droit d'interpellation était accordé, comme autrefois, aux savants, aux artistes français, je planterais un Carpentrassien en face de toutes vos académies ; et là, devant ce concile œcuménique, mon paysan de l'Auzon, faisant mieux encore que le paysan du Danube, changerait de gamme, de note, à mesure qu'il changerait d'interlocuteur. Croyez qu'un bon nombre seraient fourrés dans le sac.

De la théorie la plus ardue, passant à la pratique la mieux éprouvée, mon paysan saisirait le compas d'Euclide ou les pinceaux, le style de l'historien ou l'astrolabe, la loupe du botaniste, du géologue, du numismate, l'archet de Servais ou l'archet de Vieuxtemps, disputerait même avec les bibliophiles, et terminerait la séance par une brillante improvisation sur l'orgue.

Voilà pourtant comme on se gouverne dans cette mare de canards, dans ce nid d'oisons appelé Carpentrasss. Voilà comme on s'évertue dans la rue de l'Ange, en face du cabaret de l'Ange, sans maîtres, professeurs et démonstrateurs d'aucune espèce. Cet institut vivant, cet homme d'arts et de sciences, n'obtiendra cependant jamais une petite place dans aucune de nos académies; tant le savoir-faire l'emporte sur le savoir!

Dans la jonchère que l'on nomme Institut, on plante parfois quelques palmiers féconds, d'une taille élégante et majestueuse. L'ordre des Minimes, les frères coupe-choux, formant une majorité puissante et décisive, aimeraient bien mieux que ces palmiers incommodes fussent relégués au loin; mais la politique, une certaine vergogne, commandent l'admission de ces voisins redoutés. D'ailleurs, la concession que l'on vient de faire à l'opinion publique, permettra d'ouvrir impunément la porte à de nombreuses nullités, depuis vingt ans parquées dans les entours du temple.

Parmi ses recettes plus ou moins ingénieuses, la Cuisinière bourgeoise devrait nous donner la manière d'accommoder un pauvre d'esprit en académicien. Bien que le secret, le procédé, soit connu des prétendants de ce genre, le public ne l'apprendrait pas sans plaisir. Voici comment se fait cette cuisine. Prenez un de ces pauvres, et le conduisez chez la dame de charité de service, matrone ayant gagné jadis ses éperons dans le monde galant, invalide mise à la retraite, occupant ses loisirs aux intrigues littéraires, faute de mieux ; sibylle proclamant des oracles avec soin recueillis par l'ordre des Minimes, que la reconnaissance a retenus en sa cour, à ses pieds. Elle va les catéchiser, les chauffer, les dresser, et

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