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frapper la victime, portait sur sa lame: Au C couronné, Colin, coutelier à Langres.

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E'oud, en arabe, signifie toute espèce de bois en général, une machine, un instrument quelconque. Comme nom d'un instrument de musique, il a passé dans plusieurs langues, où diverses altérations l'ont rendu méconnaissable. En réunissant l'article avec le nom el-e'oud, l'e'oud, les Turks en ont corrompu l'orthographe, et l'ont écrit et prononcé laoutah. Les Espagnols, qui selon toute apparence tinrent ce mot directement des Sarrasins, en ont moins altéré la prononciation et l'orthographe dans laoudo. Les Italiens ont écrit leuto, puis liuto. C'est de là peut-être, ou de la connaissance que les Français eurent de l'e'oud en Orient, au temps des croisades, que nous est venu le nom de luth. »VILLOTEAU, Sur la musique des Égyptiens.

De l'italien barcarola nous avons fait barcarole; pourquoi l'Académie écrit-elle barcarolle? Pourquoi dénaturer la physionomie des mots en ajoutant, à contre-sens, une lettre qu'on ne saurait prononcer doublement sans être ridicule? Je préfère notre ancien mot barquerole, employé par Danchet dans les Fêtes vénitiennes (1712), à barcarolle burlesquement orthographié. Les consonnes doublées indiquent aux Français une syllabe dont il faut accélérer la prononciation, et barcarola, accentué par les Italiens sur sa pénultième syllabe, est long dans sa terminaison. Barcarôle serait beaucoup moins impertinent que barcarolle.

En 1615, d'Aubigné disait :- Je voudrais que cette grammaire fût châtrée d'une grande quantité d'adverbes, comme charnellement, réallement,corporellement, transubstantiellement: et d'autre côté sacramentellement, figurément, spirituellement, ineffablement, accomodément. Et encore parmi les courtisans tant de extrémement, je suis votre serviteur éternellement: et aujourd'hui court furieusement, jusqu'à dire il est sage, il est doux furieusement. La première bande de ces adverbes a trop peté dans les écoles, et trop fait peter de coups de canon. Les autres emplissent la bouche des plus sots courtisans, et cet accom

modement, est terme de haute volerie et de gibecière, ou style de bourreau pour l'accommodement de la corde au patient. On use mal aussi de plusieurs adverbes à la cour, comme je vous aime horriblement; on dit même grandement petit. » Le baron de Fæneste, LIVRE III, chapitre 22.

Après avoir de la sorte anathématisé les adverbes sans fin de son temps, il est probable que Théodore Agrippa d'Aubigné n'eût pas accueilli gracieusement des mots tels que contrerévolutionnairement, inconstitutionnellement, dont le patois parisien a fait la conquête.

MASCARILLE.

Vous ne me dites rien de mes plumes! comment les trouvez-vous?

Effroyablement belles.

CATHOS.

Furieusement bien, terriblement bon, le sublime le cerveau) en est touché délicieusement.

PHILAMINTE.

J'aime superbement et magnifiquement :
Ces deux adverbes joints font admirablement.

Les Femmes savantes, Acte III, scène 2.

Vous voyez que Molière faisait aussi la guerre aux adverbes français, verba sesquipedalia.

- M. le procureur-général, votre frère, m'a donné une pension sans que je la lui aie demandée, et vous m'êtes venu voir sans que j'aie brigué l'honneur de votre visite. Une telle bonté me donne à vous terriblement, pour parler à la mode. » SCARRON, lettre à Monseigneur ***.

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Nous mènerions promener ces dames hors des portes, et leur donnerions un cadeau.

MADELON.

Nous ne saurions sortir aujourd'hui.

MASCARILLE.

Ayons donc des violons pour danser.

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On se tromperait sur le sens de cette expression, donner un cadeau, si l'on ne consultait que l'usage actuel. Aujourd'hui cadeau signifie présent: du temps de Molière il signifiait repas donné à des femmes, et c'est dans ce sens que Mascarille l'emploie. »

Et si le repas est donné par une femme à des hommes; s'il ne s'agit pas du tout d'un festin, mais d'un concert, d'un bal, d'un spectacle, d'une joûte, d'un feu d'artifice, dois-je me contenter de cette explication, lancée par le commentateur Auger avec le burlesque aplomb des académiciens? Plusieurs moutons l'ont adoptée, grand bien leur fasse ! Voyez les notes sur Belphegor dans la très jolie édition des Contes de La Fontaine, Paris, Brière, 1824, 2 vol, in-24.

Après la chère grande et belle,

On fit sonner le boute-selle,
Et l'on revint toute la nuit,

Non pas sans doute à petit bruit,
Au camp que notre auguste reine,
Cette divine souveraine,

Avait, pour donner son cadeau,

Fait faire aussi près le chateau.

La reine Marie-Thérèse, mettant le couvert dans les champs, aux entours de Fontainebleau, le 2 juillet 1666, pour régaler son époux Louis XIV, et son beau-frère Monsieur, me paraît une femme donnant à deux hommes un cadeau.

SOULIER, chaussure pour les femmes; cette définition, digne d'Auger, et tout aussi claire, précise que la précédente, ne manquerait pas d'être adoptée. On la copierait, on la reproduirait en caractères mobiles sur la foi d'un académicien, jusqu'au moment où quelque chasseur parisien, poursuivant le gibier sur les hauteurs âpres et siliceuses du Ventour, jugerait que les pieds sanglants de ses chiens demandent à grands cris des souliers. Le mal s'est déclaré, vite cherchons le remède; il va se présenter aux yeux du chasseur inquiet.

En traversant le Revest-du-Bion, dans la plus belle rue de ce village des Basses-Alpes, il lira cette enseigne consolatrice : Borel, dit le Mître, barbier, coiffeur, perruquier, fait bottes, brodequins et souliers pour hommes, femmes et chiens. Soyez certain que la gent canine se laissera chausser galamment, et portera ses deux paires d'escarpins avec autant de bon sens que de coquetterie.

La promenade dans les bois
Et la Française-Comédie
Qu'accompagnait la mélodie,
Ont été les plaisirs charmants
Et les plaisants esbattements
De cette cour brillante et leste,
Dans cet Eden presque céleste,
Où l'air, le ciel, la terre et l'eau,
Lorsqu'on y fait royal cadeau,
Montrent, pour le rendre agréable,

Tout ce qu'ils ont de plus aimable.

Vous voyez que nul festin, repas, collation ne fut servi que le divertissement offert à la cour ne s'adressait point aux femmes particulièrement. Que devient la définition d'Auger, repas donné à des femmes? le cadeau de l'académicien s'est évanoui.

M Dangeville, de la Comédie-Française, possédait une villa charmante à Vaugirard, où plusieurs carrossées d'amis et d'amies, tout une bande joyeuse, étaient venus la visiter après diner. Cette brillante compagnie, ayant fait maintes promenades, se préparait à retourner à Paris; la dame châtelaine, prévenante et gracieuse, retint ses aimables hôtes, disant qu'elle avait envoyé son Ergaste au galop quérir des violons, afin d'improviser un bal champêtre, et que le diligent émissaire amènerait les musiciens avant cinq heures. A cinq heures trois quarts, l'Ergaste entre dans le salon, très affairé. Sa maîtresse lui dit : Où sont les violons? Mademoiselle, je cherche ma bride et n'ai pu la trouver

encore. »

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Il fallut se contenter de la collation, le cadeau projeté ne

réussit qu'à moitié.

Alors la divine Uranie (1),
Par sa plus fine symphonie,
Commença le royal cadeau :
Et ce concert-là fut si beau
Que chacun devint tout oreilles
Pour en admirer les merveilles.

La musique seule figure à ce cadeau, que Madame offrit au roi, le 6 janvier 1666, en son chateau de Saint-Cloud. On s'y repaît de chants, de symphonies; une femme donne ce concert à son beau-frère. Le cadeau si bien défini par Auger, est-il encore un repas donné à des femmes?

Le cadeau le plus brillant, le plus somptueux que je puisse décrire et citer, le plus extraordinaire que l'histoire de la galanterie française nous ait transmis, est le Régale des Dames, mélodrame en cinq actes et vingt-cinq tableaux, avec chants, symphonies, ballets, grand spectacle, décors superbes, machines, tours d'adresse, de force, métamorphoses, costumes et mise en scène qui tenaient du prodige, dont l'auteur, parolier et musicien anonyme, avait fait toute la dépense pour le divertissement de la dame de ses pensées, représenté le 28 avril 1668, à la foire Saint-Germain. L'auteur et la dame restèrent inconnus.

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- Donner un cadeau, signifiait autrefois donner une fête, donner un repas. Le père Bouhours fait venir ce mot de cadendo, parce que, dit-il, les buveurs chancellent et tombent, et que c'est ordinairement comme finissent les cadeaux. » Notez que les cadeaux n'étaient offerts qu'à des femmes, s'il faut en croire Auger. Un autre commentateur de Molière, Aimé Martin, m'a fourni les lignes que je viens de citer.

Quelle indécente, grotesque et pitoyable étymologie! Bouhours ne craint pas de la mettre en lumière, et d'autres glɔs

(1) Madame Henriette d'Angleterre, qui touchait très-bien le clavecin.

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