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EMPOISONNEMENT PAR LES PRÉPARATIONS d'argent.

Le nitrate d'argent cristallisé est en lames hexaédriques, translucides, incolores; le nitrate d'argent fondu ou pierre infernale, en petits cylindres, gris-ardoisé, à cassure radiée. Ces deux sels sont inodores, tachent la peau en brun-violacé, brunissent à la lumière, se réduisent même au bout d'un certain temps, s'ils sont mêlés à des matières organiques. Déposés sur un morceau de braise incandescent, ils déflagrent vivement, dégagent des vapeurs nitreuses, laissent une tache d'un blanc mat (argent), qui, grattée avec la pointe d'un canif, prend le brillant argentin. Cette teche se dissout à chaud dans l'acide azotique, et le soluté offre les réactions du nitrate d'argent.

Le nitrate d'argent cristallisé et fondu sont très-solubles dans l'eau distillée. Le soluté qui est limpide, incolore, âcre, caustique, à réaction neutre ou acide, laisse un dépôt d'un' brun-noirâtre sur le goulot du vase, et colore aussi les matières organiques. Il précipite, 10 par l'acide sulfhydrique, les sulfhydrates, en noir (sulfure d'argent); la liqueur est surnagée par de petites pélicules noirâtres à reflet métallique; 2 par la potasse, en brun-olive (oxyde d'argent), complétement soluble dans l'ammoniaque et l'acide azotique purs, et réductible sur les charbons ardents; 50 par l'acide chlorhydrique, les chlorures alcalins, en blanc caillebotté (chlorure d'argent), insoluble dans l'eau, l'acide azotique à froid et à chaud, soluble dans l'ammoniaque, fusible et indécomposable par la chaleur seule, se colorant en noir violacé à la lumière. Ces réactions sont certainement suffisantes pour caractériser les sels d'argent. On pourrait encore ajouter qu'ils précipitent en jaune par les arsénites et les phosphates; en rouge-brique par les arséniales; en rouge caruin par les chromates, etc. Par l'évaporation, on reconnaîtrait que c'est un nitrate aux caractères déjà indiqués.

Si la dissolution était trop étendue pour donner ces réactions, il faudrait la concentrer, ou bien encore précipiter l'argent à

l'état de chlorure par l'acide chlorhydrique ou le chlorure de sodium. Le chlorure d'argent, lavé et desséché, serait réduit, soit en le chauffant avec du flux noir dans un tube on un creuset de porcelaine, soit par le procédé de Turner on le gaz hydrogène, comme nous l'avons indiqué par le sulfure d'antimoine, page 477, en ne faisant passer le gaz hydrogène que lorsque le chlorure commence à entrer en fusion et prend une teine rougeâtre. Il se forme de l'acide chlorhydrique qui se dégage, et l'argent reste adhérent aux parois du tube en couche blanche.

Lorsque la pierre infernale contient du cuivre, elle deviert verdâtre à l'air humide. Si elle était sophistiquée avec du charbon, de la plombagine, du sesqui-oxyde de manganèse ou tout autre corps insoluble, on pourrait isoler ces corps insolubles par l'eau distillée. Si enfin elle était fabriquée avec de l'azotate de potasse, après l'avoir dissoute dans l'eau distillée, on précipiterait l'argent par l'acide chlorhydrique, et, après filtration et évaporation, on obtiendrait ce sel cristallisé.

Nitrates d'argent et matières organiques. Les solutés d'argent sont décomposés par la plupart des matières organiques, non seulement en formant avec elles un composé insoJuble, mais encore par les carbonates, les tartrates, les chlorures, les phosphates, qui précipitent l'argent à l'état de sel insoluble. Le vin de Bourgogne est troublé, et, après quelques jours de contact, donne un dépôt violacé. Le thé, les solutés albumineux, le lait, le bouillon, la bile donnent des précipités diversement colorés. Les sels solides réagissent aussi sur les matières organiques solides on molles, les colorent en brun. La lumière accélère ces réactions auxquelles l'acide azotique n'est probablement pas étranger. Elles sont promptes, complètes, puisque M. Orfila, dans un mélange de nitrate d'argent et de matières organiques, n'a pu, un mois après, déceler ce poison dans la partie liquide.

Analyse. 1 Examiner si, dans les matières suspectes, dans les dépôts des liqueurs, à la surface du tube intestinal, il n'y a

point une poudre blanche (chlorure, carbonate, etc., d'argent) qu'on séparerait par les lavages. 20 filtrer les parties liquides, les précipiter par l'acide chlorhydrique ou le chlorure de sodium, laver, dessécher le précipité, le chauffer de même que celui obtenu ci-dessus avec de l'eau régale pour le priver de matière organique et le transformer en chlorure qu'on réduirait ensuite soit par le flux noir, soit par le gaz hydrogène. 5o dessécher les matières solides, le tube intestinal, etc., les carboniser ensuite soit par l'acide sulfurique, soit par l'acide azotique et le chlorate de potasse, soit par incinération simple. Dans le premier et dernier procédé, il serait nécessaire de chauffer les cendres avec de la potasse ou de la soude pour réduire l'argent qui pourrait se trouver à l'état de chlorure. Dans tous, les cendres, exactement lavées à l'eau distillée, donneront de l'argent en petits globules ou parcelles. On pourrait d'ailleurs l'isoler en traitant les cendres à chaud par l'acide azotique.

M. Devergie précipite les liqueurs par le chlorure de sodium, chauffe les dépôts, les matières solides avec de l'acide chlorhydrique dans une capsule de porcelaine jusqu'à ce qu'elles soient dissoutes, délaye le produit dans l'eau et laisse déposer. Le chlorure obtenu, dans les deux cas, est lavé, desséché et réduit par le gaz hy drogène.

M. Orfila précipite aussi les liqueurs par le chlorure de sodium, etc., met à digérer dans de l'ammoniaque les dépôts, les parties solides, dans le but de dissoudre les sels d'argent qui pourraient être combinés avec elles; sature le soluté ammoniacal par l'acide hydrochlorique, et réduit le ch'orure qui se dépose par le gaz hydrogène, après l'avoir préalablement dépouillé de matière organique, en le chauffant avec de l'acide azotique, Eufin, les matières épuisées par l'ammoniaque sont ensuite carbonisées par l'acide azotique et le chlorate de potasse. Les sels d'argent étant facilement réductibles, toutes ces manipulations sont inutiles, et il nous paraît préférable et plus simple de recourir immédiatement aux procédés de carbonisation ou d'incinération.

Sels d'argent absorbés. L'absorption des sels d'argent était

démontrée pathologiquement depuis bien longtemps, puisque, chez les personnes qui en usent, l'épiderme prend une couleur brune indélébile. Brandes, en 1829, chez un épileptique soumis pendant dix-huit mois à l'usage du nitrate d'argent, et dont la peau, les organes internes, le plexus choroïde, et surtout le pancréas présentaient une couleur brune très-prononcée, retira de ces organes de l'argent métallique. Ce fait, trèsimportant en toxicologie légale, démontrerait que les sels d'argent peuvent se réduire dans nos organes et devenir ainsi inoffensifs pendant longtemps. En est-il de même pour les autres poisons métalliques, moins réductibles que les sels d'argent? Cela est très-probable, si nous nous rappelons que nos tissus peuvent être imprégnés de plomb, et cependant la maladie saturnine ne se déclarer, ne récidiver que des mois, des années après que les individus se sont soustraits à l'influence de la cause. M. Landerel, qui prenait du nitrate d'argent pour combattre l'épilepsie dont il était atteint, observa que son urine se troublait en peu de temps et donnait un dépôt abondant, volumineux, se colorant en noir à la lumière. Il le mit à digérer dans l'ammoniaque, filtra, satura la liqueur par un acide, et obtint du chlorure d'argent. M. Orfila ayant empoisonné des chiens avec 4 ou 6 gram. d'azotate d'argent, a retiré du foie, de la rate, des reins, des urines, 5 à 6 centigr. de chlorure d'argent, en les carbonisant directement par l'acide azotique et le chlorate de potasse. Il chauffe ensuite le charbon avec de l'acide azotique, précipite le nitrate étendu d'eau par l'acide hydrochlorique, et réduit le chlorure par le gaz hydrogène.

Effets toxiques, altérations pathologiques. Malgré les observations, fort incomplètes d'ailleurs, rapportées par les auteurs, et les expériences sur les animaux, nous sommes bien peu fixés sur les effets et les lésions que développent les sels d'argent. Boerhaave parle d'un jeune élève en pharmacie qui, ayant avalé de la pierre infernale, éprouva des souffrances horribles, et le sphacèle des premières voies. D'après plusieurs auteurs, le nitrate d'argent, donné à dose médicamenteuse, aurait produit des vertiges, une cécité passagère, un flux abon

dant d'urine, des coliques, des superpurgations. Cependant MM. Fouquier, Merat et autres praticiens, ont porté la dose de ce sel à 50, 80 centigr. sans accidents. Són usage prolongé, même à petite dose, communique, comme on sait, une couleur brune-violacée indélébile à la peau. Le nitrate d'argent dissous dans beaucoup d'eau et employé en Angleterre sous le nom d'eau d'Égypte, d'aqua græca, pour colorer les cheveux, aurait l'inconvénient, d'après M. Rygby, de les faire tomber. et, dans quelques cas, d'occasionner des accidents assez graves. A ces faits si tronqués et qui ne peuvent avoir une grande importance toxicologique, nous rapporterons la seule observation assez détaillée qui soit à notre connaissance.

Observation. Le 23 juin 1829, Édouard Lecompte, âgé de 21 ans, est apporté à une heure du matin à l'hôpital Saint-Louis dans l'état suivant: perte de connaissance, insensibilité générale, membres supérieurs et muscles de la face agités de mouvements convulsifs, yeux tournés en haut, pupilles dilatées, insensibles à la lumière; mâchoires fortement contractées; pouls plein, 70 pulsations. Le comissaire de police apportait dans une fiole le restant de liqueur avec laquelle le malade avait voulu s'empoisonner. L'aspect de cette liqueur, et surtout les larges taches que le malade avait sur les doigts, ne laissèren aucun doute sur la nature de l'empoisonnement. Tous les demi-quarts, d'heure un verre de soluté de sel commun (1/2 gros par verre). A trois heures du matin, amélioration sensible; les muscles de la face n'étaient plus agités, les contractions des mâchoires avaient cessé, les pupilles étaient moins dilatées; continuation de l'eau salée. A six heures, insensibilité dans les membres inférieurs, sensibilité obtuse dans les supérieurs, face fortement injectée, douleurs épigastriques très-fortes; méme traitement. A huit heures, mêmes symptômes, rien autre de particulier; sensibilité un peu moins obtuse. Le malade, interrogé sur la quantité de poison qu'il a avalée, ne pouvant parler, indique par signe le nombre 8; l'eau salée est remplacée par les boissons émollientes. A midi, la sensibilité a reparu dans toutes les parties du corps; le malade dit avoir pris 8 gros (32 gram.) de nitrate d'argent fondu dans du cassis. A trois heures de l'après-midi, coma profond, difficile à décrire; perte de l'intelligence et de la sensibilité générale, pouls à 90 pulsations. Cet état se prolonge jusqu'à cinq

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