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ne veulent pas en avoir peur. Que loin de les corriger on ne fait que les endurcir, & leur donner occafion de commettre de nouveaux crimes: que les cenfures au lieu d'être utiles à l'églife lui deviennent pernicieufes, attirant le plus grand de tous les maux, qui eft le fchifme; & la defarmant à force de prodiguer fes armes. Enfin que vouloir retrancher de l'église tous les pecheurs, c'eft faire comme un prince infenfé, qui trouvant la plupart de fes fujets coupables, les feroit paffer au fil de l'épée, au hazard de depeupler fon état. Vous ne verrez que trop dans la fuite de l'hiftoire les effets de cette conduite.

Les papes, il faut l'avouer, fuivirent les prejugez de leurs tems, & poufferent encore plus loin que les autres l'ufage des cenfures; à caufe de l'autorité de leur fiege, trés-grande en elle même & étendue au-delà des anciennes bornes par les fauffes décretales. Les plus grands papes & les plus zelez, pour retablir la discipline de l'églife & l'honneur du faint fiége aprés les defordres du dixième fiecle, s'éloignerent le plus de l'ancienne moderation qu'ils ne connoiffoient plus, ou qu'ils ne croyoient pas convenable à leurs tems; & enfin Gregoire VII. pouffa la rigueur des cenfures au delà de ce qu'on avoit vû jufques alors. Ce pape né avec un grand courage & élevé dans la difcipline monaftique la plus reguliere, avoit un zele ardent de purger l'église des vices dont il la voyoit infectée, particulierement de la fimonie & de l'incontinence du clergé mais dans un fiecle fi peu éclairé, il n'avoit pas toutes les lumieres neceffaires pour regler fon żele ; & prenant quelquefois de fauffes lueurs pour des veritez folides, il en tiroit fans hefiter les plus dangereufes confequences. Son grand principe étoit, qu'un fuperieur eft obligé à punir tous les crimes qui viennent à fa connoiffance, fous peine de s'en rendre complice ; & il repete fans ceffe dans fes lettres cette parole du Jerem, XLVIIJ, prophete: Maudit foit celui qui n'enfanglante pas fon épée : c'est-à-dire 10. qui n'execute pas l'ordre de Dieu, pour punir fes ennemis. Sur ce fondement, fi-tôt qu'un évêque lui étoit déféré comme coupable de fimonie ou de quelqu'autre crime, il le citoit à Rome; & s'il manquoit d'y comparoître, pour la premiere fois il le fufpendoit de fes fonctions, pour feconde il l'excommunioit: fi l'évêque perfiftoit dans fa contumace, le pape le depofoit, deffendoit à fon clergé & à fon peuple de lui obéir, fous peine d'excommunication; leur ordonnoit d'élire un autre évêque, & s'ils y manquoient, il leur en donnoit un lui-même: c'eft ainfi qu'il proceda contre Guibert archevêque de Ravanne, qui lui rendit bien la pareille, en fe faifant élire pape par le parti du roi Henri. Je fuis effrayé quand je vois dans les lettres de Gregoire VII. les cenfures pleuvoir pour ainfi dire de tous côtez, tant d'évêques dépofez par tout en Lombardie, en Allemagne, en France.

la

Le plus grand mal, c'est qu'il voulut foûtenir les peines fpirituelles par les temporelles, qui n'étoient pas de fa competence. D'autres l'avoient déja tenté : j'ai marqué que les évêques imploroient le fecours du bras feculier pour forcer les pecheurs à la penitence; & que les papes. avoient commencé plus de deux cens ans auparavant à vouloir regler par

XVIII.

Dépofitions

des rois.

1

2. 70. 10.

7.36.

Hift. 1. 1. n. 34.

autorité les droits des couronnes. Gregoire VII. fuivit ces nouvelles maximes, & les pouffa encore plus loin: prétendant ouvertement, que comme pape il étoit en droit de dépofer les fouverains rebelles à l'églife. Il fonda cette pretention principalement fur l'excommunication. On doit éviter les excommuniez, n'avoir aucun commerce avec eux, ne pas leur parler, ne pas même leur dire bon-jour, fuivant l'apôtre. Donc un prince excommunié doit être abandonné de tout le monde : il n'eft plus permis de lui obéir, de recevoir fes ordres, de l'aprocher: il eft exclus de toute focieté avec les Chrétiens. Il eft vrai que Gregoire VII. n'a jamais fait aucune decifion fur ce point, Dieu ne l'a pas permis. Il n'a prononcé formellement dans aucun concile, ni par aucune decretale, que le pape a droit de déposer les rois: mais il l'a fuppofé pour conftant, comme d'autres maximes auffi peu fondées, qu'il croyoit certaines. Il a commencé par les faits & par l'execution.

Et il faut avouer qu'on étoit alors tellement prevenu de ces maxiGreg.tv.epift.2 mes, que les deffenfeurs du roi Henri fe retranchoient à dire qu'un fouhift. liv, LXII. verain ne pouvoit être excommunié. Mais il étoit facile à Grégoire VII. de montrer que la puiffance de lier & de delier a été donnée aux apôtres generalement, fans exception de perfonnes, & comprend les princes comme les autres. Le mal eft qu'il ajoûtoit des propofitions exceffives: que l'églife ayant droit de juger des chofes fpirituelles, elle avoit droit à plus forte raifon de juger des temporelles : que le moindre exorcifte eft audeffus des empereurs, puifqu'il commande aux demons: que la royauté eft l'ouvrage du démon, fondée fur l'orgueil humain au lieu que le facerdoce eft l'ouvrage de Dieu : enfin, que le moindre Chrétien vertueux eft plus veritablement roi, qu'un roi criminel, parce que ce prince n'eft plus un roi, mais un tyran: maxime qué Nicolas 1. avoit avancé, avant Gregoire VII. & qui femble avoir été tirée du livre apocryphe des conftitutions apoftoliques, où elle fe trouve expreffément. On peut lui donner un bons fens, la prenant pour une expreffion hyperbolique, comme quand on dit qu'un méchant homme, n'eft pas un homme: mais de telles hyperboles ne doivent pas être reduites en pratique. C'est toutefois fur ces fondemens que Gregoire VII. pretendoit en general, que fuivant le bon ordre c'étoit l'églife qui devoit diftribuer les couronnes & juger les fouverains; & en particulier il preten doit que tous les princes Chrétiens étoient vaffaux de l'église Romaine, lui devoient prêter ferment de fidelité, & payer tribut. J'ai rapporté les Hift l.x111. 1. preuves de fes pretentions fur l'empire, & fur la plupart des royaumes. de l'Europe.

Nic. 1. epift, ad advent. tom. 8.

conc. p. 487. E. Conft apoft liv.

N111. c. 2.

Voyons maintenant les confequences de ces principes. Il fe trouve un prince indigne & chargé de crimes, comme Henri IV. roi d'Allemagne, car je ne pretens point le juftifier. Il eft cité à Rome, pour rendre compte de fa conduite, il ne comparoît point. Aprés plufieurs citations le pape l'excommunie: il méprife la cenfure. Le pape le declare déchu de la royauté, absout ses sujets du ferment de fidelité, leur deffend de lui obéir; leur permet, ou même leur ordonne d'élire un autre roi. Qu'er

arrivera-t'il? des feditions & des guerres civiles dans l'état, des fchifmes dans l'églife. Ce roi depofé ne fera pas fi miferable, qu'il ne lui refte un parti, des troupes, des places: il fera la guerre à fon competiteur, comme Henri fit à Rodolfe. Chaque roi aura des évêques de fon côté, & ceux du parti oppofé au pape ne manqueront pas de pretextes, pour l'accufer d'être indigne de fa place. Ils le depoferont bien ou mal, & feront un antipape comme Guibert, que le roi fon protecteur mettra en poffeffion à

main armée.

Allons plus loin. Un roi depofé n'eft plus un roi: donc s'il continuë à fe porter pour roi c'eft un tyran : c'est-à-dire un ennemi public à qui tout homme doit courir fus. Qu'il fe trouve un fanatique, qui ayant lû dans Plutarque la vie de Timoleon ou de Brutus, fe perfuade que rien n'eft plus glorieux, que de delivrer fa patrie: ou qui prenant de travers les exemples de l'Ecriture, fe croye fufcité comme Aod, ou comme Judith, pour affranchir le peuple de Dieu : voilà la vie de ce pretendu tyran expofée au caprice de ce vifionnaire, qui croira faire une action heroique & gagner la couronne du martyre. Il n'y en a par malheur que trop d'exemples dans l'histoire des derniers fiecles, & Dieu a permis ces fuites affreufes des opinions outrées fur l'excommunication, pour en defabufer, au moins par l'experience.

Revenons donc aux maximes de la fage antiquité. Un fouverain peut être excommunié comme un particulier, je le veux: mais la prudence ne permet prefque jamais d'ufer de ce droit. Suppofcz le cas trés-rare, ce feroit à l'évêque auffi-bien qu'au pape; & les effets n'en feroient que fpirituels. C'est-à-dire qu'il ne feroit plus permis au prince excommunie de participer aux facremens, d'entrer dans l'églife, de prier avec les fidelles, ni aux fidelles d'exercer avec lui aucun acte de religion mais fes fujets ne feroient pas moins obligez de lui obéir, en tout ce qui ne feroit point contraire à la loi de Dieu. On n'a jamais. pretendu au moins dans les fiecles de l'églife les plus éclairez, qu'un particulier excommunié perdît la proprieté de fes biens ou de fes efclaves, ou la puiffance paternelle fur fes enfans. Jefus-Chrift en établiffant fon évangile, n'a rien fait par force, mais tout par perfuafion, fuivant la remarque de faint Auguftin. Il a dit que fon royaume n'étoit pas de ce monde, & n'a pas voulu fe donner feulement l'autorité d'arbitre entre deux freres. Il a ordonné de rendre à Céfar ce qui étoit à Céfar, quoique ce Céfar fut Tibere, non feulement payen, mais le plus méchant de tous les hommes. En un mot il eft venu reformer le monde en convertiffant les cœurs fans rien changer dans l'ordre exterieur des chofes humaines. Ses apôtres & leurs fucceffeurs ont fuivi le même plan, & ont toûjours prêché aux particuliers, d'obéir aux magiftrats & aux princes; & aux efclaves d'être foumis à leurs maîtres, bons ou mauvais, Chrétiens ou infidelles. Ce n'eft qu'aprés plus de mille ans, vous l'avez vû, qu'on 18. Rom. XIII. s'eft avifé de former un nouveau fyftême, & d'eriger le chef de l'église en monarque fouverain, fuperieur à tous les fouverains, même quant au temporel car s'il a le pouvoir de les établir & de les dépofer, en

De vera relig c. 16. n. z. Jo XVIII. 36. Luc.

X11, 14.

1. Pet. 13.

1.2. .

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XIX.

quelque cas & avec quelque formalité que ce foit, par puiffance directe ou indirecte: s'il a dis-je ce pouvoir, il faut dire fans détour, il est seul veritablement fouverain; & pendant mille ans l'église a ignoré ou negligé fes droits.

Gregoire VII. fe laiffa encore entraîner à la prevention déja reçûë, que Dieu devoit faire éclatter fa juftice en cette vie. Delà vient que dans fes lettres il promet à ceux qui feront fideles à faint Pierre la profperité temporelle, en attendant la vie éternelle ; & menace les rebelles de la perte de l'une & de l'autre. jufques-là, que dans la feconde fentence d'excommunication contre le roi Henri, adreffant la parole à faint Pierre, il le prie d'ôter à ce prince la force des armes & la victoire. Afin, ajoûte-t-il, de faire voir à tout le monde, que vous avez tout pouvoir au ciel & fur la terre. Il croyoit fans doute que Dieu, qui connoiffoit la bonté de fa caufe & la droiture de fes intentions, éxauceroit fa priere: mais Dieu ne fait pas des miracles au gré des hommes, & il femble qu'il voulut confondre la temerité de cette prophetie. Car quelques mois aprés, il fe donna une fanglante bataille, où le roi Rodolfe fut tué, quoique le pape lui eut promis la victoire; & le roi Henri, tout maudit qu'il étoit, demeura victorieux. Ainfi la maxime que Gregoire fuppofoit, fe tournoit contre lui même ; & à juger par les évenemens, on avoit lieu de croire que fa conduite n'étoit pas agréable à Dieu. Loin de corriger le roi Henri, il ne fait que lui donner occafion de commettre de nouveaux crimes: il excite des guerres cruelles qui mettent en feu l'Allemagne & l'Italie : il attire un fchifme dans l'églife, on l'affiege lui-même dans Rome, il eft obligé d'en fortir & d'aller enfin mourir en rexil à Salerne.

Ne pouvoit-on pas lui dire : Si vous difpofez des profperitez temporelles, que ne les prenez-vous pour vous même ? Si vous n'en difpofez pas pourquoi les promettez-vous aux autres. Chofiffez entre le perfonnage d'apôtre ou de conquerant: le premier n'a de grandeur & de puiffance qu'interieure & fpirituelle, au dehors ce n'eft que foibleffe & que fouffrance: le fecond a befoin de tout ce qui frappe les sens, des royaumes, des armées, des trefors pour les entretenir. Vous ne pouvez allier deux états fi opposez : ni vous faire honneur des fouffrances, que vous attirent des entreprises mal concertées. Jufques ici, j'ai principalement confideré le relâchement de l'ancienne difcipline & les autres tentations, dont Dieu a permis que fon église fut attaquée depuis le fixiéme fiecle jufqu'au douzième. Voyons maintenant les moyens par lefquels il l'a confervée, pour accomplir fa promeffe d'être toûjours avec elle, & de ne jamais permettre qu'elle fuccombât aux puiffances de l'enfer.

Premierement la fucceffion des évêques a continué fans interruption Succeffions dans la plupart des églifes depuis leur premiere fondation. Nous avons d'évêques. la fuite des évêques de chaque fiege dans les recueils intitulez la Gaule chrétienne, l'Italie facrée & les autres femblables: plufieurs églifes ont leurs hiftoires particulieres, & quant aux autres, on trouve de tems..

- en

en tems les noms de leurs évêques dans les conciles, dans les hiftoires
generales, ou dans d'autres actes autentiques. C'eft la preuve de la tra-
dition. Car dans tous ces lieux où nous voyons un évèque, il eft cer-
tain qu'il y avoit une églife, un clergé, l'exercice de la religion, une
école chrétienne; & on eft en droit de fuppofer qu'on y enfeignoit la
même dotrine, que dans les autres églifes catholiques, tant que l'on trou-
voit cette églife particuliere en communion avec elle. L'indignité des paf-
tears n'a point interrompu cette tradition. Qu'un évêque ait été fimonia-
que, avare, débauché, ignorant: pourvu qu'il n'ait été heretique, ni fihif
matique, la foi & les regles de la difcipline n'auront pas laifié de fe con-
ferner das le corps de fon églitc
de fon églite: quoique for mauvais exemple ait pû
Baite à quelques particuliers.

C'est ce qui eft arrivé principalement à Rome. Dieu a permis que pendant le dixié:ne fiecle ce premier fiege fut rempli de fujets indignes, par l'infamie de leur naiffonce ou par leurs vices períonnels : mais il n'a pas permis qu'il s'y foit gliffé aucune erreur contre la faine doctrine, ni que l'indignité des perfonnes nuisît à l'autorité du fiege. Ces tems d'ailleurs fi malheureux n'ont point eu de fchifme; & ces papes fi mépriTables en eux-mêmes ont éte reconnus pour chefs de toute l'églife, en Orient comme en Occident & dans les provinces du Nord les plus reculées. Les archevêques leur demandoient le pallium, & on s'adref foit à eux comme à leurs predeceffeurs pour les tranflations d'évêques, les érections de nouvelles églifes, les conceffions des privileges. Sous ces indignes papes Rome ne laiffoit pas d'être le centre de l'unité catho lique.

Pendant les cing fiecles que nous repaffons on a continué de tenir des conciles; & même trois generaux, le fixiéme, le feptiéme & le huitiéme. Il eft vray que les conciles provinciaux n'ont plus été fi frequens que dans les fix premiers fiecles: principalement en Occident, où la conftitution de l'état temporel n'y étoit pas favorable, tant par les incurfions des barbares, que par les guerres civiles ou particulieres entre les feigneurs. Mais on fe fouvenoit toûjours qu'on les devoit tenir, & on rapelloit fouvent l'ordonnance du concile de Nicée de les tenir deux fois l'an. Les papes en montroient l'exemple & en tenoient ordinairement un en Carême, & l'autre au mois de Novembre, comme nous voyons fons Leon IX. Alexandre II. & Gregoire VII. & ce dernier, tout jaloux qu'il étoit de fon autorité, ne faifoit rien fans concile.

J'ai marqué les inconveniens des conciles nationaux, foit d'Espagne fous les rois Goths, foit de France fous la feconde race de nos rois: mais c'étoit toûjours des conciles. Les évêques s'y trouvoient ensemble, ils s'entretenoient de leurs devoirs, ils s'inftruifoient : on y examinoit les affaires ecclefiaftiques, on y jugeoit les évêques mêmes. L'écriture & les canons étoient les regles de ces jugemens, & on les lifoit avant que d'opiner fur chaque article. Vous en avez vû une infinité d'éxemples.

XX.

Conciles.

XXI. Ecoles &

Qoique les favants fuffent rares & les études imparfaites, elles avoient cet avantage que l'objet en étoit bon: on étudioit les dogmes de la re- fucceffions de

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