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de l'Epée s'étant enfin décidé à commettre le sort de son pupille aux hasards d'un procès, et la réclamation de l'état de l'enfant ayant été entamée au Châtelet par une procédure civile, le substitut du procureur général y intervint incidemment; il rendit plainte de ce que le fait paroissoit offrir de criminel. A sa réquisition, le jeune homme désigné dans la notice ci-dessus, comme ayant été le guide du petit Solar, de Toulouse à Barège', nommé Cazeaux, a été décrété de prise de corps, conduit à Paris dans les prisons, et son procès lui a été fait avec la plus grande rigueur, avec trop de rigueur peut-être.

Pour se défendre, il avoit dit que le muet languedocien, dont on lui avoit confié la conduite, étoit, au retour de Barège, mort à Charlas, patrie de Cazeaux tandis que lui-même étoit malade. Tous deux avoient eu la petite vérole dans le même lieu et le même temps, à la fin de février 1774. L'enfant de condition étoit mort, tandis que son conducteur guérissoit. Le premier avoit été inhumé dans la sépulture de ses hôtes.

On produisoit son extrait mortuaire. Cette réponse auroit pu être, en effet, sans réplique l'accusation s'évanouissoit avec le délit.

Par malheur non-seulement ce titre justificateur n'étoit pas dans les formes prescrites par la loi ; mais il étoit évidemment altéré. Les ordonnances veulent chez nous que les monumens, dépositaires de l'existence des citoyens, ces archives où la vie et la mort des hommes sont consignés, soient doubles et parfaitement sembla

bles: l'un passe au greffe de la juridictiou la plus voisine, l'autre reste entre les mains du curé. Or, on lisoit:

Sur l'un des extraits délivrés

par le greffier:

Extrait des registres de l'église paroissiale de Charlas, diocèse de Cominges, sénéchaussée de Bigorre. (Année 1774.)

Le même jour est décédé, et a été inhumé le lendemain, dans la sépulture de M. Cazeaux, le comte de Solar, présens le sieur Guillaume Cazeaux et Dominique Terrade, le 29 dudit. En foi de ce, DURBAN, curé. Signé audit registre.

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Ainsi, 1°. les témoins n'avoient pas signé, quoique la loi l'ordonne formellement. Le pasteur n'énonçoit pas mème si c'étoit par négligence de son côté, ou par incapacité du leur.

2o. Ni les noms de baptême et de famille du mort, ni son âge, ni son état, n'étoient spécifiés, quoique la loi désire encore cette exactitude.

3o. D'un acte à l'autre, les noms de baptême des té– moins sont transposés; celui qui est Dominique dans l'un, devient Guillaume dans l'autre ; et au contraire, le Guillaume du premier, est le Dominique du second, ce qui indiqueroit au moins dans une des rédactions, une bien excessive légèreté.

4°. L'interprétation posthume, s'il est permis de le

dire, dont le curé a chargé le registre resté dans ses mains, donne lieu à d'autres doutes. Elle prouve que dans le temps même de l'inhumation, il a été, ou bien négligent, ou bien peu instruit ; et l'addition semble avoir pour objet beaucoup moins de communiquer à l'acte plus d'authenticité que de réparer la faute du rédacteur, en 'constatant sa défiance.

Mais ce qui manquoit à la pièce, l'accusé offroit de le suppléer par une déposition d'une foule de témoins, qui attesteroient son départ de Toulouse, son arrivée, et son séjour à Barège avec le vrai Solar, son retour depuis Barège jusqu'à Charlas avec ce jeune homme, la maladie de celui-ci, et enfin sa mort, bien publique, bien connue, sur lesquels en effet il resteroit peu de doutes, ma?gré l'illégalité de l'acte mortuaire, si tant de voix non suspectes s'élevoient pour le constater.

A cette preuve affirmative, il demandoit qu'on en joignît une négative. Celui qui répète le nom de Solar, disoit-il, n'est qu'un imposteur, et son patron est égaré par une bienfaisance trop ardente; qu'on le mène à TouHouse, à Alby, dans les lieux où vivent les témoins des dernières années de la famille de Solar, et l'on verra qu'ils ne le reconnoîtront point.

(LINGUET. Annales politiques, civiles

et littéraires.)

Et c'est ce moyen que fit très-bien valoir M. Tronçon du Coudray, son défenseur, dans le plaidoyer dont nous allons parler, et qui fit rendre à M. Caseaux sa liberté en faisant reconnoître son innocence.

CHAPITRE XIX.

EXORDE D'UN PLAIDOYER EN FAVEUR DE CAZEAUX.

PARMI les causes, souvent importantes, sur lesquelles vous avez à prononcer, il s'en élève de temps en temps d'un ordre supérieur, où la providence, réunissant de grands objets et de grands événemens, semble ajouter à la noblesse de vos fonctions, en vous donnant lieu de développer, pour ainsi dire, tous les efforts de la sagesse humaine ; et la dignité de votre ministère ne paroît jamais mieux que quand, assis dans ce sanctuaire au milieu des citoyens qu'y amènent alors de toutes parts l'importance et la contrariété des intérêts, vous allez y rendre, dans le silence des passions, l'oracle que vous dictent les lois.

C'est à cette classe particulière et privilégiée qu'appartient la cause qui se présente aujourd'hui devant vous.

Rien de plus imposant et de plus digne de la majesté de cette audience que le spectacle des personnages, des objets et des événemens qu'elle rassemble.

On y voit, d'une part, un de ces iudividus malheureux, que la nature semble avoir séparés du reste des

hommes, en les privant des sens par lesquels ils se communiquent entre eux. Errant d'abord dans les bois réduit à la condition des animaux dont il partageoit la retraite, recueilli ensuite par l'humanité, adopté par la bienfaisance, et rétabli par le secours d'un art ingénieux, dans les fonctions d'où la nature l'avoit exclu; on le voit, dis-je, en commencer l'usage, par récla– mer l'état d'un citoyen distingué, en inculper un du crime de le lui avoir ravi, et lui donner sa propre mère pour complice. Favorisé par quelques ressemblance avec l'enfant auquel il veut s'identifier, il paroît un moment rendre probables les faits extraordinaires et atroces qu'il dénonce à la justice.

A ses côtés paroît, comme un génie tutélaire qui lui a été donné dans son infortune, un de ces hommes rares dont le ciel fait quelquefois présent à la terre, qui, précieux à l'humanité par leurs talens, lui sont encore plus recommandables par le désintéressement noble avec lequel ils les consacrent, et qui, dédaignant les places et les récompenses, nous apprennent de quel prix sont aux yeux du sage l'estime et le plaisir attachés à la vertu. Transporté par l'enthousiasme de la bienfaisance, le célèbre instituteur des sourds et muets, après avoir rendu son pupille à la société en lui créant de nouveaux sens essaie de couronner son bienfait en l'y pla çant dans la première classe. Il le présente à la justice comme le fils du comte de Solar, et, dans le trouble qu'il excite autour d'elle, cet homme vénérable, conciliant à son opinion autant de partisans qu'il a d'ad

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