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mirateurs, paroît ainsi réunir et entraîner tous les suf frages.

Voilà, Messieurs, le premier aspect de cette affaire et c'est celui peut-être pour lequel penchent naturellement et secrètement tous les coeurs.

Mais il en est un autre bien plus intéressant pour des magistrats éclairés et intègres, que l'attrait du merveilleux ne séduit pas, qui ne voient et n'écoutent que la raison et les lois; et c'est cette partie de la cause qui devient aujourd'hui, Messieurs, l'objet de votre audience.

On

y voit un innocent décrété tout à coup sans corps de délit, sur des présomptions vagues et des préjugés puérils, arraché des bras d'un père octogénaire dont il est l'unique soutien, jeté dans les fers, traîné ignominieusement pendant deux cents lieues comme un vil criminel, précipité à son arrivée dans les cachots, fatigué pendant huit mois par une instruction vexatoire, et pour comble de douleur, demandant, sollicitant inutilement le moyen prompt et infaillible de se justifier, une procédure, simple, décisive, qui doit du même trait de lumière dissiper les ténèbres des informations, montrer au grand jour la vérité, et faire évanouir jusqu'au fantôme du corps de délit.

Pour cet infortuné, et entre mille témoins de son innocence, un enfant vient d'élever sa voix; un enfant, aussi intéressant par son sexe que par son âge, par la candeur de ses dépositions, que par la qualité qui l'autorise dans cette cause à en aider le malheureux, la

sœur même du citoyen dont un inconnu a envahi le nom. Déjà, Messieurs, les tribunaux l'ont vue réclamer contre cette usurpation, et bientôt vous la verrez poursuivre à vos pieds l'usurpateur.

Ce tableau de la cause suffit, Messieurs, pour vous en donner l'idée et vous en faire connoître l'importance. Serai-je moi-même assez heureux pour en soutenir le poids? Infortuné, qui avez confié votre défense à ma jeunesse, puisse ma bouche en s'ouvrant pour la première fois dans ce temple auguste, y inspirer pour vous une partie de cet intérêt que méritent vos malheurs ! Réhabilité déjà dans l'opinion publique par un mémoire dont la raison éloquente a ramené les meilleurs esprits et ébranlé les plus opiniâtres (1), dirigé par des conseils distingués dont le zèle actif et généreux a tant de droits à votre reconnoissance, vous allez triompher sans doute; et peut-être qu'oubliant moi-même mon inexpérience et ma foiblesse, une confiance légitime prêtera à ma voix cette force et cet empire qu'ont sur tous les cœurs l'innocence et la vérité.

Pour vous, homme célèbre, dont l'autorité a eu tant d'influence dans cette affaire et l'imprudence des suites si funestes, souffrez ici de moi cette interpellation. Vous êtes si cher à l'humanité! comment se fait-il que Vous soyez si fatal à l'innocence? Pourquoi voué depuis longtemps à un état de bienfaisance et couvert de la gloire solide qu'il vous a méritée, la pureté de vos intentions

(1) Ce mémoire étoit l'ouvrage de M. Élie de Beaumont.

n'a-t-elle pu vous préserver d'une faute qui a coûté tant de larmes à un citoyen vertueux ? Vous connoîtrez bientôt votre erreur; vous verrez combien la balance où les lois pèsent l'état et la vie des citoyens, est différente de celle que l'enthousiasme vous prête; et si les premiers soupirs du malheureux semblent ici vous accuser, vous-même gémirez avec lui d'avoir, en réclamant pour votre pupille un état imaginaire, attiré sur un innocent un opprobre et des maux trop réels.

QUESTION.

Quel est cet inconnu singulier qui sort tout à coup de sa retraite, et qui, sans état, sans qualité et sans titres, commence, en paroissant dans la société, par s'y placer dans le premier rang? Voilà, ce semble, Messieurs, la question qu'il falloit décider avant que d'examiner celle qu'on nous force à vous présenter aujourd'hui. Comment oser chercher le ravisseur du comte de Solar, avant de savoir si l'enfant, qui en a pris le titre, l'est réellement; s'il n'est ni trompeur ni trompé ; si, égaré par un guide infidèle, il a été à Toulouse et non du côté de Péronne; si même il l'a été, et si, au défaut de témoins de cette suppression, son témoignage dans sa propre cause en est une preuve suffisante? Enfin, le titre de l'accusatiou ne pouvant être que la suppression du comte de Solar, il falloit sans doute, avant de voir dans l'enfant de Péronne le comte de Solar supprimé, constater s'il étoit véritablement le comte de Solar. Toute procédure criminelle étoit jusque-là prématurée et vexa

De cette distinction, Messieurs, va naître un double ordre d'effets, dont l'exposé sera la matière de cette audience.

Je prendrai d'abord le comte de Solar à sa naissance et le conduirai jusqu'à Charlas, où je vous le montrerai dans le tombeau. Je m'occuperai ensuite des faits incertains que le sieur Cazeaux a pu recueillir sur l'enfant de Péronne, et le rapprochant du comte de Solar, je détaillerai les faits les plus intéressans par lesquels on a voulu identifier les deux individus... (M. Tronçon plaida cette cause pendant deux audiences, et voici comme il termina son éloquent plaidoyer.)

«En est-ce assez, Messieurs, et que faut-il de plus? Quel est donc cet enfant téméraire qui vient mettre en péril les jours et l'honneur d'un citoyen? Rejeté par la loi, démenti par les faits, désavoué par les témoins les plus respectables, comment ose-t-il persister, comment ose-t-on s'obstiner pour lui dans une erreur si absurde et si dangereuse? Il est méconnu de tous ceux qui doivent le connoître; il méconnoît tous ceux qu'il doit luimême connoître, il méconnoît son prétendu ravisseur il méconnoît ses maîtres; il méconnoit ses amis, il méconnoît sa sœur, il méconnoît sa mère....... Que veut-on encore, et qu'exige le fanatisme de plus démonstratif? Şage célèbre de nos jours! homme vertueux si respecté et si digne de l'être, mais dont le zèle imprudent a embrassé si légèrement une opinion funeste à l'innocence! tremblez. Vous êtes peut-être, sans le savoir, l'agent du mensonge ouvrez les yeux, vous allez peut-être recon

noître avec horreur dans vos bras, l'enfant de l'imposture. Si cet individu, (malheureux sans doute, quel qu'il puisse être) n'est que foible ou trompé, soyez, restez son père, et qu'il remercie le ciel de l'adoption; mais rendez hommage à la vérité que vous allez connoître, et ôtez à une cause odieuse le seul argument qui lui reste, votre gloire et votre vertu.

>>>Et vous, infortuné! qu'une erreur sanguinaire a poursuivi jusqu'aux pieds de la justice et frappé jusqu'entre ses bras; vous, qui demandiez sans cesse à votre jeune et foible défenseur, s'il y avoit encore des lois protectrices du malheureux, où étoient les vengeurs de l'innocence persécutée rassurez-vous vous les avez trouvés; vous voilà devant eux. Vous leur rendez compte du citoyen qu'ils vous redemandent; vous le leur représentez dans les fastes de la loi; vous le leur montrez dans le tombeau; ils vous voient à ses côtés, tandis que l'enfant qu'on y veut identifier, est à deux cents lieues de vous; vous leur prouvez que le crime, dont on vous accuse impossible en lui-même, est évidemment démenti dans le fait par les titres et les témoins les plus précieux. Les lois, les actes, les hommes, la raisou, vous défendent de concert.... vous avez vaincu.

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>> Ouvrez-lui, Messieurs, ouvrez-lui les prisons; qu'il sorte, il est innocent, il l'est; tout vous le crie. Pères du peuple! protecteurs nés des citoyens! montrez aux citoyens qui vous contemplent ici dans la majesté de votre pouvoir, que vous en êtes revêtus pour les défendre dans tous les temps, des attaques de l'injustice, sous quelque

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