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écoulée; je puis signaler une nouvelle amélioration, mais qui ne suffit pas encore pour nous ramener à l'état normal.

Deux faits également déplorables ressortaient du dénombrement de 1856 le premier était un ralentissement marqué dans le progrès de la population générale; le second un déplacement énorme de département à département; tous deux s'atténuent, mais sans disparaître.

Avant 1847, la population s'accroissait, d'après les dénombrements, de 200,000 âmes en moyenne par an. De 1847 à 1851, l'accroissement annuel n'a plus été que de 75,000, et de 1851 à 1856, de 50,000; c'était une chute des trois quarts. De 1856 à 1861, il est remonté à 135,000, et de 1861 à 1866, il s'est maintenu au même chiffre, déduction faite des départements annexés. Nous avons donc regagné 75,000 existences nouvelles par an depuis dix ans, mais nous sommes encore de 65,000 audessous des temps antérieurs à 1847. Tels sont du moins les résultats accusés par les dénombrements, car le tableau des naissances et des décès n'est pas tout à fait d'accord avec ces chiffres. Il y a là une inconnue qu'il est difficile de dégager, et qui doit tenir d'une part à d'anciennes erreurs, et de l'autre à des mouvements d'immigration et d'émigration.

Le phénomène du déplacement est aussi en déclin. En 1836, 54 départements avaient perdu ensemble 447,000 habitants en cinq ans, et le département de la Seine s'est accru à lui seul de 305,000; en 1861, la nouvelle diminution portait sur 29 départements, qui avaient perdu ensemble 100,000 habitants (1), et le département de la Seine en avait gagné 226,000; en 1866, 30 des anciens départements ont perdu ensemble 103,000 habitants, et le département de la Seine en a gagné 193,600.

En présence de pareils faits, l'optimisme et le pessimisme seraient également déplacés ; n'essayons pas de nous cacher l'étendue du mal, mais puisqu'il s'atténue, ne désespérons pas de le guérir.

Si la progression d'avant 1847 s'était soutenue depuis vingt ans, la France aurait gagné, dans les anciens départements, 4 millions d'habitants, tandis qu'elle n'en a gagné que 2 millions; voilà la mesure du ralentissement.

Dans le même laps de temps, la moitié environ du territoire composée des arrondissements ruraux, qui était déjà la moins riche et la moins peuplée, a perdu ensemble un million d'habitants, et l'autre moitié, où se trouvent les villes principales, en a gagné 3 millions; voilà la mesure du déplacement.

Le nouveau recensement nous fait connaître que les 45 villes audessus de 30,600 âmes, Paris compris, se sont accrues ensemble de 312,000 habitants en cinq ans ; dans la période précédente, elles avaient monté de 363,000. Ces résultats sont déjà frappants, mais ils ne nous

(1) Le relevé général donne 168,000, mais il faut en retrancher 68,000 pour représenter l'arrondissement de Grasse, détaché du Var et réuni au nouveau département des Alpes-Maritimes.

donnent qu'une notion très-imparfaite du mouvement des populations urbaines. Les villes au-dessous de 30,000 âmes sont de beaucoup les plus nombreuses. En considérant comme ville toute commune ayant plus de 2,000 habitants, la France en renferme 2,800, dont la population totale s'élève à 10 millions environ. C'est l'accroissement de ces 2,800 communes ou tout au moins des trois cents villes principales, qu'il aurait fallu connaître. Nous pourrons faire exactement le compte quand tous les détails du recensement seront publiés. Pour le moment, l'exemple des villes de 30,000 âmes et au-dessus, nous autorise à penser que le même a dû se reproduire dans les villes d'un ordre inférieur, et que, par conséquent, l'émigration rurale n'a pas cessé.

L'opinion publique, comme il arrive en France assez souvent, a passé sur cette question d'un extrême à l'autre. Elle s'est montrée longtemps beaucoup trop indifférente; aujourd'hui elle paraît disposée à s'exagérer le danger. On se sert généralement du mot de dépopulation, qui n'est pas exact, ou qui, du moins, ne l'est que pour une moitié du territoire. Les faits sont bien assez graves sans les grossir encore.

On tombe dans une autre exagération quand il s'agit de déterminer les causes. Le mal vient, dit-on, de la diminution des naissances, et à ce sujet, on fait le procès à toute la société française. La diminution des naissances est en effet une des causes, mais ce n'est pas la principale, et elle a aujourd'hui presque cessé d'agir. Avant 1847, les naissances s'élevaient en moyenne à 980,000 par an, et elles étaient depuis trente ans à peu près stationnaires. De 1847 à 1851, elles sont tombées à 960,000, et de 1851 à 1856, à 940,000, progression descendante qui nous avait justement alarmés. En 1855, elles sont descendues jusqu'à 899,000, ce qui ne s'était jamais vu depuis 1815. Mais à partir de 1856, elles ont remonté, et dans les années 1861, 1862, 1863 et 1864, les dernières qui nous soient connues, elles sont revenues au même point qu'avant 1847; elles l'ont mème dépassé en apparence, car elles ont atteint un million; mais les départements annexés y figurent pour 20,000 environ. Elles ne perdent plus que ce qu'elles auraient dù gagner depuis vingt ans, ce qui eût été peu sensible.

La cause la plus active n'est pas là, elle est dans l'accroissement des décès. Avant 1847, les décès s'élevaient en moyenne à 800,000 par an, et comme les naissances, ils étaient depuis trente ans à peu près stationnaires, malgré le progrès de la population, ce qui entraînait une réduction proportionnelle. De 1847 à 1851, ils se sont élevés brusquement à 850,000, et de 1851 à 1859, à 890,000; à partir de 1860, ils ont baissé, et ils doivent être aujourd'hui de 830,000 environ, déduction faite des nouveaux départements.

Voici quels ont été, à dix ans de distance, les deux points extrêmes :

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On voit quelle énorme différence présentent ces deux années, et elle porte principalement sur les décès. La cause première de cette grande mortalité n'est pas difficile à trouver, c'est la guerre d'Orient. La même guerre a porté encore, l'année suivante, le nombre des décès à 937,000. Après une réduction en 1856, 1857 et 1858, années de paix, la campagne d'Italie les a ramenés, en 1859, à 979,000. Indépendamment de la guerre proprement dite, la vie de caserne tue beaucoup de jeunes soldats, même en temps de paix; et ce qui ajoute à la gravité de ces pertes, c'est qu'elles frappent des hommes adultes, la force et la fleur de la nation, ce qui entraîne la réduction des naissances.

L'agglomération de la population ouvrière dans les villes suffit pour expliquer le surplus. Non-seulement les travaux ordinaires des villes ont désorganisé l'atelier rural au profit de travaux moins utiles et quelquefois destructifs, mais ils ont exercé une influence funeste sur le progrès de la population. Ils séparent les hommes qui vont à la ville des femmes qui vont aux champs, et par conséquent mettent obstacle aux mariages et aux naissances, et ils ont, en outre, accru la mortalité en provoquant toute sorte de désordres, car tous les documents statistiques nous apprennent que la mortalité est plus grande et la vie moyenne plus courte dans les villes que dans les campagnes.

Avec 100,000 naissances de moins et 100,000 décès de plus par an, le progrès de la population est tout à fait arrêté. Avec 50,000 naissances de moins et 50,000 décès de plus, il est réduit de moitié. 100,000 hommes de plus ou de moins sous les drapeaux suffisent pour que l'effet soit sensible. De tout temps, le mouvement de la population a suivi assez exactement la proportion de l'effectif militaire. Dans les premières années de la Restauration, tant que le contingent n'a été que de 40,000 hommes, la population a fait de rapides progrès; quand il a été porté à 60,000, ces progrès se sont ralentis; à 80,000 ils se sont ralentis plus encore; à 100,000, le ralentissement est devenu désastreux, et en 1854 et 1855, quand le contingent a été porté à 140,000 hommes, la population a reculé.

C'est ce que démontre le tableau suivant de l'excédant des naissances sur les décès dans chacune des périodes quinquennales écoulées depuis 1816:

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On ne connaît pas encore complétement le tableau des naissances et

des décès, de 1862 à 1866, mais les années connues permettent de constater une amélioration qui tient sans aucun doute à la réduction de l'effectif, après nos deux grandes guerres de Crimée et d'Italie.

Nous saurons plus tard quels auront été les effets de la guerre du Mexique en 1865 et 1866.

On peut donc affirmer que le ralentissement survenu depuis vingt ans dans le progrès de la population dérive de causes essentiellement passagères qu'on peut faire disparaître. Le déplacement serait arrêté du même coup dans ce qu'il a d'excessif; car il tient aux mêmes causes. Avant 1847, tous les départements s'accroissaient à la fois, à l'exception de trois (Calvados, Cantal et Manche), et le département de la Seine ne gagnait en vingt ans que 342,000 habitants, ou moins de moitié de ce qu'il a gagné depuis, dans le même temps.

On dira peut-être que, même en admettant le retour à l'ancienne progression, la France resterait encore au-dessous de ses voisins pour le mouvement de sa population; ce ne serait pas tout à fait exact. Ce qui a surtout retardé nos progrès, ce sont les intermittences que nous avons subies. Si la population française s'était constamment accrue depuis 1789 comme dans la période comprise entre 1816 et 1847, elle aurait monté de 14 à 15 millions, c'est-à-dire dans la même proportion que le reste de l'Europe, à l'exception de l'Angleterre et de la Prusse. La moitié de l'Europe marchait plus vite que nous, mais l'autre moitié marchait moins vite, ce qui rétablissait l'équilibre. Quant à l'Angleterre et à la Prusse, la rapidité de leurs progrès a tenu surtout à leur organisation militaire; toutes deux ont eu, jusqu'à ces derniers temps, très-peu d'armée active.

Le caractère principal de ces trente années, en France, c'est que la population s'accroissait surtout par un prolongement de la durée moyenne. de la vie. Les statisticiens ne sont pas tout à fait d'accord sur la manière de calculer la vie moyenne; mais sans entrer dans les détails de cette question obscure et compliquée, on peut prendre pour base approximative le rapport du nombre des décès à la population. D'après cette base, la durée moyenne de la vie s'était prolongée en France, de 1816 à 1857, de six ans environ; elle n'avait presque rien gagné avant 1816, et depuis 1847 elle a perdu. C'est cette progression salutaire qu'il importe de rétablir.

Tous les problèmes de notre développement social ne seraient pas. sans doute résolus, si les causes accidentelles qui ont retardé les naissances et multiplié les décès depuis vingt ans avaient disparu; l'économiste et le moraliste auraient encore beaucoup à faire, mais les symptômes les plus tristes seraient conjurés, et s'il n'est pas possible de revenir sur le passé, nous pourrions envisager l'avenir avec moins d'inquiétude. La marche de la population française, considérée dans son ensemble depuis 1816, présente des caractères particuliers qui ne sont pas. tous regrettables. Si nous étions aux derniers rangs, parmi les nations européennes, pour le nombre des naissances, nous étions aux premiers pour le petit nombre des décès, ce qui vaut encore mieux, car la force 3 SERIE. T. VII. 45 juillet 4867.

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d'une nation se mesure moins par ceux qui naissent que par ceux qui survivent. Le déplacement lui-même n'est pas toujours un fait fâcheux, et on peut signaler des points où une diminution de population coïncide avec un surcroît de bien-être et une meilleure organisation du travail. Seulement il ne faut voir là que des exceptions, et on aurait bien tort de les ériger en règle générale.

L. DE LAVERGNE, de l'Institut.

SOCIÉTÉ D'ÉCONOMIE POLITIQUE

Réunion du 5 juillet 1867.

OUVRAGES PRÉSENTÉS : État économique et social de la France depuis Henri IV jusqu'à Louis XIV, par M. Moreau de Jonnès.

COMMUNICATIONS: Projet d'une association internationale pour l'uniformité des institutions économiques.

DISCUSSION: Du rapport du taux de l'intérêt avec la prospérité publique.

M. L. Wolowski, membre de l'Institut (assisté de M. Pellat, doyen de la Faculté de droit et membre de l'Institut), a présidé cette réunion, à laquelle avait été invités: M. le comte d'Avila, ministre plénipotentiaire de Portugal en Espagne, commissaire général à l'Exposition universelle; M. le professeur de Hermann, conseiller d'État en Bavière; M. le baron de Hock, conseiller d'État et membre de la Chambre des seigneurs en Autriche et M. Ritter de Niebauer; M. Jules Faucher, ex-député aux États de Prusse, rédacteur en chef de la Revue trimestrielle d'économie politique allemande; M. Samuel Ruggles et M. John Kennedy, commissaires des États-Unis pour l'Exposition universelle; M. de Haguemeister, secrétaire d'Etat, membre du Sénat en Russie, et M. d'Abaza, conseiller privé, membre de la cour impériale de Russie; M. Sokalsky, professeur d'économie politique à l'Université de Charkow (Russie); M. Sommerset-Beaumont, ex-député de Newcastle au Parlement; M. Pierre Guzel, banquier à Constantinople; M. Martin Pachoud, ministre protestant à Paris; et à laquelle assistaient, en qualité de membres associés à l'étranger: M. le comte Ciczkowski, député de Posen aux États prussiens; M. André Zamoyski, ex-président de la Société agricole de Pologne.

M. le secrétaire perpétuel a présenté l'ouvrage suivant:

État économique et social de la France depuis Honvi 'V jusqu'à Louis XIV, 1380 à 1715; par M. A. Moreau de Jonnès, membre de l'In

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