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du capital, et le salaire de l'ouvrier. L'élévation du taux de l'intérêt est, dans cette condition, un signe de la prospérité publique.

Ainsi, dit en terminant M. Wolowski, réduire la prime du risque couru, et diminuer ainsi le loyer de l'argent est toujours un bien; mais aussi l'impulsion active donnée au travail, le progrès du mécanisme industriel, et par conséquent un meilleur emploi du capital augmenteront le taux de l'intérêt, sans détriment pour personne, tout au contraire au grand avantage de ceux qui travaillent et dont le concours sera mieux payé, parce qu'il sera plus recherché. La part relative de l'ouvrier dans le produit total peut même s'accroître en même temps que grandit la part absolue qu'il obtient; il profitera doublement du progrès réalisé.

Rien de plus libre que l'action du capital, rien de plus délicat que cette substance qu'on traite souvent d'inerte elle appartient à celui qui a su la produire, la conserver, l'augmenter, et qui en dispose suivant les lois prévoyantes du calcul. Aussi ne doit-on pas porter un œil jaloux ni faire peser des conditions tracassières sur la manifestation la plus directe de l'activité et de la liberté de l'homme. Que la sécurité règne dans les esprits, que le crédit se consolide grâce à de bonnes lois et à la fixité des instruments monétaires, que les entreprises utiles se multiplient dans la mesure des ressources affectées par le capital disponible, et l'on n'aura aucun besoin de s'occuper du taux de l'intérêt; la modération du loyer de l'argent sera donnée par surcroît à ceux qui auront fait comprendre les bienfaits de l'ordre, car l'ordre abaisse l'intérêt en répandant la sécurité, et à ceux qui auront simplifié les procédures, assuré l'exacte administration de la justice, et répandu sur le pays les bienfaits de cette impulsion énergique, que donne à toutes les manifestations de l'industrie humaine l'esprit de liberté.

En un mot le taux de l'intérêt, n'a et ne peut avoir aucune signification absolue; moins on s'occupera de le régler ou de peser sur lui, et mieux il exprimera les conséquences diverses des conditions multiples qui en déterminent les oscillations.

BIBLIOGRAPHIE

P.-J.-B. BUCHEZ. Traité de politique et de science sociale, publié par les exécuteurs testamentaires de l'auteur, L. Cerise et A. Ott, précédé d'une Notice sur la vie et les travaux de Buchez, par A. Ott. 1866. 2 vol. in-8. Amyot.

Il est remarquable que dans un pays comme le nôtre, où tout le taonde s'occupe de politique et où la science sociale a trouvé ses interprètes les plus éminents. on ait manqué jusqu'ici d'un ouvrage à la hauteur

des idées modernes qui embrassât l'ensemble complet de cette science. Beaucoup de questions spéciales ont été traitées avec talent, on a élucidé divers points de théorie et de pratique, on a publié même des études pleines d'intérêt s'étendant à toutes les parties de la politique; mais un livre résumant systématiquement le résultat de tous les travaux et de toute l'expérience moderne sur la société et ses institutions faisait complétement défaut, du moins dans notre pays.

Buchez a voulu combler cette lacune, et tout en présentant le système de la science sociale, résumer aussi ses propres idées sur les questions qu'elle embrasse, idées qu'il n'avait exposées pour la plupart que dans des recueils périodiques. Il avait consacré à cette œuvre les dernières années de sa vie, et était sur le point de la terminer lorsqu'il fut surpris par la mort. Mais il laissa un manuscrit complétement achevé, auquel il ne manquait qu'un dernier chapitre, une conclusion générale, qu'il comptait écrire pendant l'impression du reste de l'ouvrage. C'est ce manuscrit que j'ai publié, de concert avec mon ami le Dr Cerise, sous le titre de Traité de politique et de science sociale, que Buchez lui-même lui avait donné.

Il ne m'appartient pas de faire l'éloge ni la critique d'un livre dans la publication duquel je suis autant intéressé. Mon seul but ici est d'en faire connaître le contenu. Mais il me sera permis de dire que tout en reproduisant quelques idées déjà émises antérieurement, cet ouvrage présente néanmoins une grande originalité, qu'il est le résultat d'un long travail intellectuel, le fruit mûri d'une expérience consommée, et qu'on y reconnaît les vues d'un esprit toujours large et fécond, d'une pensée toujours honnête, noble et élevée.

D'après la conception de Buchez, un traité de politique devrait se composer de trois parties: une première partie, purement théorique, établirait les principes généraux de la science; une troisième partie, purement pratique, indiquerait les buts que doit poursuivre la politique intérieure et extérieure de la société où l'on vit; enfin, une partie intermédiaire entre ces deux, qu'il appelle théorie pratique, devrait former la transition entre la théorie générale et la politique actuelle. Buchez, ne trouvant pas les circonstances convenables pour exposer complétement ses vues sur la politique applicable dans le moment présent, n'a compris dans son traité que la théorie générale et la théorie pratique; mais il a suffisamment élargi la première, pour y indiquer les plus importants des progrès et des perfectionnements qu'il croit réalisables dès aujourd'hui.

La première partie roule tout entière sur les constantes sociales. Buchez appelle ainsi les conditions fondamentales de l'état social, conditions qui résultent de la nature même de l'homme et de la société, et qui, par conséquent, se retrouvent comme institutions ou usages dans quel que société que ce soit. La courte (énumération que nous allons en donner fera mieux comprendre sa pensée à cet égard, en même temps qu'il en résultera un aperçu du plan général de cette première partie. Au premier rang se place une constante générale, celle qui préside à

la formation même de la société. Suivant Buchez, une société ne peut se former qu'à la condition de l'existence d'un but commun d'activité. Pour que les hommes se réunissent en société et persévèrent dans l'état social, il faut qu'ils se proposent une action commune qui ne peut être accomplie que par leurs efforts réunis. Comme cette idée est fondamentale dans le système de Buchez, et qu'il y rattache toute la théorie de la nationalité, j'y reviendrai plus loin avec plus de détails. Les autres constantes se divisent en constantes de conservation et constantes de progression. Les premières comprennent toutes les institutions destinées à conserver la société dans le temps et dans l'espace, moralement et matériellement. L'auteur consacre à chacune un chapitre particulier et traite ainsi successivement de l'enseignement, destiné à conserver les croyances morales de la société et ses acquisitions scientifiques; de la famille, qui est la condition de la conservation de l'espèce humaine, et sur laquelle l'auteur présente une foule de considérations physiologiques du plus haut intérêt; de la concordance des intérêts sociaux et des intérêts individuels; de la liberté, dont il fait voir les rapports nécessaires avec le libre arbitre, et dont il donne la théorie d'après les principes de 89; de la conservation et du perfectionnement de la vie. humaine; de la propriété, où l'auteur émet quelques idées économiques dignes d'être remarquées; des devoirs et des droits individuels, des devoirs et des droits sociaux ; de l'égalité; de la force, qui comprend l'administration de la justice et la guerre; de l'administration; enfin, de la religion.

La seconde classe de constantes, celle des constantes de progression, comprend avant tout le gouvernement, c'est-à-dire le pouvoir législatif et exécutif, avec les institutions et actions sociales qui s'y rattachent, telles que l'exercice de la souveraineté, les élections, toutes les libertés publiques. Cette conception du gouvernement, comme instrument de progression, est encore un des points fondamentaux de la doctrine de Buchez, sur lequel j'aurai à revenir.

La fin de l'ouvrage comprend la seconde partie : la théorie pratique. L'auteur commence par décrire les méthodes propres à faire trouver le système de politique qui doit être appliqué dans une période donnée de l'histoire. Il applique ensuite lui-même ces méthodes à la civilisation moderne, et après avoir montré que cette civilisation est née du christianisme, il apprécie l'œuvre de la révolution française qu'il considère toujours comme la réalisation de la morale chrétienne et le point de départ de tous les progrès futurs. C'est le tableau de tous ces progrès futurs que devait retracer la conclusion qu'il n'a pu écrire.

Cette énumération des matières traitées dans ce livre fait voir combien de questions importantes, de graves problèmes y sont soulevés. Comme il me serait impossible dans cet article d'analyser toutes les solutions que l'auteur a proposées, je me contenterai de faire connaître son opinion sur quelques points que j'ai déjà indiqués en partie.

Il est d'abord une idée qui domine le livre tout entier, c'est l'idée du progrès. Comme je l'ai fait voir dans la notice biographique placée en

tête de l'ouvrage, l'idée du progrès a été la grande préoccupation de Buchez; il est le premier qui en ait établi scientifiquement la portée universelle, et tout l'effort de son génie inventeur a pour but de déterminer les lois et les conditions du progrès dans le monde matériel comme dans le monde moral. Or, il est facile de voir que jusqu'ici cette idée n'a pas pénétré dans la science politique, et que, malgré les aspirations progressives des populations, malgré l'emploi fréquent du mot progrès dans la langue politique, la masse des écrivains en est encore à l'hypothèse qui domina la science sociale avant que le mot de progrès eût été prononcé.

Quelle était cette hypothèse, en effet? C'est qu'il existe un état social type, une constitution parfaite, et qu'il suffirait de trouver et de réaliser ce type et cette constitution pour que la société, arrivée désormais à son état normal, parvint au degré suprême de la prospérité, et se perpétuât dans cette heureuse situation sans transformations nouvelles. C'était cette république parfaite que rêvait Platon, c'était de cette société normale qu'Aristote essayait d'établir les conditions et dont Cicéron croyait retracer les lois. C'était le même but que se proposaient, non-seulement les utopistes des deux derniers siècles, mais les hommes sérieux qui préparaient la révolution. Ils pensaient que les mauvaises institutions sociales dont on souffrait n'étaient que les produits de la violence et de l'astuce de quelques hommes, que les lois naturelles de la société avaient été altérées et violées, et qu'il suffisait de revenir à l'état normal, c'est-à-dire à des institutions conformes aux lois naturelles, et d'extirper les abus qui s'étaient multipliés, pour réaliser immédiatement la dernière perfection dans l'organisation sociale. En somme donc, dans cet ordre d'idées, on ne demande de changements ou de transformations que pour faire disparaitre certains abus, certains maux attribués à des causes accidentelles, et une fois cette réforme opérée, on suppose une société immobile qui jouit dans une paix perpétuelle du bonheur qu'elle a acquis.

Au point de vue du progrès, au contraire, les choses se présentent tout autrement. Le mal n'est pas le produit accidentel de la mauvaise volonté des plus forts ou des plus rusés, il résulte de la nature même du développement humain, de la condition imposée aux hommes de s'élever d'un état pire à un état meilleur. Il ne saurait donc exister de véritable situation normale, mais quelque parfaite que soit l'organisation sociale, elle laissera encore à désirer et il y aura de nouveaux progrès à accomplir. Sans doute au point de vue du progrès, on se propose aussi un idéal, car il faut que le progrès ait un but. Mais cet idéal est toujours assez éloigné pour exiger une longue série de transformations intermédiaires, et rien d'ailleurs n'oblige à le considérer comme définitif; à cause de l'universalité de la loi du progrès, il est probable au contraire que lorsque le but que nous voyons le plus éloigné sera atteint, il apparaîtra un but supérieur qui exigera de nouveaux efforts et engendrera de nouveaux développements historiques.

Le point de vue ancien conclut donc à l'immobilité, tandis que celui

du progrès suppose un mouvement constant, une transformation incessante. Entre les deux la différence est immense. L'introduction de l'idée du progrès dans la théorie sociale devait donc y opérer une véritable révolution, et en effet le livre de Buchez prouve combien ce seul changement en entraîne d'autres dans tout l'ensemble des conceptions politiques.

C'est comme première conséquence de l'idée du progrès que Buchez pose comme condition fondamentale de la formation des sociétés l'existence d'un but commun d'activité. De tout temps il a été reconnu que la société n'existerait pas si les hommes qui la composent n'étaient réunis dans un but commun. Mais jusqu'ici on avait toujours considéré ce but comme purement individuel; on avait supposé que la société n'avait pour but que les avantages que les individus peuvent tirer de la vie sociale ou la garantie de leur sûreté ou de leurs droits. Buchez a vu qu'il fallait quelque chose de plus pour fonder et perpétuer les liens sociaux; il a compris que l'homme étant avant tout un être actif, ayant une volonté qui s'étend au delà de ses besoins individuels sitôt que ceux-ci ont reçu la satisfaction indispensable, il fallait aussi qu'il y eût dans la société un principe d'action allant au delà des intérêts de l'individu, un but commun qui commandât une action sociale, et c'est ce principe qu'il a appelé but commun d'activité. Et c'est là aussi ce que montre l'histoire. Le peuple qui n'a eu pour but que le bien-être des individus, n'a jamais existé qu'en théorie. Les peuples qui ont existé réellement se sont tous proposé une mission, une tâche historique, une œuvre à la fois extérieure et intérieure, et ils n'ont vécu et prospéré qu'en l'accomplissant. Déjà Montesquieu l'avait reconnu : «Quoique tous les États, dit-il, aient en général un même objet qui est de se maintenir, chaque État en a pourtant un qui lui est particulier. L'agrandissement était l'objet de Rome; la guerre, celui de Lacédémone; la religion, celui des lois judaïques; le commerce, celui de Marseille... Ce que Montesquieu appelait l'objet d'un peuple, Buchez l'a appelé le but commun d'activité d'une nation, et, en le précisant davantage, il en a fait ressortir le premier l'importance fondamentale.

Le but commun d'activité de la plupart des nations anciennes était la guerre et la conquête; celui des peuples modernes est l'idéal de liberté et d'égalité pour les individus et les nations, qui a été posé par la morale chrétienne. Get idéal est le même pour tous ces peuples, il est vrai; mais par suite des circonstances historiques, chacun l'a conçu à sa façon et en a réalisé de préférence une partie spéciale, les uns cultivant davantage la science et les beaux-arts, les autres le commerce et l'industrie, d'autres enfin dépensant leur activité dans la guerre ou la colonisation. Tous concourent ainsi, en réalisant leur but particulier, à l'accomplissement du grand but commun, de l'idéal vers lequel l'humanité s'avance progressivement.

C'est par l'existence du but commun d'activité, spécial à chaque peuple, que Buchez explique la formation des nationalités. Il est le premier qui, après la révolution de Juillet, a introduit dans la science politique

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