Images de page
PDF
ePub

cette constitution nouvelle de l'agriculture, aucun des accidents qui maintiennent aujourd'hui les entreprises agricoles dans un

ques-unes des plus belles industries agricoles, à commencer par la viticulture, pour laquelle les moines avaient un goût particulier. Grâce à la perpétuité de leurs exploitations, ils pouvaient accumuler de siècle en siècle les résultats de l'expérience, et amener leurs procédés à un haut degré de perfection. C'est ainsi que les moines de l'abbaye de Citeaux ont créé, en aidant la nature par une exploitation savante, dont la tradition se perpétuait en s'enrichissant toujours, le célèbre crû du Clos-Yougeot. Écoutons à ce sujet un écrivain spécial, M. Jacques Valserres :

« Si l'on s'en rapporte aux documents, assez rares d'ailleurs, qui sont parvenus jusqu'à nous, dit M. Jacques Valserres dans une notice sur le Clos-Vougeot, il paraît qu'aussitôt après l'introduction de la vigne en Bourgogne, l'art de faire le vin était dans un état complet de barbarie. On ignorait alors les règles les plus élémentaires de la fermentation; on ne savait rien sur la durée du cuvage, sur l'importance des ouillages et des soutirages; sur la manière de gouverner les vins, de prévenir chez eux les maladies et de les conduire jusqu'à l'extrême vieillesse.

Une fois propriétaires de vignes, les moines de Citeaux apportèrent dans leur exploitation le même ordre, le même esprit de suite qu'ils apportaient déjà aux autres cultures... Les procédés de vinification, tels qu'ils nous furent légués par les moines de Citeaux, sont le fruit de savantes études et de patientes observations. On ignore quelle méthode ils suivirent dans leurs recherches et dans quel ordre se produisirent leurs découvertes. On sait seulement que déjà, en 1164, les produits du Clos avaient acquis une certaine réputation. A cette époque, le pape Alexandre III, qui se trouvait à Sens, reçut de Citeaux quelques futailles. Le contenu fut tellement à son goût, qu'il plaça l'abbaye et ses dépendances sous la protection de saint Pierre, et déclara ses vignes et celliers affranchis de toute sujétion féodale. Deux siècles plus tard, en 1371, Jean de Bussières, abbé de Citeaux, expédia trente pièces du Clos à Grégoire XI. Le saint père éprouva une si grande satisfaction de ce cadeau royal, qu'en 1375 il envoya le chapeau de cardinal à Jean de Bussières. Ces deux faits prouvent que, vers le milieu du xive siècle, les procédés de vinification étaient déjà très-avancés à Clos-Vougeot.

«Lorsque la Révolution éclata, les méthodes avaient presque atteint la perfection.»>

Comme les sociétés de comparsonniers, les communautés religieuses, vouées aux travaux agricoles, n'étaient autre chose que des associations constituées à la fois pour la production et pour la consommation. On ne saurait méconnaître, sans injustice, les services qu'elles ont rendus à la production en procurant, quoique avec excès quelquefois, aux exploitations agricoles la stabilité qui leur manque aujourd'hui ; mais on essaierait en vain de les reconstituer sous la forme qu'elles affectaient au moyen âge. Le progrès, nous l'avons remarqué déjà, procède toujours. 3 SÉRIE. T. VII. 15 juillet 1867.

2

état permanent d'instabilité, ne peut plus les menacer; les titres de la propriété immobilière se divisent à l'infini et passent incessamment de main en main; mais la propriété elle-même demeure indivise et immuable; ou, du moins, sa circonscription et sa destination ne peuvent plus être changées que par des motifs économiques. L'application de l'association à l'agriculture ne manquera donc pas de déterminer un accroissement considérable de la production, sans parler de ses autres conséquences politiques et sociales.

Si nous quittons le domaine de la production matérielle pour les régions plus élevées de la production intellectuelle, nous trouverons qu'un rôle non moins important peut y être dévolu à l'association. Ce rôle elle l'a rempli déjà et elle le remplit encore, quoique dans une mesure restreinte, en matière d'enseignement, par exemple. Les corporations religieuses qui monopolisaient autrefois l'enseignement n'en avaient-elles pas porté les méthodes à un haut point de perfection, et la supériorité qu'a conservée l'instruction classique, en dépit de son caractère suranné, ne tient-elle pas au capital accumulé de bonnes traditions pédagogiques que ces anciennes corporations enseignantes ont légué au corps universitaire et aux institutions religieuses ou laïques qui se sont reconstituées après la tourmente révolutionnaire ? N'est-ce pas l'association qui permet à l'enseignement clérical de soutenir la concurrence des établissements de l'État et des communes, si largement subventionnés cependant aux dépens de la bourse des contribuables ? Et n'est-ce pas au moyen de l'association que l'enseignement privé, écrasé aujourd'hui par la double et inégale concurrence de l'État et du clergé, pourra se relever un jour, en s'organisant à la manière d'une grande industrie? Que l'on suppose des compagnies appliquant à l'enseignement aussi bien qu'à la production du fer et de la houille, le moteur puissant des grands capitaux, que l'on suppose des établissements d'éducation largement pourvus de toutes les ressources matérielles qui leur sont nécessaires et qui leur font aujourd'hui défaut, ne verra-t-on pas l'enseignement privé, après

par voie de division et de séparation des fonctions. Si donc, comme il y a apparence, l'association est appelée à rendre de nouveau et sur une plus grande échelle, à l'agriculture, les services qu'elle lui a rendus sous l'ancien régime, ce sera l'association appliquée uniquement à la production, et débarrassée, par conséquent, du fardeau de la vie commune sous lequel elle a succombé autrefois.

être demeuré stationnaire à l'état de petit atelier, se développer et progresser à l'état de manufacture? Sa faiblesse actuelle ne provientelle pas de ce qu'il lutte avec des ressources individuelles contre des concurrents possédant des ressources collectives, et ne fournit-elle pas un argument de plus en faveur de la supériorité de l'association comparée à l'individualisme? — L'application du puissant véhicule de l'association à la production des œuvres de l'esprit n'apparaît-elle pas de même comme une féconde nécessité dans l'état actuel des connaissances humaines?

A mesure, en effet, que le domaine de la science et des lettres s'agrandit, les efforts individuels suffisent moins pour l'explorer; il faut recourir davantage à la division du travail et à la combinaison des efforts; il faut par conséquent appliquer à la production intellectuelle un capital plus considérable. Or, sauf des exceptions bien rares, les entreprises individuelles n'ont ni les ressources ni la durée nécessaires pour se charger de la production d'œuvres scientifiques et littéraires importantes, dictionnaires, encyclopédies, collections historiques, ou même pour commanditer des œuvres personnelles, exigeant de longues et de laborieuses préparations. Qu'en résulte-t-il? C'est que la production intellectuelle, livrée à des entreprises morcelées et viagères, ne fournit guère que des œuvres hâtives et éphémères, constituant ce que l'on a si bien nommé a la littérature facile »; mais, que l'association soit appliquée à la production des œuvres de l'esprit comme elle l'était à l'époque où florissait l'illustre compagnie des Bénédictins, et les autres ordres savants auxquels nous devons la conservation et la communication de la plus grande partie du capital intellectuel de l'antiquité; que des sociétés puissantes et d'une durée illimitée se substituent à des entreprises individuelles et presque toujours viagères, la production des grandes œuvres et des œuvres de durée ne reprendraitelle pas la place qui lui revient, et le progrès des connaissances humaines n'en sera-t-il pas consolidé et accéléré? Enfin c'est surtout dans les branches de travail comportant de grands risques, et telle est l'exploitation de toutes les inventions nouvelles, qu'une large carrière est ouverte à l'association. La télégraphie terrestre et sous-marine, par exemple, ne demeurerait-elle pas encore aujourd'hui à l'état d'utopie, si des compagnies ne s'étaient chargées, au début, d'en entreprendre l'exploitation? L'établissement du câble transatlantique aurait-il était possible sans l'association? Disons

plus si un seul capitaliste, si élevé que peut être le chiffre de sa fortune, s'était avisé d'entreprendre une œuvre comportant de tels risques, n'aurait-il pas été, à bon droit, taxé de folie?- Il nous serait facile de multiplier ici les exemples et de montrer l'association s'unissant, pour changer la face du monde, aux puissants moteurs de l'industrie moderne, dont elle peut seule universaliser l'application; mais nous sortirions du domaine de la science pour tomber dans celui de la fantaisie, si nous entreprenions d'esquisser le tableau de l'organisation économique de l'avenir. Bornons-nous à dire, en nous appuyant sur l'analyse et sur l'expérience, que l'association est destinée, selon toute apparence, à se substituer, dans l'ensemble des branches de l'activité humaine, soit à l'entreprise individuelle, soit à l'intervention gouvernementale, parce qu'elle est plus économique.

Cependant la concentration des capitaux entre les mains d'associations puissantes, substituées aux simples entrepreneurs, n’agrandira-t-elle pas encore la distance qui sépare déjà le capital du travail? N'amènera-t-elle pas à l'assujettissement de la multitude des travailleurs à une petite classe de capitalistes, monopolisant les bénéfices de la production, comme jadis les patriciens de Rome monopolisaient les richesses du monde qu'ils avaient asservi? Un simple chiffre nous suffira pour faire justice de cette objection. Nous avons constaté que le capital des 3000 sociétés environ qui se sont constituées en Angleterre depuis l'avénement de la liberté des associations industrielles et commerciales n'est pas divisé en moins d'une trentaine de millions d'actions, autrement dit, de parts de propriété. Eh bien, en admettant que ces mêmes entreprises se fussent constituées sous le régime de l'individualisme, en combien de parts leur capital se serait-il divisé? En 30,000, tout au plus. Loin de concentrer, comme on l'en accuse, la propriété industrielle entre les mains d'une nouvelle féodalité, l'association a donc pour résultat de la décentraliser, en la rendant accessible à la multitude. Que si l'on étudiait à ce point de vue l'effet des restrictions qui ont été opposées au développement naturel de l'association depuis l'avénement de la grande industrie, on s'apercevrait peut-être qu'en concentrant artificiellement entre les mains d'une petite classe d'entrepreneurs et de capitalistes les profits industriels et commerciaux, dont le progrès avait décuplé la masse, ces restrictions, ont plus qu'aucune autre cause, contribué à séparer et à rendre hostiles les deux fac

teurs de la production. Si l'association avait, dès le début de la grande industrie, appelé les plus petits capitaux comme les plus grands à participer à l'œuvre et aux profits de la production agrandie; si elle avait répandu, comme elle le fait aujourd'hui en Angleterre par millions et par dizaines de millions les parts de la propriété industrielle, de manière à les faire descendre jusque dans les couches les plus basses de la société, comment l'idée d'une antagonisme entre la classe capitaliste et la classe ouvrière aurait-elle pu surgir? C'est l'absence ou l'insuffisance de l'association, entravée dans son essor par une législation protectrice de l'individualisme, qui a suscité cet antagonisme, c'est l'association devenue libre, et s'étendant peu à peu dans sa sphère naturelle, qui le fera disparaître. G. DE MOLINARI.

[blocks in formation]

LA MONNAIE, LE CAPITAL

ET LES TITRES DE CRÉDIT (1)

I

ERREURS AYANT LEUR SOURCE COMMUNE DANS LA CONFUSION DE LA MONNAIE ET DU

CAPITAL.

En traitant des capitaux, nous avons montré comment les principaux économistes, tout en comprenant et signalant le danger de confondre la monnaie avec le capital, sont néanmoins tombés fréquemment euxmêmes dans une semblable confusion, d'abord, pour avoir expressement assimilé aux capitaux la monnaie employée au transactions nécessitées par la production; ensuite, pour n'avoir voulu considérer dans les capitaux, afin d'en faire un élément simple, que leur valeur échangeable, ce qui, — la valeur ne s'exprimant jamais autrement qu'en mon

(1) Extrait d'un ouvrage sous presse intitulé: Essai sur la science sociale (Économie politique, morale expérimentale, politique théorique), par M. A. Clément.

« PrécédentContinuer »