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JOURNAL

DES

ÉCONOMISTES

DE

L'ASSOCIATION

DANS LA SPHERE DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE (1)

V

APPLICATIONS ACTUELLES ET APPLICATIONS POSSIBLES DE L'ASSOCIATION.

Si l'association avait été débarrassée de toute entrave dès l'avènement de la grande industrie, si les entreprises avaient pu se transformer librement en même temps que se transformait la machinery de la production, il n'est pas douteux que les mêmes motifs qui déterminaient les nouvelles entreprises à adopter la machine à vapeur de préférence aux anciens moteurs, les auraient déterminées aussi à se constituer sous la forme de sociétés à responsabilité mitée, Malheureusement, tandis que l'on accordait à l'industrie la liberté de se servir des machines puissantes que le génie des nveneurs mettait à sa disposition, on lui refusait celle de constituer ses entreprises sous la forme la plus économique. Comme nous l'avons

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(1) Voir dans les numéros de janvier et mai 1867, t. V, p. 2, et t. VI, p. 1, les deux premières parties de ce travail I. Causes du développement de l'association à l'époque actuelle. II. De l'association sous l'ancien régime. III. Réforme de l'ancien régime. IV. Analyse écono

mique de l'association.

3 SERIE. T. VII. — 15 juillet 1867.

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constaté au § 2, cette dernière liberté demeura étroitement limitée en vertu du Code de commerce, dont les dispositions restrictives furent rétrécies encore par l'esprit routinier, et traditionnellement hostile à l'association, de la bureaucratie chargée de les appliquer. On n'autorisa la société à responsabilité limitée que pour les entreprises dépassant la portée de l'industrie particulière et des sociétés ordinaires; » encore était-ce à la condition, singulièrement élastique, « qu'elle ne pût porter un préjudice réel aux industries préexistantes dont l'utilité était constatée, » et finalement à cette autre condition qui donnait non moins que les précédentes prise à l'arbitraire, « qu'elle eût un caractère purement commercial. » Ce n'est pas tout. Dans la sphère bornée au gré du bon plaisir administratif où on la parquait, elle se trouvait assujettie encore à la concurrence du gouvernement, qui avait, affirmait-on, non seulement le droit, mais encore le devoir de se charger des entreprises auxquelles les forces individuelles ne pouvaient suffire. Ainsi doublement comprimée dans son essor naturel, ainsi réduitè aux entreprises « que l'industrie particulière ne pouvait décidément aborder et dont le gouvernement ne voulait point s'occuper, l'association semblait vouée à une destinée des plus modestes, et, en effet, jusque vers 1830, elle ne tint pas une grande place dans la société nouvelle. Cependant le génie de l'invention, aidé des découvertes qui se multipliaient dans les sciences positives, mettait chaque jour au service de l'industrie des moteurs plus puissants et plus économiques, ou bien encore il étendait la sphère de leurs applications on allait, grâce au progrès des machines d'épuisement et des procédés d'extraction, chercher la houille et les métaux à des profondeurs considérées auparavant comme inaccessibles, les bateaux à vapeur se substituaient aux navires à voiles, les chemins de fer aux routes ordinaires; bref, le nombre des entreprises «dépassant la portée de l'industrie particulière, » croissait au delà de toutes prévisions. Le gouvernement n'aurait pu y suffire: il fallut donc bien, en dépit des préjugés incarnés dans le Code et dans les pratiques administratives, recourir à l'association. C'est ainsi qu'à dater surtout de l'application de la vapeur à la locomotion terrestre, l'association commença à déborder du lit étroit où les légistes de l'ancien régime et les bureaucrates du nouveau s'étaient efforcés de l'emprisonner. Les sociétés à responsabilité limitée se multiplièrent avec une rapidité croissante aux États

Unis, en Angleterre, en Belgique (1), en France, en Allemagne, en dépit des crises provenant, soit de l'inexpérience de ceux qui ma niaient pour la première fois cet instrument nouveau, soit des obstacles qu'une législation surannée opposait à son application saine et régulière. On a compris enfin la nécessité d'écarter ces obstacles artificiels et quoique la réforme soit à peine commencée, ses résultats actuels permettent déjà d'apprécier ce que seront ses

(1) Nous empruntons au dernier exposé décennal de la situation du royaume de Belgique, le résumé historique du développement de l'association industrielle dans cette laborieuse contrée :

« La plus ancienne société anonyme qui s'est établie en Belgique a été autorisée par arrêté royal du 29 mars 1819; elle existe encore aujourd'hui: c'est la Compagnie d'assurances maritimes et contre l'incendie, d'Anvers, connue sous la devise Securitas; d'autres sociétés d'assurances sollicitèrent bientôt l'anonymat, et l'année 1822 vit naître la Société géné→ rale pour favoriser l'industrie nationale. Le roi Guillaume favorisa la formation de ces sociétés; il s'intéressa personnellement dans la plupart de celles qui se formèrent sous son règne : quelque temps avant la révolution de 1830, elles commençaient à prendre de l'extension, mais la majeure partie de celles qui se formèrent à cette époque furent emportées par la révolution. En 1833 et en 1834, alors que l'industrie et le commerce commencèrent à se relever des désastres qu'avait amenés la rupture de nos relations avec la Hollande, plusieurs sociétés anonymes nouvelles furent créées, mais ce fut surtout à partir de 1835 et jusqu'au milieu de 1838 qu'il s'en établit un grand nombre, la plupart sous l'influence de la Société générale pour favoriser l'industrie nationale et de la Banque de Belgique, fondée elle-même en 1835. C'est à cette époque que la majeure partie de nos grands établissements de charbonnage et de métallurgie furent constitués en sociétés anonymes. A la fin de 1838, nos derniers démêlés avec la Hollande et la crise financière qui fut marquée par la suspension de payements de la Banque de Belgique, puis, en 1840, l'imminence d'une conflagration entre les grandes puissances de l'Europe, mirent un temps d'arrêt à ce mouvement de création. Il reprit une nouvelle vigueur à partir de 1845. Alors se formèrent nos premières sociétés pour la construction et l'exploitation des lignes de chemins de fer. Les événements de 1848 suspendirent aussi, durant plusieurs années, le développement des sociétés anonymes; mais, depuis 1853, elles se sont accrues considérablement en nombre et en importance. Au 31 décembre 1860, 263 sociétés anonymes, légalement constituées, fonctionnaient en Belgique; le capital nominal de toutes ces sociétés réunies s'élevait à la somme de 1,141,131,683 fr. 14 c. Dans ce total, on comptait 25 compagnies de chemins de fer avec un capital de 403,580,876 fr.; 16 banques et caisses, 277,820,106 fr.; 39 assurances, 128,418,239 fr. 88 c.; 82 charbonnages, hauts-fourneaux, ateliers de

résultats à venir. En Angleterre, où cette réforme a été entamée en 1856 et complétée en 1862, l'accroissement du capital des sociétés à responsabilité limitée s'est traduit par les chiffres sui

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Ce capital énorme de 431,900,000 liv. st. se divisait en 42,085,073 actions, et il se répartissait entre 3,830 sociétés, dont les trois quarts environ ont réussi à se constituer d'une manière définitive, en répandant ainsi, dans le monde des capitalistes, une trentaine de millions d'actions. Ces sociétés ont les destinations les plus diverses; en prenant par exemple le relevé de celles qui se sont constituées dans la période du 1er janvier au 1er juillet 1864 et qui sont au nombre de 171 au capital de 116,203,500 liv., on y voit figurer les entreprises de banque et de finance pour 53 0/0, les transformations d'établissements industriels déjà existants pour 14 0/0, les entreprises de bateaux à vapeur et de navigation pour 12 0/0, les compagnies d'assurances pour 6 0/0, les entreprises de chemins de fer pour 5 0/0, les placements immobiliers pour 5 0/0, les hôtels pour 2 0/0. Les dimensions de ces entreprises sont aussi variées que leurs applications. C'est ainsi qu'à côté de l'International land credit, capital 8,000,000 liv.; de l'International contract, 4,000,000 1. ; de l'Italian credit, 3,000,000 liv.; on trouve les entreprises relativement modestes du Bonelli's telegraph, 250,000 liv.; Brighton brewery, 100,000 liv.; Burmese oil distillery, 100,000 liv.; Bristol indigo, 50,000 liv.; Great wheal metal tin mining, 20,000 liv.; Cleveland iron,

construction de machines, 165,101,840 fr.; 18 mines et carrières, 33,050,000 fr.; 4 sociétés de commerce, 28,000,000 fr.; 9 établissements consacrés à l'industrie lainière, cotonnière,linière et silifère, 20,518,000 f.; 5 verreries, 13,719,841 fr. 26 c.; 9 sucreries, raffineries, distilleries, 11,300,000 fr.; 24 voies de communication par terre et par eau, ponts, 10,713,500 fr.; 3 entreprises de navigation maritime, 7,086,000 fr.; 29 sociétés diverses, 39,823,280 fr. » Statistique générale de la Belgique. Exposé de la situation du royaume (période décennale de 1851-1860.)

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