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que l'on appelle vulgairement un tour de main, donne lieu à une propriété, comment faire pour acquitter les droits réclamés par des milliers de propriétaires sur chacun des outils ou des appareils qui garnissent un atelier, une manufacture, pour tous les procédés, jusqu'au moindre détail, qui y seront mis en œuvre? L'inextricable complication qui en résultera ne contribuera-t-elle pas à entraver les progrès de l'industrie, bien plus que les inventions les plus ingénieuses ne pourraient la faire avancer? Enfin, une telle tyrannie exercée à l'égard des entrepreneurs d'industrie, des artisans et jusqu'à des moindres travailleurs, n'est-elle pas bien faite pour les pousser à la révolte, et, par conséquent, pour provoquer l'abolition de monopoles aussi vexatoires que les brevets d'invention ? » Cette extrême multiplication du monopole des inventions ne serait à craindre, tout au plus, que dans le cas où la propriété de celles-ci pourrait s'étendre indéfiniment, dans l'espace comme dans le temps. Il en est surtout ainsi pour les inventions de peu d'importance, dont les frais de surveillance et de conservation dépassent bien vite ce qu'elles peuvent rapporter à leur auteur, s'il s'avise de vouloir leur donner des limites disproportionnées à l'unité réelle de son œuvre. La multitude des brevets qui tombent dans le domaine public, même longtemps avant l'expiration du terme qui leur est imposé par la loi, serait une preuve suffisante de cette cessation, si ce fait ne pouvait être attribué, du moins en partie, aux vices de la législation. En ce qui concerne les inventions, en assez petit nombre, dont l'utilité persiste longtemps et s'étend au loin, pourquoi leur part de rente, dans la valeur vénale de chaque produit, serait-elle plus difficile à apprécier que le salaire de la moindre portion de travail, de la plus infime fraction d'intérêt du capital ou de la rente du sol, qui arrive cependant à chacun de ses ayants droit, par l'admirable mécanisme de la distribution des revenus, opérant à l'aide des entrepreneurs d'industrie qui se transmettent successivement, en se remboursant leurs avances respectives, les produits dans les divers états d'avancement, jusqu'à ce qu'il arrive achevé entre les mains du consommateur? Plus le mécanisme est compliqué, plus la division du travail parvient à le débrouiller, et elle y réussit jusqu'à payer, à un millième de centime près, les services de tous ceux qui ont concouru à la création d'un produit, quelque insignifiante qu'y ait été leur participation.

On ne doit donc pas craindre que la rémunération due aux services des inventeurs, introduise plus de complications dans l'industrie, qu'elle n'en enchérit les produits.

CH. LE HARDY DE BEAULIEU.

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Les offices en Angleterre, aux États-Unis d'Amérique, en Italie, en Belgique, dans le canton de Neuchâtel, dans celui de Genève.

La vieille Angleterre a de bonne heure connu et pratiqué le self-government; un roi, si puissant qu'on le suppose, n'y eût pas facilement, pour en faire profiter son Trésor, imposé aux populations un système de

(1) Voir le Journal des Économistes, numéros d'avril, de mai, de juillet et de septembre 1867. - Nous avons cité, dans un précédent article, un assez grand nombre d'auteurs, tant anciens que modernes ; mais nous sommes loin de les avoir tous cités; faute d'espace, il nous a fallu nous limiter. Réparons cependant un oubli nous aurions dù, en première ligne, parmi les adversaires de la vénalité des offices sous l'ancien régime, inscrire le nom de Jean Bodin, un des hommes les plus considérables de la seconde moitié du xvie siècle.

Jean Bodin, à la fois personnage politique par les hauts emplois qu'il a occupés, légiste, philosophe et penseur éminent, Jean Bodin, qui a pu être considére, non sans raison, comme « le précurseur de Montesquieu,▸ a écrit, entre autres ouvrages, les six livres de la république, a une mer d'érudition,» a-t-on dit. Il y développe, dans divers chapitres, soit au point de vue de la fiscalité, soit surtout sous le rapport politique, économique et moral, de solides arguments, des raisons péremptoires contre << la vente des estats, offices et bénéfices, qui est, s'écrie-t-il, a la plus dangereuse et pernicieuse peste qui soit ès républiques. » Inutile de faire observer que le mot république est pris ici dans le sens du latin res publica, la chose publique, l'État en général, quelle que soit la forme du

gouvernement.

La vie et les œuvres de Jean Bodin ont fourni à M. Henri Baudrillart, professeur au Collège de France, le cadre d'une excellente étude sous ce titre Bodin et son temps, tableau des théories politiques et des idées économiques au xvIe siècle. — Paris, Guillaumin, 1853, vol. in-8.

vénalité d'offices publics, comme celui qui n'a que trop longtemps pesé sur la France.

Il existe, en Angleterre (1), des avoués sur les dénominations d'attorneys (2) et de solicitors (3); des avocats et hommes de loi (lawyers) ou conseillers (counsellors), distingués en barristers et en serjeants at law (4); des notaires publics (notaries), des auctioneers and appraisers, c'est-à-dire commissaires-priseurs et experts, des courtiers (brokers), des agents de change ou stock and share brokers, en un mot des professions correspondantes à celles de nos officiers ministériels français (5). Mais

(1) Les détails que je donne ici sont empruntés soit au droit anglais de M. Alexandra Laya (2 vol., 1845, Comptoir des imprimeurs-unis, quai Malaquais, 15, Paris), soit surtout à l'ouvrage publié en 1864 par M. Ch. de Franqueville, auditeur au Conseil d'État, sous ce titre Les institutions politiques, judiciaires et administratives de l'Angleterre (1 vol. gr. in-8 de plus de 600 pages, chez L. Hachette et C, boulevard SaintGermain, 27, Paris).

(2) Du vieux mot normand attourné, transporté sans doute en Angleterre par Guillaume le Conquérant.

(3) En Angleterre, dit M. de Franqueville (Institutions politiques, judiciaires et administratives de l'Angleterre, p. 213 et 214 de la 2e édition), <«< chacun peut suivre et plaider personnellement ses affaires; mais le ministère des avocats ou conseils est presque toujours employé..... Les avoués sont chargés de suivre les affaires et d'en préparer la procédure. Ils sont divisés en deux classes les attorneys et les solicitors. Les premiers pratiquent près les cours d'équité, et les seconds près les cours de loi commune..... Le ministère des avoués, de même que celui des avocats, est purement facultatif..... on peut toujours comparaître personnellement. >>

(4) « Les barristers ont le droit de plaider à la barre (de là leur nom) des cours de justice, après avoir, pendant trois ans, assisté régulièrement trois fois par trimestre aux repas donnés dans les diverses auberges de Temple-Bar, Lincoln's-Inn, etc. (Al. Laya, Droit anglais). Le serjeant at law est l'avocat gradé et diplómé. Les diplômes sont délivrés par des corporations particulières quatre de ces corporations existent dans Londres.

(5) En Angleterre, il n'y a pas d'avocats à la Cour de cassation, cette cour n'existant pas. Il n'y a pas non plus d'agréés ni rien d'analogue, par la bonne raison que les tribunaux de commerce n'existent pas dans le pays; ces sortes de tribunaux sont pareillement inconnus en Hollande. Le commerce en Angleterre, n'est pas, comme en France, une exception; il est soumis à la loi commune, et les mêmes tribunaux jugent tout le monde. Le jury est de règle, quelle que soit la nature de la contestation; et les parties ou l'une d'elles peuvent toujours demander un jury spécial, ce qui a lieu habituellement dans les procès commerciaux. Si on ne

toutes ces professions y sont libres, accessibles à tous (1): pas de limite dans le nombre des titulaires, qui peut varier selon les besoins de chaque localité, pas de cautionnement versé au Trésor public, ni de nomination par l'État, qui n'assume ainsi sur lui-même, aux yeux des populations, aucune responsabilité au moins morale. Un courtier, un notaire, un attorney peut, comme quiconque a un fonds de commerce, vendre la suite de ses affaires, sa clientèle, son cabinet; mais c'est là une convention 'purement privée, et les Anglais n'ont point imaginé ce droit de « présenter un succcesseur à l'agrément de Sa Majesté, » qui les fait rire quand on leur en parle. Si, en outre, leurs avocats forment une corporation, leurs agents de change une autre, etc., car l'Angleterre est, par excellence, le pays des corporations (2), au moins ces corporations diverses, ouvertes à tout le monde, n'ont pas, comme nos compagnies françaises d'officiers ministériels, l'inconvénient d'être un obstacle à la liberté du travail; en un mot, il n'y a pas de privilége d'offices, dans cette Angleterre qui, pourtant, est un pays de priviléges et d'aristocratie.

Dans les États-Unis d'Amérique, mêmes institutions, même liberté, ou plutôt liberté encore plus grande, puisque les professions de solicitors et autres ne constituent pas même, comme en Angleterre, des corporations. Chacun embrasse la carrière qu'il veut; c'est à lui à savoir se faire une clientèle, qu'il garde, qu'il abandonne, ou qu'il cède, comme bon lui semble pas de règlements, pas d'obstacles, pas de conditions de stage ou autres, pas non plus d'incompatibilités, si bien qu'un même homme peut exercer à la fois, je suppose le métier d'avocat et celui de marchand, la fonction de solicitor et une autre occupation quelconque, même manuelle, telle que celle de tailleur ou de pâtissier (3). En d'autres termes, c'est la liberté du travail dans l'acception la plus complète du mot professions libérales ou professions mercantiles et manuelles, tout est mis sur le même pied.

Mais on objectera sans doute que des exemples ainsi empruntés à l'Angleterre et à l'Amérique ne prouvent rien, parce que l'Amérique et l'An

comparaît pas en personne, on se fait représenter par un attorney ou un solicitor.

(1) Pourvu, bien entendu, qu'on remplisse les conditions prescrites. Ainsi, pour être attorney ou solicitor, il faut avoir fait un stage de cinq ans chez un praticien, ou de trois ans seulement avec diplôme de bachelier ès arts ou en droit.

(2) L'existence des corporations, en Angleterre, n'est établie par aucune charte; ce sont des associations libres régies par d'anciennes coutumes.» (Ch. de Franqueville, Institutions de l'Angleterre, p. 213.) (3) En fait cependant cela est rare.

gleterre sont des pays tout autres que la France, parce que ce qui convient à la race anglo-saxonne ne conviendrait pas de même à la race latine, parce qu'enfin nos habitudes judiciaires et notre organisation des tribunaux n'ont pas de rapport avec ce qui existe, à cet égard, dans les États-Unis et en Angleterre.

Soit! n'insistons pas. Il est, d'ailleurs, d'autres pays pour lesquels la même objection ne sera pas soulevée.

Ainsi, notamment, voici la Belgique qui a reçu autrefois les lois françaises et les a conservées. Eh bien, les professions de courtiers et d'agents de change y ont été déclarées libres l'année dernière (chambre des représentants, séance du 17 avril 1866). Ajoutons que la liberté du courtage existe pareillement en Hollande, en Prusse et dans plusieurs autres États de l'Europe (1), par exemple en Italie depuis le ministère de, M. Cavour, qui n'a pas craint non plus de porter, en outre, la main sur le vieux privilége des procureurs (nos avoués). On lit, à ce propos, d'intéressants détails dans un compte-rendu de pétition par M. Bonjean, sénateur, en 1862.

Une pétition signée de cinq avoués de Nice, dont les études se trouvèrent, à la suite de l'annexion, supprimées par un décret impérial en date du 26 septembre 1860, en attaquant devant le sénat français la constitutionnalité de ce décret, soulevait la question tout entière des offices ministériels; M. Bonjean, rapporteur de la commission, s'est exprimé ainsi (2):

<< Comme la loi française, la loi sarde avait établi des représentants judiciaires qui avaient conservé le vieux titre de procureurs au lieu du nom plus moderne (3) d'avoués, adopté en France depuis 1791.

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« Mais, à la différence de nos charges d'avoués, qui toutes constituent au même titre des offices rendus vénaux par la loi de 1816, les titres de procureurs, en Savoie et à Nice, étaient de deux natures différentes. Les uns, résultant d'anciennes patentes annulées lors de la première réunion de ces pays à la France, mais remises en vigueur après les événements

(1) Exposé des motifs de la loi du 18 juillet 1866 sur les courtiers de marchandises.

(2) Séance du Sénat du 30 juin 1862. Voir le Moniteur universel du 1er juillet.

(3) Au moyen âge, par ce mot d'avoués, on désignait les représentants des monastères et autres êtres moraux, ou bien ceux des personnes incapables, comme les femmes. Le procureur, homme de loi chargé d'agir devant les tribunaux, n'était autre que le procurator des Romains. Il n'y avait aucun rapport entre les deux professions. Néanmoins l'Assemblée constituante substitua, en 1791, les avoués aux procureurs, parce que le nom de ces derniers soulevait trop de haine chez les populations, longtemps exploitées et pressurées.

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