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du reste, l'opinion positive du Conseil d'Etat, qui, à la date du 5 ventôse an XIII (24 février 1805), émettait l'avis : « que les huissiers doi-.. vent être regardés comme fonctionnaires publics. >>

Dès lors, il est illogique que ce fonctionnaire, cet huissier puisse, au moyen du droit de présentation, transmettre son emploi héréditairement, par acte de vente ou à un autre titre quelconque; il ne doit pas plus avoir le choix de son successeur qu'un juge ou un receveur de l'enregistrement n'ont le choix du leur; en d'autres termes, il faut que les offices d'huissiers restent, comme toutes les fonctions publiques, à l'entière et libre disposition du gouvernement.

Il en fut ainsi après 1789.

Lorsque plus tard les consuls organisaient, en France, la Justice sur les bases qui lui servent encore d'assises aujourd'hui, un arrêté du 22 thermidor an VIII (10 août 1800), statua:

« Article 1. Chaque tribunal de première instance ou d'appel indiquera, si fait n'a été, par un avis, le nombre d'huissiers dont il croira la création nécessaire.

« Article 2. Cet avis, ainsi que la liste contenant les noms, prénoms, âge et demeure des candidats que le tribunal présentera à la nomination du premier consul, seront, si fait n'a été, adressés de suite au ministre de la Justice. >>

C'est ainsi que, chaque tribunal ayant présenté ses candidats, le gouvernement des consuls de l'an VIII put choisir et qu'il nomma, sans qu'ils eussent rien à payer, les huissiers dont les offices sont si bien devenus par la suite des propriétés transmissibles qu'ils se vendent depuis longtemps et qu'en cas d'expropriation, il faudra sans doute songer à indemniser les titulaires actuels. Je ne veux pas en inférer, pour le moment, que le principe de cette indemnité soit plus ou moins. contestable, la question d'indemnité viendra tout à l'heure; je veux seulement pour l'instant arriver à dire ceci :

En l'an VIII, lorsque les offices n'étaient ni héréditaires ni vénaux, le gouvernement nommait les huissiers sur la présentation de candidats. par le tribunal; eh bien, c'est à ce mode d'institution qu'il serait bien de revenir aujourd'hui, après l'abolition du régime actuel de la vénalité. Il est, en effet, rationnel que l'huissier, qui est un fonctionnaire, soit nommé par le gouvernement; il est rationnel également que, puisque l'huissier devra être le serviteur (qu'on me passe le mot) d'un tribunal, ce tribunal soit lui-même appelé à concourir à la nomination par la présentation des candidats (1).

(1) Les candidats présentés, pour que le gouvernement conserve une plus grande latitude de choix, pourraient être en nombre double ou

Voilà une première conséquence déduite naturellement de ce que la profession de l'huissier, ainsi que je l'ai établi, ne saurait être considérée autrement que comme une fonction; cette conséquence est importante, on le voit. Il y en a une seconde, non moins importante à signaler également; c'est la suivante :

Il n'est certainement pas logique qu'un fonctionnaire public soit rétribué par les particuliers, il doit l'être par l'État. Et si, en ce qui concerne spécialement les huissiers, nous consultons l'histoire (1), elle nous enseigne que, jusqu'au règne de Philippe le Bel, en France, les huissiers et sergents, pourvus de traitements fixes, n'avaient pas le droit de recevoir rien des parties (2).

On sait que Philippe le Bel a été le premier de nos rois qui ait commencé à ériger les fonctions en titre d'offices; il statua, par son ordonnance du 23 mars 1302, que dorénavant les huissiers seraient payés par les parties et taxés. Mais la taxe, à ce qu'il paraît, était souvent éludée; le roi Jean, dans un édit en date du 3 mars 1356, a constaté que les sergents et huissiers, « en allant faire leurs exploiz, mainent grant estat et font grans despens aux coûx et aux frais des bonnes gens pour qui ils font les exploiz; » et afin de « refrénez telz despens excessifs, » il renouvela la taxe.

Qu'y a-t-il aujourd'hui de mieux à faire, une fois admise la suppression de la vénalité des offices d'huissiers ? C'est de revenir purement et simplement à ce qui se pratiquait, en France, avant l'introduction du régime de la vénalité par Philippe le Bel, c'est-à-dire de statuer que, désormais, il sera alloué un traitement fixe annuel payé par l'État à chaque huissier, qui, dès lors, ne touchera plus d'aucun client ses notes de frais.

On comprend sans peine quel bien immense il en résulterait, puisque l'huissier, n'étant plus intéressé personnellement dans les frais, au lieu de les multiplier, comme aujourd'hui, le plus possible, s'appliquerait, au contraire, à en faire peu et à terminer vite les contestations au lieu de les éterniser.

Serait-il à craindre alors que l'huissier fût négligent? Mais le gouvernement a contre tous ses fonctionnaires, et il aurait pareillement

triple du nombre de titulaires à nommer: ainsi se font les choses à Genève.

(1) M. Pastoret, dans son Histoire de la Législation, nous apprend que chez les Hébreux, les sophetim ou juges des villes avaient sous eux des officiers chargés d'exécuter leurs ordres (comme nos huissiers); on les nommait soterim, et ils n'étaient pas payés par les parties.

(2) Loyseau, Traité des offices, livre Ier, chap. vIII, paragr. 22. — Voir aussi le Journal des Économistes, numéro de juillet 1867, page 41.

contre les huissiers devenus fonctionnaires, des moyens d'action: la réprimande, la suspension, la révocation même.

D'un autre côté, comme il ne faut ni que le budget de l'Etat soit grevé, sans compensation d'un nouveau chapitre de dépenses, ni surtout que les particuliers trouvent un stimulant à intenter des procès dans cette circonstance qu'ils n'auraient plus les huissiers à payer; pour parer à ce double danger il serait établi que les émoluments aujourd'hui versés à l'huissier, sauf peut-être une juste réduction, se percevraient dorénavant, comme je l'ai dit des droits de greffe, par et pour l'Etat. L'État trouverait à cela son compte et plus que son compte, il bénéficierait d'une grande partie de ce qui est aujourd'hui la rétribution du privilége si chèrement estimé des offices d'huissiers; les particuliers, à leur tour, ne supporteraient plus que des frais moindres, et néanmoins la somme des frais resterait encore suffisante pour modérer l'ardeur des esprits trop processifs; enfin, les huissiers eux mêmes, assurés d'un traitement annuel fixe et largement rémunérateur, libre de l'immense préoccupation que doit leur causer la seule pensée du capital qu'ils ont engagé dans l'achat de leur étude, surtout quand l'étude n'est pas eneore toute payée, relevés, en outre, à leurs propres yeux et aux yeux du public de l'espèce d'infériorité morale qui pèse aujourd'hui sur leur profession, les huissiers, dis-je, gagneraient au change bien au delà de ce qu'ils y auraient perdu.

Il ne me reste plus, pour avoir passé en revue toute la série des offices ministériels de la loi du 28 avril 1816, qu'à parler du notariat. Mais ici la difficulté se complique. Les notaires, en effet, ont une mission qui est double: ils sont les rédacteurs des actes entre les particuliers, et en même temps les conservateurs des minutes de ces mêmes actes. C'est ce que dit de la manière la plus formelle la loi du 25 ventose an XI, organique du notariat, dont l'article 1er dispose:

« Les notaires sont les fonctionnaires publics établis pour recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d'authenticité attaché aux actes de l'autorité publique, et pour en assurer la date, en conserver le dépôt, en délivrer des grosses et expéditions. »

Un grand nombre, sans doute, de ces actes et contrats, dont les notaires «conservent le dépôt,» sont d'une faible importance; mais plusieurs aussi intéressent au plus haut point la fortune et l'honneur des familles, l'état même des personnes. Il est certain que, sous ce rapport, et en sa qualité de conservateur des minutes, le notaire, presque au même titre que s'il était préposé à la garde des actes de l'état civil, est un fonctionnaire. Et quand cette expression de fonctionnaire a été écrite dans l'article 1er de la loi, ce n'est nullement parce que le légis

lateur de l'an XI n'en aurait pas pesé toute la valeur, ainsi que l'ont pensé de bons auteurs (1) et que des journaux (2) le répétaient encore récemment il y a bien réellement un fonctionnaire dans le notaire, considéré comme gardien des minutes de son étude.

Mais ce même notaire est aussi chargé de recevoir, c'est-à-dire, en thèse générale, de rédiger les actes et contrats entre les particnliers. De qui, dans ce second cas, lui vient son mandat? Il ne lui vient évidemment que des particuliers qui ont recours à son ministère, puisque les notaires ne sont pas, comme les huissiers, au service d'un tribunal, ni, à proprement parler, d'une autorité quelconque dont ils ne feraient qu'exécuter les sentences ou les ordres: ils sont, en quelque sorte, les scribes, les écrivains de chacun de nous, ce qui ne constitue assurément pas une fonction, mais une simple industrie privée.

Ainsi, d'une part, industrie privée; de l'autre, fonction publique: voilà, chez nous, le notariat d'aujourd'hui, aux termes de la loi du 25 ventôse an XI. C'est donc le cumul de deux genres d'attributions d'une nature toute différente, mais qui n'en donnent, ou le conçoit, qu'une latitude d'action bien plus grande, bien plus dangereuse à celui qui en est investi.

De là, de faciles abus, surtout depuis que le prix exorbitant des offices a mis les titulaires aux prises avec les besoins d'argent. On est gêné dans ses affaires, et en même temps tenté par l'occasion... on succombe. Nous avons vu (3), d'après notre criminaliste Bérenger (de la Drôme), que a la profession de notaire est, de toutes les professions, celle qui, proportionnellement, envoie le plus de sujets devant les cours d'assises, le plus de condamnés dans les maisons de réclusion et au bagne» (4). A qui la faute, lorsque cependant le gouvernement s'efforce de ne nommer notaires que des candidats d'une probité connue ? La faute en est évidemment, non pas aux hommes, mais à l'organisation même du notariat, ainsi que nous avons vu M. Bérenger (de la Drôme) en faire la re

marque.

La réforme ici s'impose donc, non pas seulement au nom des principes d'une bonne économie sociale, mais surtout au nom de la morale publique; il est plus que temps qu'un privilége qui donne de si déplorables résultats disparaisse.

En Autriche, j'ai déjà eu occasion de le dire, il paraît que l'on a fait du notaire à la fois rédacteur des actes et conservateur des minutes, un fonctionnaire véritable, nommé par l'Etat, révocable par l'Etat, et

(1) Notamment Dalloz.

(2) Entre autres l'Époque.

(3) Journal des Économistes, numéro de septembre 1867, page 364.

(4) J.-J. Baude, Revue des Deux Mondes, numéro du 15 septembre 1835.

n'ayant, en réalité, que la gestion de son étude, qui n'est point un office entre ses mains, et qu'il n'a pas plus le droit de transmettre à un successeur que nos receveurs de l'enregistrement n'ont celui de vendre leurs places (1).

Je veux bien qu'un pareil mode d'institution présente moins d'inconvénients que le système confus de notre loi française de ventôse an XI, renforcée de celle du 28 avril 1816; je veux bien que l'Autriche, pour son organisation du notariat, soit mieux partagée que la France. En effet, là où les notaires n'ont point d'études à acheter et à payer, il n'y a du moins pas à craindre, pour eux, les conséquences de ce fatal quart d'heure de Rabelais, qui fait souvent tourner les têtes les plus solides. Et, en outre, on sait que, dans tous les pays du monde, France ou Autriche, les fonctionnaires proprement dits, dont l'avenir est à toute heure dans les mains du gouvernement, sont bien mieux surveillés et se tiennent autrement sur la réserve que les possesseurs d'offices, maîtres de la position parce qu'ils l'ont payée, et qui, dès lors, en prennent plus encore à leur aise que s'ils ne se livraient qu'à une profession entièrement libre: on se croit tout permis parce qu'on a un monopole.

Mais pourtant, nous l'avons dit, le notaire, s'il exerce une fonction en sa qualité de conservateur des minutes de son étude, reste en même temps, comme simple rédacteur des actes, à un niveau qui n'est que celui d'un service consacré à des intérêts purement privés; et, sous ce dernier rapport, faire également de lui un fonctionnaire public, c'est certainement dépasser les justes bornes: il doit donc y avoir, pour l'organisation du notariat, quelque chose de mieux encore que ce qui se pratique en Autriche.

« A Rome, nous dit Dalloz (2), le notaire était distinct du tabellion. » Le notaire rédigeait les actes, ce qui est un travail intellectuel, et sa profession resta libre; mais le tabellion, créé beaucoup plus tard, n'était préposé qu'à la garde des minutes, il occupait une fonction publique.

Cet état de choses a été aussi celui de la France jusqu'à l'époque du roi Louis IX, qui le premier accorda aux soixante notaires de Paris le privilége de cumuler le tabellionnage et le notariat proprement dit. Mais l'ancienne distinction subsistait toujours dans les autres villes du royaume. François Ier, aux termes d'un édit de novembre 1542, commença par ériger en titre d'offices, dans toutes les juridictions royales, les professions de notaires aussi bien que celles de tabellions-garde-notes;

(1) Du droit des officiers ministériels de présenter leurs successeurs, etc., par le chevalier Dard, page 197.

(2) Répertoire de jurisprudence, vo Notaire, nos 5 et 8.

3o SERIE. T. VIII. — · 15 décembre 1867.

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