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puis, une ordonnance de Henri IV, datée de mai 1597 (1), a enfin confondu tout à fait les tabellions-garde-notes et les notaires: tels furent les notaires royaux, à la place desquels la Révolution est venue, en 1791 (2), instituer des notaires publics, mais sans faire revivre l'ancienne distinction, si rationnelle pourtant, du notaire proprement dit, qui rédige les actes, et du tabellion-garde-notes ou conservateur des minutes.

Eh bien, c'est à cette distinction, selon moi, qu'il faut revenir, à la condition, bien entendu, de la mettre en harmonie avec l'ensemble de nos institutions modernes. Voici comment:

Tout bureau d'enregistrement deviendrait un bureau de dépôt (3). Les receveurs, lorsque des actes leur seraient présentés par un notaire rédacteur, au lieu de les lui rendre, une fois enregistrés, les garderaient; et c'est à eux, fonctionnaires de l'Etat, qu'il appartiendrait d'en délivrer des grosses et expéditions aux particuliers moyennant une rétribution que l'Etat percevrait.

De cette façon, le Trésor se trouverait mis en possession d'une nouvelle source de revenus, considération qui, certes, n'est pas à dédaigner. Quant au public, il n'en serait que mieux servi, plus exactement et surtout à meilleur marché. Car l'administration pourrait abaisser le coût des rôles bien au-dessous du Tarif actuel; et il n'en entrerait pas moins, chaque année, plusieurs millions dans les caisses du gouvernement. Les copies d'actes, au lieu d'être faites par d'intelligents entrepreneurs d'écritures, ou par des clercs plus ou moins jeunes et inexpérimentés, plus ou moins inattentifs, le seraient par des commis de l'administration que stimulerait un légitime désir d'avancement. Et, du reste, les receveurs seraient toujours responsables. Est-ce que cette responsabilité-là ne vaut pas celle des notaires? Nul n'aurait intérêt à altérer les minutes; le dépôt serait donc fidèlement gardé.

(1) On peut voir tout au long ces ordonnances et édits dans le volumineux recueil de Jacques Joly, intitulé Les Offices de France. Voir aussi la Collection des anciennes lois françaises, t. XIV.

(2) Le décret du 29 septembre - 6 octobre 1791, sur la nouvelle organisation du notariat et sur le remboursement des anciens offices de notaires, abrogé plus tard par la loi du 25 ventôse an XI, disposait (art 1er du titre IV) : « Les places de notaires publics ne pourront être occupées à l'avenir que par des sujets antérieurement désignés dans un concours public.» Ce mode de nomination au concours a été emprunté à notre Révolution par l'État de Genève, où il continue encore à fonctionner (constitution genevoise de 1814 et arrêté du Conseil d'État de Genève du 11 avril 1817).

(3) Ou bien on pourrait créer un dépôt spécial avec un fonctionnaire spécial pour gardien. Mais à quoi bon ? Les receveurs de l'enregistrement peuvent suffire: c'est plus simple et moins coûteux.

Ainsi se trouve évitée la seule objection sérieuse qui ait toujours été faite à la liberté du notariat, à savoir qu'il y aurait un inconvénient immense dans la dissémination des minutes entre les mains d'un nombre de titulaires illimité et variable (1). L'inconvénient disparaît et avec lui l'objection, du moment que, les notaires n'ayant plus qu'une seule mission, celle de rédiger les actes, il y a, dans chaque canton, un dépôt unique des minutes, un centre commun où les parties intéressées peuvent se faire délivrer les copies d'actes dont elles ont besoin.

Qui empêcherait alors que la profession de notaire (notaire-rédacteur, s'entend) ne fût, comme bien d'autres, proclamée libre aussi, et qu'une carrière honorable et lucrative, jusque-là réservée à un petit nombre de privilégiés, qui ont de l'argent, ne s'ouvrit enfin, je ne dirai pas pour tout le monde indistinctement, mais pour quiconque, du moins, présente les garanties voulues de savoir, d'expérieuce et de moralité?

Mais on dira peut-être, en se faisant un argument du texte de l'article 1er de la loi du 25 ventôse an XI, que, «les notaires étant établis pour recevoir les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent donner le caractère d'authenticité attaché aux actes de l'autorité publique,» ce caractère d'authenticité manquerait absolument dès que le notaire-rédacteur aurait cessé d'être un officier ministériel pour ne plus exercer qu'une profession libre, accessible à tous et sans la nomination par le chef de l'Etat.

Cette objection serait grave si elle était fondée. Mais qu'on veuille bien y réfléchir est-ce que le dépôt de l'acte entre les mains d'un fonctionnaire de l'État, le receveur de l'enregistrement, chargé d'en opérer la garde et d'en délivrer des grosses et expéditions, ne constituerait pas le caractère d'authenticité que peut vouloir la loi ? J'ajoute que la date des actes, aux termes de l'article 1er de la loi de ventôse, se trouverait également assurée; et cela, même aussi pour les actes sous signatures privées qu'il plairait aux particuliers de déposer.

En résumé, la réorganisation du notariat n'est donc pas plus impossible que celle des autres offices ministériels.

(1) La dissémination des minutes serait même beaucoup moindre qu'elle ne l'est aujourd'hui, car il n'y a, en général, qu'un seul bureau d'enregistrement par canton, et plusieurs notaires, au contraire, deux au moins.

VIII

L'INDEMNITÉ.

Droit strict et équité. - La loi du 18 juillet 1866.

le rachat des priviléges?

Qui payera

Mais c'est ici qu'apparaît, pour toutes les catégories d'offices, une dernière question, celle des indemnités à allouer aux titulaires actuels en échange du privilége dont ils jouissent.

Je ne saurais mieux faire ici que de céder d'abord la parole à un homme dont la haute autorité, en ces matières, ne sera pas contestée. Voici en quels termes, à propos d'une pétition des avoués de Nice, M. Bonjean, rapporteur, s'exprimait dans la séance du Sénat du 30 juin 1862 (voir le Moniteur du 1er juillet):

« Nous admettons volontiers, dit-il, qu'une profession ordinaire, commerciale, une profession dépourvue de tout mélange de fonction publique, constitue une sorte de propriété dont la société ne peut exiger le sacrifice sans indemnité. Si, par exemple, il était reconnu utile de fimiter le nombre des marchands de telle ou telle catégorie, et qu'en conservant les uns on obligeât les autres à fermer leurs magasins, il semble évident que la loi qui ordonnerait cette suppression sans indemnité porterait atteinte au droit de propriété. Un exemple de ce genre nous est fourni par le décret du 29 décembre 1810. Au moment où ce décret monopolisa, entre les mains de la Régie des droits réunis, la fabrication et la vente du tabac, il existait en France environ 600 personnes qui s'occupaient de ce commerce. Le décret ne s'expliqua pas sur la question d'indemnité; mais la Régie s'empressa de racheter tout le matériel de ces fabricants et leur accorda, en outre, des places d'entrepositaires ou des bureaux de tabac productifs. Cette sage conduite prévint toute réclamation, et la question de droit ne fut pas même soulévée.

◄ Quand, au contraire, des professions constituent des fonctions publiques, leur suppression peut toujours avoir lieu sans indemnité. Nous parlons du droit strict, bien entendu; car une bonne administration évite toujours, autant que faire se peut, de briser sans dédommagement des situations honorablement acquises, conformément à ce vieux principe: Non omne quod licet, decet.

« Il y a enfin des situations mixtes tenant à la fois de la profession privée et de la fonction publique; et c'est pour celles-là que la question se présente avec toute sa difficulté. Telles sont, par exemple, les fonctions de greffiers, d'avoués, d'huissiers, de notaires. Bien qu'exploités dans l'intérêt personnel des titulaires, ces titres n'en ont pas moins un caractère très-marqué de fonctions publiques, soit par l'authenticité que certains de ces officiers peuvent donner aux actes, soit par le rôle plus ou moins direct qu'ils sont appelés à remplir dans l'administration de la justice, cette branche si importante de la puissance publique, à l'exercice de laquelle ils se trouvent ainsi associés.

<< Survienne, dans l'organisation judiciaire ou dans la procédure, un changement qui entraîne la suppression de ces fonctions, ou la réduction de leur nombre ou encore celle des émoluments qu'elles produisaient à leurs titulaires, la société sera-t-elle tenue d'indemniser?

<< En principe, non; car, en les instituant en vue d'une certaine organisation judiciaire, la loi n'a pas pris l'engagement de les conserver si l'expérience venait à prouver que cette organisation n'est pas la plus conforme au bien général; car le législateur ne peut pas abdiquer le droit ou plutôt le devoir d'améliorer incessamment tous les services publics; c'est là une condition nécessairement sous-entendue dans la création de toutes les fonctions de cette nature.

« Voilà le droit strict; mais n'est-il pas des circonstances qui peuvent faire fléchir la rigueur du principe?

« Si, par exemple, comme dans l'ancienne France, en Savoie et dans le Comté de Nice, l'État avait vendu le droit d'exercer ces diverses fonctions; s'il en avait touché une finance; s'il en avait promis la transmissibilité héréditaire, n'est-il pas évident qu'il ne pourrait, sans une souveraine injustice, supprimer la fonction sans restituer la finance? Aussi lorsqu'en France, en 1791, et dans les États sardes, en 1857, on supprima les anciens offices, nul n'hésita à reconnaitre qu'une indemnité était due.

« L'obligation d'indemniser ne serait plus aussi évidente si l'État, ayant concédé gratuitement la fonction sans aucun mélange de finance, avait néanmoins autorisé les titulaires à stipuler un prix de celui en faveur duquel ils donneraient leur démission, ou, comme le dit par euphémisme la loi du 28 avril 1816, s'il avait autorisé le titulaire à présenter un successeur; s'il était intervenu dans les traités pour en surveiller les conditions, etc., etc., ainsi que la chose se pratique en France depuis 1816..... Vainement, pour réclamer une indemnité, le titulaire dirait-il qu'il a fait des études et un stage coûteux (1)..... Est-ce que, dans la plupart de nos administrations, les employés ne sont pas, eux aussi, soumis à justifier de certains diplômes, à subir des examens, à faire un surnumérariat onéreux ? Et cependant qui oserait soutenir que, si le bien du service exigeait la suppression de leurs emplois, l'État pût être obligé à leur payer une indemnité? »

Certes, c'est là une consultation en règle. M. Bonjean émet nettement l'avis que 1o en droit strict, il n'est rien dû aux officiers ministériels actuels, qui ne sont pas des propriétaires; 2o mais que toutefois il sera toujours équitable de les indemniser en cas de suppression de leurs charges.

La loi du 18 juillet 1866, relative aux courtiers de marchandises, est venue, l'année dernière, établir un précédent qui ne fait, en réalité, que confirmer cette manière de voir de M. le sénateur Bonjean. En effet, ce

(1) C'était là le principal argument présenté par les pétitionnaires.

n'est pas comme expropriés que les courtiers de marchandises sont indemnisés en vertu de cette loi; car alors c'est l'État expropriant qui eût fourni l'indemnité. Il n'en est rien. L'indemnité, au contraire, a été mise à la charge des particuliers directement appelés à profiter de la mesure nouvelle ce sont les courtiers libres, dispensés dorénavant de l'achat d'un office, qui payent la suppression du privilége, nul ne devant s'enrichir aux dépens d'autrui, Rien de plus équitable (1).

Or, généralisons l'application de ce moyen, et la question si grave de l'indemnité des offices se trouve résolue, du moins en principe.

Conséquemment, dans le système qui a fait l'objet du chapitre précédent, comme les fonctions d'huissiers et de greffiers feraient tout à fait retour à l'État, c'est évidemment l'Etat qui aurait à rembourser luimême le montant des indemnités allouées.

Mais quant aux offices des commissaires-priseurs, agents de change et autres, destinés à être rendus à l'industrie libre, il appartiendrait, au contraire, à l'industrie libre de payer leur rachat, c'est-à-dire que ce sont les nouveaux agents de change, les nouveaux commissaires-priseurs, etc., pour qui l'abolition d'un monopole aurait ouvert l'accès à des professions jusque-là fermées, qui devraient indemniser les titulaires actuels dépossédés de leur privilége.

Et enfin, en ce qui concerne le notariat, comme la profession, qui aujourd'hui cumule et la rédaction des actes et la conservation des minutes, serait dédoublée, de manière à constituer, d'une part, pour cette seconde attribution, une fonction de l'État, et, d'autre part, un métier libre pour la rédaction des actes, il conviendrait, ce semble, que l'industrie libre et l'Etat contribuassent de moitié à fournir les sommes nécessaires à l'extinction du privilége.

Telles sont les bases d'un remboursement équitable et possible. Ces bases admises, l'opération ne serait plus, après cela, qu'une simple affaire de détails pratiques.

P. S. Parvenu au terme de cette longue Etude, qu'il faut surtout considérer comme une œuvre de circonstance, en ce sens du moins qu'elle a

(1) Disons toutefois que l'on s'est peut-être montré trop généreux envers les courtiers. Une indemnité intégrale leur est payée comme s'ils étaient dépossédés de leurs charges, clientèle et accessoires. Or, ils gardent la clientèle, ils continuent les affaires. Pourquoi ne leur a-t-il pas été fait une retenue en conséquence? C'est ce qui a eu lieu en Italie, lorsque la loi de 1857 y proclama la liberté des fonctions de procureurs : à ceux de ces officiers qui se retiraient tout à fait, il fut versé une indemnité complète; mais pour ceux qui restaient en exercice, l'indemnité était frappée d'une retenue de 3/10es du prix fixé. C'était juste.

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