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M. VILLIAUMÉ est d'avis que ce qu'on nomme « Caisses syndicales » est une entreprise particulière qui ne devrait aucunement faire l'objet d'une discussion de la Société d'économie politique. En effet, ces caisses ne sont qu'à l'état de projet; elles ne comportent même aucune idée nouvelle; elles ne sont point à la hauteur d'un principe. Si l'on parvient à les constituer et à les faire fonctionner, la réussite dépendra de la solvabilité, de l'intelligence et de la sagacité de leurs fondateurs et administrateurs, comme toute autre espèce de banque. Avec des centaines de millions de capital réel, tels faiseurs d'affaires ont gaspillé près de deux milliards et ruiné en quinze ans plus de deux cent mille familles ; avec un petit capital, tel spéculateur honnête a doublé la fortune de ses commanditaires ou associés. Le choix des fondateurs, administrateurs et employés est donc une simple question de fait, qui n'est point du ressort de notre Société, qui manque des éléments d'information, qui n'a point les pièces sous les yeux, qui n'est point instituée pour patroner les spéculations particulières, ni pour détourner le public d'y participer. D'ailleurs, la plus vulgaire politesse nous interdit la discussion des personnes, lorsque certains de nos collègues sont leurs associés commerciaux ou industriels. Or, ce cas se rencontre dans la question que l'on discute.

M. Villiaumé ajoute que la dignité même commande à la Société d'économie politique de s'abstenir de toute discussion, comme de toute démarche qui pourrait servir à des réclames en faveur de personnes quelconques. La Société ne spécule point; elle n'a d'autre but que de discuter confraternellement les questions théoriques qui lui paraissent être les plus intéressantes.

M. MANNEQUIN dit que l'institution des caisses syndicales lui paraît être appelée à rendre de grands services, notamment à deux points de vue, la compensation et le recouvrement des créances de la petite industrie et du petit commerce.

Il a toujours pensé que l'institution restreinte du clearing house pouvait s'étendre à toutes les opérations de l'industrie et du commerce. Les caisses syndicales auraient précisément pour résultat, si elles fonctionnent bien, d'accomplir cette extension éminemment désirable. En compensant une masse considérable de découverts, qui n'ont de raison d'être que parce qu'ils se commandent les uns les autres, elles ne feront pas seulement faire à la société une économie de temps et de monnaie, comme le clearing house, elles alterneront sensiblement encore l'intensité des crises monétaires, en ce sens qu'elles diminueront le nombre des liquidations forcées dont ces crises sont tout à la fois l'effet et la cause; en outre, elles débarrasseront le crédit de doubles emplois trèsnombreux qui nuisent à sa fécondité. Il est clair que tous les découverts

du commerce que la compensation peut combler ont le caractère de doubles emplois dans l'économie spéciale du crédit.

En faisant les recouvrements de la petite industrie ou du petit commerce, les caisses syndicales rendront également d'importants services à la société. Ce point de vue de leur utilité exigerait peut-être quelques développements, dit M. Mannequin, mais il se contentera de les indiquer. La petite industrie et le petit commerce font souvent des crédits qui ne sont pas considérés comme des services et les obligent à toutes sortes de procédés humiliants pour les faire cesser. Chose digne de remarque, mais aussi digne de blâme, c'est que les bénéficiaires de pareils crédits pourraient aisément s'en passer; en tout cas, ils pourraient traiter moins cavalièrement ceux qui les leur font. Il s'agit, dit M. Mannequin. de ces consommateurs, assez riches généralement, millionnaires souvent, et grands seigneurs par-dessus le marché, qui ne reçoivent leurs créanciers que dans leurs antichambres, quand ils les reçoivent, et qui croient les combler de faveur en les payant après d'interminables délais et de nombreuses humiliations; or, comprend-on bien ce que des procédés de cette nature engendrent de représailles occultes de la part de ceux qui les souffrent? Il est permis d'en douter; la vérité, c'est que l'homme humilié, marchand ou non, se venge, et quand il se venge sournoisement, comme il arrive en pareil cas, il se démoralise; du reste, le fait seul de se laisser humilier est démoralisant pour l'homme. Les caisses syndicales, si elles peuvent généraliser la pratique des recouvrements par des tiers au profit du petit commerce, débarrasseront donc la société commerciale d'une véritable plaie. Un débiteur, quel qu'il soit, ne se permettra jamais, avec une institution de crédit, ce qu'il se permet souvent avec de malheureux fournisseurs, trop heureux pourtant, hélas! de subir des avanies, pourvu qu'ils fournissent!

Les caisses syndicales, dit M. Mannequin en terminant, ne rendissentelles que les deux espèces de secours qu'il vient de signaler, mériteraient encore la sympathie de tous les hommes de bien et de progrès.

M. HORN est de l'avis de M. Villiaumé, que les opérations financières, les détails d'affaires, ne sont pas du ressort de la Société d'économie politique; la réunion voudra bien lui rendre cette justice que, dans son exposé de la combinaison syndicale, il s'est appliqué à rester dans la hauteur des principes et des intérêts généraux, évitant les détails pratiques et le côté affaires. C'est pour se maintenir et maintenir le débat à ce niveau que M. Horn, à son grand regret, croit devoir se refuser le plaisir de répondre aux remarques, d'ailleurs très-intéressantes, de M. Halphen, touchant les avantages plus ou moins grands qu'offriraient les Caisses générales. Les principes seuls que ce dernier rouage repré

sente (la mutualité au deuxième degré, la contre-assurance, etc.) peuvent intéresser la réunion.

Les remarques faites par M. Halphen et par quelques-uns des orateurs qui l'ont suivi impliquent toutefois une question de principes bien importante, sur laquelle M. Horn tient à dire un mot. Avant d'y arriver, il veut dire, au sujet de l'observation faite par M. Bénard, qu'il pense aussi que la liberté des banques assurément faciliterait beaucoup la diffusion du crédit, car la réunion sait qu'il n'est pas l'avocat le moins décidé de cette liberté; il pense qu'elle profiterait à la combinaison syndicale comme à toute autre combinaison de crédit; mais il tient cependant à faire remarquer que l'absence ou l'insuffisance de liberté ne saurait être une raison pour ne rien faire; d'autant moins que c'est encore une illusion que de croire que, la liberté une fois réalisée,tout sera dit, parce que tout se fera seul. Rien n'est moins vrai; la liberté fournit le champ d'action et la faculté d'agir, voilà tout. Pour que ce champ soit exploité et cette faculté utilisée, il faut commencer par profiter, faute de mieux et en l'attendant, de la demi-liberté que l'on possède. Dans ce sens veut agir la combinaison syndicale.

Quant à la question de principe, M. Horn partage le sentiment de M. Halphen qu'en toutes choses il faut proportionner les efforts aux effets utiles que l'on en veut obtenir, et ne pas prodiguer un plus de force quand le moins suffit. C'est justement à cause de cela que M. Horn ne juge pas nécessaire de rendre plus entière la mutualité là où une mutualité plus circonscrite, étroitement limitée même, peut faire atteindre le même but. Et il ne s'agit pas seulement d'une déperdition de forces, matérielles et morales, à éviter; la question a une portée plus haute. Il est des économistes assurément qui voient dans l'association, sous ses diverses formes, son propre but, le dernier terme de la perfection sociale; M. Horn, à qui dans notre Société même l'on a souvent reproché d'être un apôtre trop enthousiaste et trop zélé de l'association, ne partage pas l'opinion qu'il vient de rappeler. Pour lui, l'association est le moyen ingénieux, sublime, de protéger les faibles contre les forts, de mettre les plateaux de la balance en équilibre, de redresser certaines déviations ou iniquités de l'organisation sociale du jour; mais le vrai progrès, le progrès final sera plutôt dans l'épanouissement complet et noble de l'individualité humaine que dans un système qui fait de l'homme une fraction seulement d'une individualité collective. En partant de cette prémisse (qui ne saurait être développée ici accidentellement), M. Horn ne peut naturellement voir dans la mutualité qu'un moyen, dont il ne faut user que dans la mesure de l'indispensable, qu'autant que le réclame le but poursuivi. Et, tout en applaudissant aux services immenses que la solidarité illimitée a rendus aux banques populaires allemandes dont le succès aujourd'hui est proverbial, ainsi qu'aux 3 SÉRIE. T. VIII. 15 décembre 1867.

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profits que tirent par exemple les Unions de crédit belges de leur mutualité passablement large, M. Horn reste convaincu : 1o qu'en France, l'application de la solidarité ou même d'une mutualité tant soit peu large, serait extrêmement difficile; 2o qu'il n'y a pas grand mal à cela, là où le même résultat peut être obtenu à un moindre prix.

M. Horn, par la raison déjà invoquée vis-à-vis de M. Halphen, pense devoir s'abstenir de répondre à quelques autres questions qui viennent de lui être adressées et qui portent trop exclusivement sur le côté pratique de la combinaison syndicale. Il dira seulement, pour rassurer M. Duval, que le mécanisme syndical est moins compliqué qu'il n'en à l'air de prime abord et, par conséquent, sera d'un entretien moins coûteux que ne le suppose l'honorable directeur de l'Économiste français. M. Horn dira encore, en réponse à la question posée par l'honorable président de la réunion, que pour le crédit d'escompte il y a assurément une différence à faire dans la prime de risque, suivant la nature et la provenance des effets. Par contre, pour ce qui touche le crédit direct ou personnel, fixé à chacun lors de son entrée dans la société, la prime de risque ou de gårantie ne saurait ne pas être la même pour tout le monde admis: l'épicier du coin à qui, après mûr examen, l'on aura accordé l'ouverture d'un crédit direct de 1,000 fr., est et doit être pour ces 1,000 fr. tout aussi «bon» que son puissant voisin, admis pour 100,000 fr., peut l'être pour cette dernière somme.

M. WOLOWSKI, membre de l'Institut, n'entend point aborder le fond du débat sur les Caisse syndicales; mais il lui paraît nécessaire de répondre à quelques assertions de M. Horn, au sujet des Sociétés coopératives de production.

Le succès de celles-ci est désirable, car elles fourniront anx ouvriers et aux patrons eux-mêmes le meilleur enseignement au sujet des rapports entre celui qui fournit le capital, celui qui dirige l'entreprise, et celui qui exécute le travail. Le bénéfice recueilli en qualité d'associé sera mis en parallèle avec la quotité du salaire obtenu pour un labeur analogue on pourra juger ce qui vaut mieux, ou la part variable et aléatoire, ou bien une part fixe et garantie, car dans les deux cas celui qui travaille obtient la rémunération au moyen d'une participation directe à l'œuvre produite. Sous l'empire de l'égalité civile et d'une législation qui protége de la même manière les intérêts de tous les citoyens, quelle que soit leur condition, l'ouvrier qui stipule avec le patron, ou pour nous servir de l'expression anglaise, l'employé qui contracte avec l'employeur, est aussi libre et aussi indépendant que l'associé appelé à recueillir une quote-part indéterminée du résultat variable de l'exploitation. Quand on a un patron, on a un maître, dit-on, soit; mais, quand on a de nombreux associés, on a des maîtres nombreux, et les moyens de contrôle et

de discipline se multiplient au lieu de s'effacer; autrement l'absence d'une règle précise conduit au désordre, et le désordre à la ruine. Il est des formules de langage qu'on affectionne et qu'on répète au risque d'induire en erreur des esprits ardents et peu expérimentés. Pourquoi parler par exemple de l'émancipation des ouvriers au moyen de l'association? N'est-il pas plus vrai de dire qu'on cherche à élever leur condition, à améliorer leur sort, ce qui est parfaitement légitime, ce à quoi tout le monde voudrait contribuer ? Là où il n'existe pas d'esclavage, où se rencontre un contrat, librement débattu, sanctionné par une législation équitable, protégeant l'intérêt du faible, il ne saurait être question d'émancipation. En sa qualité de rédacteur d'un journal, M. Horn est salarié, mais il n'est pas esclave; bien qu'il ne soit pas associé, il est suffisamment émancipé.

M. Wolowski, tout en ayant toujours été le partisan du développement du principe de l'association, sous toutes les formes, insiste sur la nécessité de ne produire que des données exactes relativement aux précédents qu'on invoque. Autrement on risquerait fort de créer des illusions fatales, de pousser à des entreprises téméraires. Qu'on le sache bienquand on parle sans cesse des succès obtenus en Angleterre et en Allemagne par les Sociétés coopératives, on devrait, pour éviter toute confusion, disséquer la nature des entreprises couronnées de succès, et l'on constaterait ainsi qu'en Angleterre fleurissent surtout les associations de consommation et de construction des maisons; en Allemagne les associations de crédit, les banques populaires destinées à employer l'instrument collectif pour hâter la formation du capital et aider l'extension du crédit, destinés tous les deux, capital et crédit, à l'emploi individuel. Il est utile de le dire en passant, puisqu'on a voulu mêler à ce débat d'une manière incidente la question de la liberté des banques confondue avec celle de la libre émission des billets de banque destinés à jouer le rôle de monnaie, que l'on s'est complètement écarté de la voie résolument et habilement suivie de l'autre côté du Rhin. Aucune banque populaire allemande n'a songé à émettre des billets; elles sont assez bien inspirées pour ne pas affronter le péril d'une fiction, alors qu'elles reposent sur la base d'une solide et féconde réalité.

En ce qui concerne les Associations coopératives de production, c'est la France qui a le mieux réussi, quoique dans un cercle fort restreint; c'est en France que les autres pays vont chercher des modèles à cet égard. L'activité, l'intelligence, le dévouement et la persévérance d'un certain nombre d'ouvriers ont conduit chez nous à la création de quelques associations qui se maintiennent, au milieu de beaucoup d'autres qui ont sombré. Dieu nous garde de les décourager dans cette œuvre laborieuse il est fort désirable que de pareilles tentatives aboutissent à un bon résultat. quoi qu'en ait dit M. Jules Duval, en termes excellents

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