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peine nomme-t-il les contributions indirectes. Il lui faut savoir gré toutefois d'avoir répudié l'impôt progressif et l'impôt du revenu.

Je n'ai pas besoin de dire qu'il s'éloigne beaucoup dans cette partie de son œuvre, non de nos opinions les plus générales, mais de celles du maître par excellence de l'économie politique française: J.-B. Say, sur les attributions de l'État. Il parle avec le plus absolu dédain des personnes qui veulent renfermer le pouvoir dans son rôle de gardien de l'ordre et de la sécurité. Pauvres gens qui ne lui demandent pas de leur procurer une vie plus agréable, de leur donner l'instruction et de leur assurer jusqu'à certain point la moralité! « L'État, assure-t-il, est l'association générale s'il protégé les individualités, il doit en même temps songer au développement et au progrès de l'association générale. Il est, pour ainsi dire, le conseil d'administration de la société civile, et c'est pour cela qu'il ne s'en tient pas à la production indirecte et qu'il se livre à la production directe» (1).

Voilà les idées sur lesquelles s'appuyait Owen et avec lesquelles on nous a fait ces gouvernements d'énervement, de centralisation, que nous voyons, entravant tout, nuisant à tout, et que les pays qu'ils prétendent façonner à leur gré, renversent tous les douze ou quinze ans, quand leurs abus sont devenus intolérables. « Où en serions-nous, demande Rossi, si l'État s'en était remis complétement à l'action des intérêts individuels et à l'influence de l'association uniquement volontaire ? Pour le savoir, voyez ce qu'était la société dans son enfance, avant que les esprits se fussent développés, avant que les intelligences se fussent ouvertes, avant que cette grande vérité, la puissance de l'association, eût été sentie (2). La question n'est pas entre l'existence et la non-existence de l'État; c'est se donner trop aisément raison que de la poser ainsi. Répondrait-on comme il convient à l'opinion de Rossi, en invoquant, pour la condamner, la tyrannie d'un Borgia ou d'un Philippe II? La question est entre le respect des libertés individuelles et locales et leur disparition, sous un pouvoir politique suffisamment concentré. Cela admis, si l'on demandait encore ce que nous deviendrions, il serait facile de répliquer ce que sont devenus les États-Unis et l'Angleterre ; et quelle nation ou quels gouvernants le devraient beaucoup regretter? «Plus un être est imparfait, disait Goethe, plus les parties individuelles dont ils se compose se ressemblent l'une à l'autre, et plus ses parties ressemblent au tout. Plus un corps est parfait, plus les parties deviennent dissemblables. >> Carrey aurait pu s'autoriser de ces paroles quand il écrivait en faveur aussi des franchises administratives: plus sont nombreuses les différences parmi les membres, plus l'organisation doit être parfaite, et

(1) Cours d'économie politique, t. IV, p. 211. (2) Id., t. IV, p. 211.

plus grande doit être conséquemment la force (1). Rossi va jusqu'à faire de l'État l'entrepreneur émérite des plaisirs et des fêtes publiques, pensant néanmoins qu'il serait peut-être à désirer qu'on s'appliquât plus qu'on ne le fait à élever ces plaisirs, à moraliser ces divertissements »> (2). Ce serait utile, il est vrai. Mais c'était là malheureusement la croyance de tous les hommes qui gouvernaient alors la France, et quoique beaucoup d'entre eux eussent entendu les blâmes qu'avait infligés à la centralité, comme il la nommait, l'éminent penseur qu'ils avaient autrefois reconnu comme leur chef et qui méritait de l'être, M. Royer-Collard, ils se disaient, se croyaient libéraux, en abandonnant les seules bases assurées de la liberté.

Avec de telles pensées sur le rôle de l'État, Rossi ne pouvait montrer l'aversion ordinaire des économistes pour le crédit public. Aussi l'incrimine-t-il avec une extrême retenue. Quant au crédit privé, après avoir distingué les différences qui séparent le papier négociable de la monnaie, il démontre de nouveau qu'il serait erroné de lui reconnaître le pouvoir de créer des capitaux. Mais il dépasse à peine ces premières données générales, ces principes élémentaires; ses notions sur les institutions de crédit, sur leur histoire, leurs services, leurs défauts, sont extrêmement superficielles. On s'en aperçoit trop encore en lisant son rapport à la Chambre des Pairs sur le renouvellement des priviléges conférés à la Banque de France (3). A ses yeux, « le droit d'émettre des billets de banque est si dangereux que l'État doit, ou s'en réserver l'exercice, ou le régler de manière à prévenir les abus..... La libre concurrence en matière de banque est un danger que ne peuvent tolérer les lois d'un peuple civilisé. Autant vaudrait permettre au premier venu d'établir au milieu de nos cités des débits de poisons, des fabriques de poudre à canon. La libre concurrence en matière de banque n'est pas le perfectionnement, la maturité du crédit; elle en est l'enfance, ou, si l'on veut, la décrépitude. » Après mon chapitre sur Ricardo, je me crois dispensé de réfuter de pareilles assertions; l'expérience, ainsi que la théorie, est désormais décisive pour tous ceux qui la veulent consulter, en faveur de la liberté des banques. Je ne sais surtout comment Rossi, après de telles prémisses, se croyait en droit de réclamer le maintien des banques provinciales établies. Toutes les fois qu'on est décidé à l'admiration des faits existants, il est prudent de ne pas trop étendre ses explications.

Je m'arrêterai peu aux Mélanges d'économie politique, d'histoire et de

(1) Carey, Principes de la science sociale, t. Ier, ch. Ix.

(2) Cours d'économie politique, t. IV, p. 213.

(3) Mélanges d'économie politique, d'histoire et de philosophie, t. Ier, p. 339 et suiv.

philosophie, publiés sur les papiers trouvés après la mort de Rossi. On y lit cependant une étude digne d'attention sur l'histoire des doctrines et des principaux faits économiques du monde grec et romain, que j'ai signalée déjà au commencement de ce travail. Mais c'est une étude trop succincte pour laisser dans la science une trace durable. Habile résumé des connaissances acquises, elle n'ajoute rien aux découvertes des Niebuhr, des Savigny, des Boeck ou des Groote. C'est aussi bien dans ces rapides et larges aperçus, où viennent s'analyser et se fondre les travaux antérieurs les plus notables, qu'excelle Rossi. Je le répète, comme je l'ai remarqué à l'égard de Say, son esprit n'est pas fait pour les nouvelles explorations, sa critique n'a point d'audace, ses recherches ont un horizon limité; mais, comme à Say aussi, avec des pensées plus élevées et un savoir plus varié, peu de personnes lui pourraient être comparées pour l'exposition claire et achevée des vérités reconnues.

Est modus in rebus, sunt certi denique fines,

Quos ultra citraque nequit consistere rectum.

Il rappelle quelque part ce conseil, qu'il a toujours suivi, et ce ne sont ni ses œuvres, ni sa vie, qui permettraient de ne plus croire à la sagesse qu'il renferme.

Rossi n'en tient pas moins une place à jamais marquée dans l'histoire des doctrines économiques. Il clot la liste des fondateurs de la science, par l'ordonnance définitive et la belle exposition que lui doivent ses théories principales, auxquelles il a seulement ajouté, en s'autorisant des travaux de l'école politique à laquelle il appartenait, une importante démonstration de l'influence des lois et des mœurs sur la richesse. Grâce à leur méthode, à leur clarté, à leur charme de discussion, à leur aisance de style, ses écrits sont peut-être encore la meilleure école où se puissent former les jeunes générations aux connaissances économiques. Et en les acquérant sous cet illustre maître, elles se persuaderont promptement de leur grandeur et de leur profit. Sa raison froide et mesurée n'a jamais cessé, je l'ai suffisamment montré, de revendiquer, jusque dans les sphères des intérêts matériels, le respect du droit, de l'égalité, de la liberté, de tous les grands progrès de notre chrétienne et philosophique civilisation.

Comment être réellement économiste, du reste, sans accepter les véritables données d'une féconde production, d'une équitable distribution, d'une sage consommation de la richesse; lesquelles, de toute certitude, s'accordent avec les principaux et les plus nobles éléments de notre nature. C'est pourquoi l'on ne nommerait pas un seul économiste, digne de ce nom, qui n'ait été partisan des franchises publiques, de la justice sociale et de la plus pure morale privée. A l'exemple d'un auteur sué

dois du dernier siècle (1), chacun d'eux, en recommandant la pratique de ses enseignements à sa patrie, lui pourrait garantir l'honneur et la prospérité, « si elle le voulait bien. »

C'est une raison de plus de se féliciter que le courant industriel soit maintenant trop marqué chez les peuples civilisés, pour que l'économie politique ait à redouter en l'avenir l'abandon dans lequel elle a été laissée jusqu'à nous. La nécessité l'impose désormais à nos études, et plus elle se répandra, mieux seront assurées, au sein de l'ordre nécessaire au travail, les plus belles conquêtes du genre humain : la justice, la solidarité, la liberté. On se souvient de l'éloquente page où Macaulay, énumérant les bienfaits de la réformation religieuse et de la Révolution française, les compare aux volcans qui recouvrent de couches fertiles les terres que la lave avait d'abord dévastées. Quand les connaissances économiques se seront largement répandues parmi les populations, ces couches fécondes ne cesseront plus de s'accroître, sans étre précédées d'aucune cendre brûlante. C'est surtout en étudiant le passé et en considérant le présent des hauteurs sereines de notre science, qu'on sent ason cœur se remplir et se gonfler d'espérance pour les destinées futures de la race humaine » (2). Si nulle longue stabilité, nul ordre social solide n'est à espérer, en dehors du travail, du droit, de l'équité, toute légitime grandeur se peut obtenir avec ces choses.

Gustave DU PUYNODE.

LA NATURE DE L'IMPOT

ET

LA DÉPOPULATION DES CAMPAGNES

Quelques-unes des opinions que j'ai soutenues dans la Société d'économie politique en diverses occasions, viennent d'être rappelées et jusqu'à un certain point contestées dans le dernier numéro du Journal des Economistes, par MM. R. de Fontenay et Ch. Le Hardy de Beaulieu, le premier dans un article intitulé: L'impôt n'agit-il sur la production que comme aggravation du prix de revient? Le second dans un article intitulé: La dépopulation des campagnes est-elle à désirer ou à regretter? Je tiens trop à l'opinion d'économistes comme MM. de Fontenay et Le Hardy de

(1) Jonas Abströmer. Il a laissé en mourant (1761) un manuscrit intitulé: La Prospérité de la Suèdé, si elle le veut bien.

(2) Macaulay, Essais historiques et biographiques. ➡ Burleigh et son temps.

Beaulieu, pour ne pas essayer d'éclaircir avec eux les doutes qui peuvent s'élever dans leur esprit. Pleinement d'accord sur les principes, nous ne pouvons différer que par des nuances ou plutôt par des malentendus.

Je dois d'abord rectifier un fait. M. de Fontenay commence ainsi : « On se rappelle peut-être que, dans les discussions qui ont amené l'enquête agricole, M. L. de Lavergne proposa d'établir sur les blés importés un droit de 1 fr. 25 cent.; ce droit représentant, d'après l'honorable économiste, l'équivalent et la compensation du chiffre dont l'impôt foncier grève le prix de revient des blés français. La Société d'économie politique, qui est libre-échangiste, accueillit assez mal la proposition d'une taxe quelconque. Elle condamna surtout le but assigné à la taxe et l'idée d'égaliser entre les nationaux et les étrangers les conditions de la production. C'est là en effet une doctrine qui aboutit logiquement à la protection la plus absolue et qui est radicalement destructive de tout échange international; car on n'a intérêt à importer et on n'importe que les denrées que l'étranger produit à meilleur marché que nous; et l'étranger ne produit évidemment ces objets à meilleur marché que parce qu'il est dans des conditions meilleures de production; c'est élémentaire. On pouvait d'ailleurs faire observer qu'à supposer qu'on tint particulièrement à égaliser les blés de toute provenance vis-à-vis de l'impôt, le droit d'entrée ne devait pas représenter le montant intégral de notre impôt foncier, mais seulement la différence entre l'impôt français et l'impôt que les blés étrangers ont à supporter dans le pays d'origine. »

Cette manière de présenter mes idées contient une grave inexactitude dont je me suis déjà plaint plusieurs fois. Il est vrai que, soit dans des écrits qui remontent à plus de dix ans, soit dans des discussions plus récentes, j'ai demandé un droit d'un franc 25 centimes par quintal métrique sur les céréales d'importation étrangère et en général un droit de 5 0/0 sur tous les produits agricoles étrangers, comme formant à peu près l'équivalent de l'impôt foncier sur les produits français; mais il n'est nullement exact que j'y aie cherché les moyens d'égaliser entre les nationaux et les étrangers les conditions de la production. J'ai protesté au contraire contre cette interprétation. Je reconnais sans difficulté qu'une pareille doctrine aurait beaucoup d'analogie avec le système protecteur, et je la repousse absolument. J'ai toujours soutenu, dans mes discussions contre les protectionnistes agricoles, car j'ai eu affaire dans cette question à deux sortes d'adversaires, qu'il était inutile et chimérique de rechercher les prix de revient en France et à l'étranger, et d'essayer d'établir entre eux une compensation impossible.

Mon droit de 5 0/0 n'est ni un droit protecteur, ni un droit compensateur; c'est un droit fiscal, destiné purement et simplement, comme tous les droits fiscaux, à donner une recette au trésor français.

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