Images de page
PDF
ePub

éternel que l'on a juré. Je crie tout haut à quiconque eft tombé dans ces pieges d'amourettes, taillez, tranchez, rompez, il ne faut pas s'amufer à découdre ces folles amitiez, il les faut déchirer: il n'en fautpas dénouer les liaifons, il les faut rompre ou couper, auffi bien les cordons & liens n'en valent rien. Il ne faut point ménager pour un amour qui eft fi-contrai-re à l'amour de Dieu.

Mais aprés que j'aurai ainsi rompu les chaînes de cet infâme efclavage, encore: m'en restera-t'il quelque reffentiment, & les marques & traces des fers en demeureront encore imprimées en mes pieds, c'eft à dire, en mes affections. Non feront, Philothée, fi vous avez conceu autant de deteftation de vôtre mal, comme il 'merite; car fi cela eft, vous ne ferez plus agitée d'aucun mouvement que de celui d'une extrême horreur de cet' infame amour, & de tout ce qui en dépend : & demeurerez quitte de toute autre affetion envers l'objet abandonné, que de celle d'une tres-pure charité pour Dieu mais fi pour l'imperfection de vôtre repentir, il vous refte encore quelques mauvaises inclinations, procurez

pour

[ocr errors]
[ocr errors]

vôtre ame une folitude mentale, felon' ce que je vous ai enseigné ci-devant, & retirez-vous- y le plus que vous pourrez, & par mille reiterez élancemens d'efprit renoncez à toutes vos inclinations reniez-les de toutes vos forces lifez plus que l'ordinaire des faints Livres, confeflez-vous plus fouvent que de coûtume, & vous communiez; conferez humblement & naïvement de toutes les fuggestions & tentations qui vous arriveront pour ce regard, avec vôtre Directeur, fi vous pouvez, ou au moins avec quelque ame fidele & prudente. Et ne doutez point que Dieu ne vous affranchiffe de toutes paffions, pourveu que vous continuïez fidelement en ces exercices.

Ha! ce me direz-vous, mais ne fera-ce point une ingratitude de rompre fi impiteufement une amitié ? ô que bienheureufe eft l'ingratitude qui nous rend agreables à Dieu! Non de par Dieu, Philothée, ce ne fera pas ingratitude, mais un grand benefice que vous ferez à l'Amant :car en rompant vos liens, vous romprez les fiens, puis qu'ils vous étoient communs ; & bien que pour l'heure il ne s'apperçoive

pas

de fon bon-heur, il le reconnoîtra bien-toft aprés, & avec vous chantera pour action de grace: O Seigneur, vous avez rompu mes liens, je vous facrifierai l'hoftie de louange, & invoquerai vôtre faint Nom.

Quelques autres avis sur le sujet des amitiez.

J'

CHAPITRE XXII.

'A Y encore un avertiffement d'importance fur ce fujet. L'amitié requiert une grande communication entre les Amans, autrement elle ne peut ni naître, ni subfifter. C'est pourquoi il arrive fouvent qu'avec la communication de l'amitié plufieurs autres communications paffent & fe gliffent infenfiblement de cœur en cœur, par une mutuelle infufion & recipro que écoulement d'affections, d'inclinatios, & d'impreffions: Mais fur tout, cela arrive quand nous eftimons grandement celui que nous aimons; car alors nous ouvrons tellement le cœur à fon amitié qu'avec icelle fes inclinatios&impreffions entrent aisément toutes entieres, foit qu'elles foient bonnes, ou qu'elles foient

[ocr errors]

mauvaises. Certes, les abeilles qui amaf fent le miel d'Heraclée, ne cherchent que le miel, mais avec le miel elles fuccent infenfiblement les qualitez veneneufes de l'aconit,fur lequel elles font leur cueillette. Or donc, Philothée, il faut bien pratiquer en ce fujet la parole que le Sauveur de nos ames fouloit dire, ainfi que les Anciens nous ont appris. Soiez bons Changeurs & Monoyeurs : c'eft à dire, ne recevez pas la faufle Monoye avec la bonne, ni le bas or avec le fin or : feparez le précieux d'avec le chetif; oui, car il n'y a prefque celui qui n'ait quelque imperfection. Et quelle raifon y at-il de recevoir peflemefle les târes & imperfections de l'ami avec fon amitié? Il le faut certes aimer nonobftant fon imperfection, mais il ne faut ni aimer, ni recevoir fon imperfe ction; car l'amitié requiert la cominunication du bien, & non pas du mal. Comme donc ceux qui tirent le gravier du Tage, en feparent l'or qu'ils y trouvent pour Fe 'emporter, & laiffent le fable fur le rivage, de même ceux qui ont la communication de quelque bonne amitié, doivent en faparer le fable des imperfections & ne le point laiffer entrer en leur ame

تو

Certes, faint Gregoire Nazienzene témoigne que plufieurs aimans & admirans faint Bafile, s'étoient laiffez porter à l'imiter, même en fes imperfections exterieures, en fon parler lentement, & avec un efprit abftrait & penfif, en la forme de fa barbe, & en fa démarche. Et nous voions des maris, des femmes, des enfans, des amis, qui aians en grande estime leurs amis, leurs peres, leurs maris & leurs femmes, acquierent ou par condefcendance, ou par imitation, mille mauvaises petites humeurs au commerce de l'amitié qu'ils ont ensemble. Or cela ne fe doit aucunement faire, car chacun a bien affez de fes mauvaifes inclinations, fans fe furcharger de celles des autres : non feulement l'amitié ne requiert pas cela, mais au contraire, elle nous oblige à nous entr'aider, pour nous affranchir reciproquement de toutes fortes d'imperfeations. Il faut fans doute fupporter douce-ment l'ami en fes imperfections, mais non pas le porter en icelles, & beaucoup moins les tranfporter en nous.

Mais je ne parle que des imperfections; car quant aux pechez, il ne faut ni les por ter ni les fupporter en l'ami, C'eft une ami-

« PrécédentContinuer »