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&va mourir bien loin du lieu où elle a été bleffée, & plufieurs jours aprés. Ainft certes Nôtre-Dame fut bleffée & atteinte du dard de douleur en la Paffion de fon Fils fur le mont deCalvaire, & neanmoins ne mourut pas à l'heure, mais porta longuement la plaie,par laquelle enfin elle mourut, O plaie amoureufe! ô bleffure de charité, que vous futes cherie & bienaimée du cœur que vous bleffates! Ariftote raconte que les Chevres fauvages de Candie (Pline en dit de même des Cerfs) ont une malice & une rufe, ou plûtôt un instinct admirable, car êtant tranfpercées d'une fléche,elles recourent au dictamnon, par le moien duquel la flèche eft expulfée & rejettée du corps. Mais qui eft le Chrêtien qui n'ait été quelquefois bleffé du dard de la Paffion du Sauveur ? qui est le cœur qui ne foit atteint, confiderant fon Sauveur fouetté, tourmenté, garotté, cloüé, courronné d'épines, crucifié ?Mais je ne fçai fi je dois dire que la plupart des Chrêtiens reffemblent aux hommes de Candie, defquels parlant l'Apôtre, il dit: Cretenfes mendaces,ventres pigri,mala baftia: Les Candiots font menteurs ventres couarts, mauvaises bêtes ; au moins: puis-je bien dire que plufieurs reffemblent

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aux Chevres fauvages de Candie, car aiant été bleffez & atteints en leur ame de la Paffion du Sauveur, ils recourent incontinent au dictamnon des confolations mondaines, par lequel les dards de l'amour divin font rejettez & repouffez de leur memoire. Au contraire la Sainte Vier ge fe fentant bleffée, cherit & garda foigneufement les traits dont elle étoit ou trepercée, & ne voulut jamais les repousfer. Ce fut fa gloire, ce fut fon triomphe; & partant elle defira d'en mourir, & en mourut enfin, fi qu'elle moutut de la mort de fen Fils, bien qu'elle n'en mourût pas fur l'heure.

Or fine faut-il pas s'arrêter ici, ce fujet eft agreable à mon avis. Nôtre-Dame mourut de la mort de fon Fils, mais fon Fils de quelle mort mourut-il? Voici des nouvelles flammes, ô Chrêtiens: Nôtre-Seigneur fouffrit infiniment en fon ame & en fon corps, fes douleurs ne reçoivent point de comparaifon en ce monde. Voiez les afflictions de fon cœur, voiez les paffions de fon corps, confide rez, je vous fupplie, & voiez qu'il n'y a point de douleurs égales aux fiennes ; mais neanmoins toutes ces douleurs, toutes ces afflictions, tous ces coups de main,

de rozeaux, d'épines, de foüet, de mar teaux, de lance, ne pouvoient le faire mourir ; la mort n'avoit pas affez de force pour fe rendre victorieufe fur une telle vie, elle n'y avoit point d'accés. Comme mourut-il donc, ô Chrêtiens? l'amour eft auffi fort que la mort, Fortis ut mors di lectio, l'amour defiroit que la mort entraft en Nôtre Seigneur, afin que par fa mort il pût fe répandre en tous les hommes. La mort defiroit y entrer, mais elle ne pouvoit d'elle-même, elle attendit l'heure, heure bien-heureuse pour nous, à laquelle l'amour lui fit l'entrée, & lui livra Nôtre Seigneur pieds & mains cloüez; fi que ce que la mort n'eut pû faire, l'amour auffi fort qu'elle l'entreprit & le fit. Il eft mort d'amour, ce Sauveur de mon ame, la mort n'y pouvoit rien que par le moien de l'amour. Oblatus eft quia ipfe voluit, ce fut election qu'il mourut, & non la force du mal; Ego pono animam meam,nemo tollit eam à me, Sed ego pono eam. Tout autre homme fût mort de tant de douleurs, mais Nôtre Seigneur qui tenoit en fes mains les clefs de la mort & de la vie ; pouvoit toûjours empêcher les efforts de la mort, & les

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effets des douleurs. Mais non, il ne voulut pas, l'amour qu'il nous portoit comme une Dalila qui luy ôta toute la force,& fe laiffa volontairement moutir ; & partant il n'eft pas dit que fon efprit fortit de lui,mais qu'il le rendit, Emifit fpiritum. Et faint Atha nafe note qu'il baiffa la tête avant que de mourir, Inclinato capite emifit fpiritum, pour appeller la mort, laquelle autrement n'eût ofe s'approcher. C'eft cela qui le fait crier à pleine voix en mourant, pour montrer qu'il avoit affez de force pour ne mourir pas s'il lui eût plû. C'est la refolution qu'il donne lui-même; Majorem charitate nemo habet, quam ut animam fuam ponat quis pro amicis fuis. Ileft donc mort d'amour, & c'eft ce qui fait que fon facrifice de la croix fut un holocaufte, parce qu'il fut confommé par ce feu invifible, mais dautant plus ardent de fa divine charité qui le rend Sacrificateur en ce facrifice, & non les Juifs ouGentils qui le crucifierent,dautant qu'ils n'euffent fçû lui donner la mort par leurs actions, fi fon amour par le plus excellent acte de charité qui fut onques, n'en eût permis & commandé le dernier effet, puifque tous les tourmens qu'ils lui firent, fuffent demeurez fans effet, s'il

n'eût voulu leur permettre la prife fur fa vie, & leur donner force fur lui: Non ha beres poteftatem adversùm me,nifi datum tibi effet defuper.

Or puifqu'il eft certain que le Fils eft mort d'amour, & que la Mere eft morte de la mort du Fils, il ne faut pas douter que la Mere ne foit morte d'amour. Mais comment cela ? Vous avez veu qu'elle fut bleffée d'une plaie d'amour fur le mont de Calvaire voiant mourir fon Fils, dés lors cet amour lui donna tant d'affauts, elle reffentit tant d'élancemens, cette plaie reçût tant d'inflammations, qu'enfin il fut impoffible qu'elle n'en mourut, Elle ne faifoit que languir, fa vie n'étoit plus qu'en défaillances & raviffemens, elle fe fondoit en elle-même partant de chaleurs, fi qu'elle pouvoit bien dire ordinairement,Stipate me floribus,fulcite me malis,quia amore langueo:appuiez-moi de fleurs, environnez-moi de pommes, car je languis d'amour. Ammonépris de l'amour infame de Thamar en devint fi malade, qu'on le voioit mourir & deffei

cher.

O que l'amour divin eft bien plus actif & puiffant, fon objet, fon principe eft

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