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naye. Voici quelques passages de son discours, et le projet de loi qu'il propose :/

« Messieurs, depuis plus de quatre mois le trône de l'usurpateur est renversé; depuis quatre mois le souverain légitime, rentré dans sa capitale, a épuisé tous les moyens de modération, d'indulgence et d'oubli, pour ramener les factieux aux sentimens de leurs devoirs, et rendre à la France le calme et le bonheur après lesquels elle soupire depuis si long-temps.

» Après cette dernière révolution, qui dura peu sans doute, mais pendant laquelle tous les fermens de discorde ont éclaté, pendant laquelle les exagerations, les haines, l'esprit de parti se sont mis en évidence, un nombre infini de magistrats, d'administrateurs, de citoyens se sont trouvés compromis, et le licenciement de l'armée est devenu indispensable. Des hommes qui ont tout perdu, ou qui craignent de tout perdre, des coupables épouvantés de leurs crimes, et qui n'osent croire ni à la grandeur, ni à la sincérité de la clémence royale, sont devenus des auxiliaires tous prêts à un nouveau mouvement, et les grands conspirateurs, augmentant les inquiétudes, ont profité habilement de toutes ces positions embarrassées, peut-être même du désespoir de quelquesuns, pour grossir leur parti, et le rendre redoutable.

» D'un autre côté, la publication de l'ordonnance du 24 juillet, la désignation de coupables que l'on ne pouvoit atteindre, la liberté que l'on laissoit à une autre classe après l'avoir placée entre l'échafaud et le bannissement, ont donné à la tourbe des factieux de nouveaux chefs d'autant plus dangereux, qu'ils ne voient de salut que dans le renversernent du gouvernement.

» Joignez à toutes ces fautes celle de différér la punition des grands coupables, cette hésitation, qui paralyse l'action de la puissance, et vous connoîtrez, messieurs, que c'e-t au désespoir des uns, à l'inquiétude des autres, et à la réunion de tous, que nous devons attribuer notre situation dangereuse.

» Pour la faire cesser, il est temps de recourir à de nouvelles mesures. Les factieux ne sont pas à craindre par eux-mêmes; ils ne peuvent rien que par la multitude qu'ils égarent ou qu'ils inquiètent. Faites cesser ces inquiétudes, isolez-les de leurs complices, ils auront bientôt le sentiment de leur foiblesse.

» Pour faire cesser les craintes de la multitude, une amnistie est néeessaire. Cette amnistie doit être grande, généreuse, irrévocable; elle ne peut devenir irrévocable que par une loi; elle ne peut être généreuse qu'en couvrant du manteau de l'indulgence la presque totalité des coupables; elle ne peut conserver le caractère de grandeur qui doit la distinguer de la foiblesse, qu'en exceptant ces conspirateurs déhentés, ces hommes dangereux qui, à toutes les époques de la révolution, out marqué dans ses rangs, l'ont, si j'ose le dire, exploitée à leur profit, et élevé leur fortune sur les malheurs publics. Elle doit excepter ces généraux, ces commandans de corps qui, traîtres à leur patrie, parjures à leurs scrmens, out donné le signal'de la défection, et renversé le trône qu'ils étoient appelés à défendre.

C'est en isolant ainsi ces coupables que vous les punirez sans danger.

» Trop long-temps, messieurs, artisans de nos désastres, ils surent se cacher derrière leurs nombreux complices, et échapper ainsi à des châtimens mérités.

» Le moment de la justice est arrivé. Ses effets doivent être prompts et terribles, pour que le calme et la tranquillité renaissent de toutes parts, et qu'il reste de ces grands exemples une frayeur salutaire, garaute d'un meilleur avenir.

« C'est une amnistie basée sur ces principes que j'ai l'honneur de vous proposer, messieurs; je vais les discuter devant vous, et je terminerai en vous soumettant le projet de loi ».

M. de la Bourdonaaye a ensuite examiné et discuté chacun des arti eles de son projet.

Projet de loi.

Art. 1er. Amnistie pleine et entière est accordée à ceux qui, direc tement ou indirectement, ont pris part à la conspiration du jer. mars, tant pour les faits antérieurs de rebellion qui s'y rapportent, que pour ceux qui ont eu lieu jusqu'au 8 juillet, jour de l'entrée du Roi à Paris. 2. Sont exceptés de cette amnistie :

1o. Les titulaires des grandes charges administratives et militaires qui ont constitué le gouvernement de l'usurpateur, lesquelles charges seront déterminées par la chambre;

2o. Les généraux, les commandans de corps ou de place, les préfets qui ont passé à l'usarpateur, fait arborer son drapeau, ou exécuté ses ordres, ou commis des actes de violence contre les autorités légitimes, jusqu'à l'époque qui sera fixée par la chambre;

30. Les régicides qui ont renoncé à leur amnistie, en acceptant des places de l'usurpateur, ou en siégeant dans les deux chambres, ou en signant l'acte additionnel aux constitutions de l'empire.

3.- Les individus désignés par les paragraphes 1 et 2 de l'art. 2, seront arrêtés et traduits, savoir: Les militaires devant les conseils de guerre; les magistrats, fonctionnaires publics, les simples citoyens, devant les tribunaux compétens, pour y être jugés sur les faits ou acceptations de places désignés dans les paragraphes 1 et 2 de l'art. 2, et condamnés, si les faits sont constans, aux peines prescrites par l'art. 87 du Code pénal, contre ceux qui ont renversé le gouvernement - établi.

4. Les individus désignés dans le troisième paragraphe de l'art. 2, seront également arrêtés, traduits devant les tribunaux compétens pour y être jugés sur les faits énoncés audit paragraphe, et condamnés, s'ils sont constans, à la déportation, par adoucissement des peines encou rues par lesdits actes de rebellion.

5. Les revenus des biens appartenans aux contumaces, seront séques trés, déposés à la caisse d'amortissement, et ne pourront être remis

leurs familles qu'après les délais fixés pour la mort présumée des absens, et sous la déduction des frais de gestion et de réparation dûment

constatés.

Dans la séance du 15, M. de Bonald a fait, au nom de la commission centrale, un rapport sur la proposition de M. Hyde de Neuville, tendante à réduire le nombre des tribunaux, et à suspendre l'institution royale des juges. Ce rapport se fait surtout remarquer par des idées neuves, des principes féconds, et des considérations profondes, qui rappellent la maniere large et l'esprit scrutateur de l'auteur de la Législation primitive. Nous en citerons quelques extraits :

<«< Autrefois la magistrature étoit le premier corps de l'administration, comme le sacerdoce étoit le premier corps de la constitution; admirable disposition qui avoit placé à la tête de la société la religion et Ja justice!

» Les assemblées politiques qui se succédèrent en France, et qui finirent par se rendre perpétuelles, ne purent changer la constitution du pouvoir sans changer en même temps les principes et les formes de l'administration judiciaire. Les corps qui appliquoient la loi durent nécessairement s'abaisser devant le corps qui la faisoit; l'ordre judiciaire perdit toute participation au pouvoir politique. Le droit de conseil ou de remontrance, réservé anx cours souveraines de magistrature, passa aux particuliers, et devint le droit de pétition individuelle; la haute police, ou la police politique qu'elles exerçoient, passa entre les mains du gouvernement, et fit le département spécial d'un ministre. L'institution du juri donna au peuple le droit de prononcer sur la vie et l'hopneur des citoyens. Les fonctions publiques s'individualisèrent, si on peut le dire; elles devinrent une affaire de particuliers, et les juges cessèrent d'être magistrats.

>> On est, au premier aperçu, frappé de l'accroissement du nombre des cours d'appels ou tribunaux de première instance, surtout lorsqu'on considère que la matière même d'un grand nombre de procés, féodale, canonique, bénéficiale, a disparu; que des questions fertiles en difficultés ont été simplifiées par le Code et les diverses coutumes ramenées à une loi uniforme, et qu'enfin les questions commerciales sont jugées par des tribunaux de commerce beaucoup plus nombreux qu'autrefois, et les causes criminettes par le juri, qui n'occupe qu'un petit nombre de juges.

» Quand le tribunal est à une juste distance du plus grand nombre des justiciables, les premiers mouvemens des passions ont le temps de la réfléxion; les conseils des amis, l'influence d'un homme considéré, la raison même des parties peuvent se faire entendre; et souvent la conciliation termine un différend qui, porté devant les tribunaux, auroit ruiné également le vainqueur et le vaincu.

» D'ailleurs, et c'est un vice universelle ment remarqué, tout se rapetisse dans les petits tribunaux, et même la justice. Ces corps peu

nombreux, que l'absence ou l'empêchement d'un seul juge paralyse tout un tribunal, offrent presqu'à chaque séance le risible spectacle d'avocats suppléans quittant les bancs du barreau pour monter sur les siéges des juges, et cédant bientôt la place à un de leurs confrères pour reprendre le rôle de partie. Les juges, trop rapprochés du peuple par leur fortune et quelquefois par leurs habitudes, le tribunal trop au niveau du public, n'out ni assez de dignité, ni assez d'autorité, et dans les petits lieux et dans des temps de partis, les parens, les amis, les hommes puissans, les hommes redontés, le public, tout juge, hors les juges eux-mêmes: la connoissance des affaires, les talens du barreau avortent faute d'exercice et d'aliment, ou vont chercher un plus grand théâtre. Les talens comme les fortunes s'accumulent dans les grandes cités; les causes importantes, les questions compliquées ne trouvent plus, dans les premiers tribunaux, ni avocats, ni juges; et un jugement de première instance n'est plus considéré que comme une formalité indispensable pour porter l'affaire au tribunal d'appel.

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» Dans quelle proportion, continue M. de Bonald, se fera la réduction du nombre des cours et des tribunaux? Votre commission, sieurs, n'a point d'opinion à cet égard; elle laisse tous les détails d'exécution à la sagesse et aux lumières du Roi et de son conseil.

>> Nous allons répondre aux objections qui ont été faites contre la ré duction des tribunaux.

>> 1o. On fera des mécontens en réduisant le nombre des tribunaux. Messieurs, on fera bien pis, on fera peut-être des malheureux; mais on fait des mécontens et même des malheureux en réduisant l'armée, les administrations, les bureaux : la révolution, qui a fait et défait sans cesse, n'a fait que des mécontens et des malheureux. Les mécontens seront les juges justement destitués, et la faute n'en est pas au gouvernement; les malheureux seroient les juges fidèles et intègres, et ceuxlà trouveront place dans les tribunaux conservés. La crainte de faire des mécontens, et même des malheureux, ne peut pas être une raison de différer des mesures devenues nécessaires, et elle ne doit pas em→ pêcher de réduire à de justes proportions les institutions gigantesques de gouvernemens toujours hors de toute mesure, et qui embrassoient le monde entier dans leur projet de domination.

»Je passe, messicurs, à la seconde partie de la proposition de M. Hyde de Neuville, à la suspension, pendant un an, de l'institution royale des juges; c'est-à-dire, comme l'auteur de la proposition l'a entendu, et la chambre elle-même, lorsqu'elle a arrêté de la prendre en considération, à la suspension pendant un an de l'inamovibilité des fonctions judiciaires.

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» Votre commission a vu, dans la certitude de conserver un état honorable, le prix du temps employé à des études longues et austères, et la digne récompense d'une jeunesse sage et utilement occupée; elle vu dans l'exercice non interrompu des fonctions judiciaires le moyen, pour un juge, d'acquérir ce coup d'oeil, cette sagacité, en un mot cette habitude de juger qui ne s'apprend pas dans les livres, et qui démêle le vrai nœud d'une difficulté, le point décisif d'une Contestation à travers toutes les subtilités de la chicane et toutes les

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ruses de la mauvaise foi; elle a vu enfin, dans la perspective assurée que la loi donne au juge de mourir dans sa place, le dédommagement d'avoir vécu, tristement occupé à dérouler le long tableau des misères, des foiblesses, des crimes de l'humanité, etc. etc.

» Mais votre commission a pensé que la suspension de l'institution royale pendant un an après la nomination, proposée seulement pour le moment actuel et la première nomination des juges, pouvoit être étendue à tous les temps et à toutes les nominations, et être, à l'avenir, une loi constante de l'organisation judiciaire.

» Ici, messieurs, vous remarquerez peut-être la modération des sentimens de votre commission dans l'intention qu'elle a eu d'ôter tout caractère de spécialité, et, si nous osons le dire, de personnalité à la mesure proposée, qui n'appliquoit la suspension qu'aux juges nommés dans la première et prochaine organisation des tribunaux personne ne peut se plaindre d'une mesure commune à tous.......

» Tels sont, messieurs, les motifs de notre opinion, et quelle que soit celle de la chambre, elle ne pourra, du moins nous le croyons, que rendre justice aux intentions de sa commission.

» Mais, dit-on, vous ferez donc juger pendant un an par des juges amovibles? MM. les juges de paix jugent et ne sont point inamovibles; les juges de commerce jugent, et même de grands intérêts, et ne sont pas inamovibles; les arbitres jugent et ne sont pas inamovibles; les conseils de guerre jugent et ne sont pas inamovibles; les jurés jugent, ils prononcent sur la vie et l'honneur des citoyens, et ils ne sont pas inamovibles; mais même dans les tribunaux dont les juges sont inamovibles, dans les tribunaux de première instance, il n'y a pas d'affaire un peu importante dans laquelle les avocats ne soient obligés de suppléer des juges; et des avocats suppléans, loin d'être inamovibles, n'ont pas même le caractère de juges.

» Les hommes estimables et considérés, dit-on encore, ne voudront pas accepter des fonctions au hasard d'en être dépouillés au bout d'un au par l'intrigue et la prévention. Messieurs, descendez en vous-mêmes, et dites-nous si l'honnête homme, l'homme de bien, éprouve jamais, en acceptant des fonctions honorables, la crainte d'être destitué. L'usurpateur, qui n'accordoit l'institution à vie que cinq ans après la nomination, non-seulement pour les fonctions de juge, mais pour celles de conseiller d'Etat, n'a-t-il pas trouvé des hommes d'un vrai mérite et d'une grande capacité pour remplir ces différens emplois? et vous douteriez si, avec la faim et la soif des places qui nous tourmentent, avec les besoins urgens où le malheur des temps a plongé tant de familles vertueuses, vous douteriez si des places honorables seroient acceptées par des hommes qui trouveroient, dans la conscience de leur intégrité, la confiance, disons mieux, la certitude de les conserver!

» Si l'on croit nécessaire une première épuration, pourquoi pas une seconde, une troisième, etc.? Messieurs, ne pressons pas les vérités morales et politiques, si nous ne voulons pas qu'elles nous échappent. Il faut tendre à la perfection dans les hommes; nous n'aurons pas sans doute des juges parfaits, mais nous aurons un moyen de plus d'écarter des juges indignes de l'être; là s'arrête la raison.

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