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fon procès. On publia toutes les fommes qu'il avoit reçues de ceux qui avoient des affaires au Confeil de l'Empereur, & quelquefois même, des deux parties. Il fut enfuite ordonné qu'il feroit attaché à un poteau, & qu'autour de lui on allumeroit du foin & du bois verd, afin que la fumée l'étouffât; ce qui fut exécuté. Un hérault crioit pendant l'exécution : Le vendeur de fumée eft puni par la fumée..

Une fille alla fe plaindre à Charles, Duc de Calabre, de ce qu'un Gentilhomme l'avoit abufée. Le Duc condamna le Gentilhomme à donner à cette fille cent florins d'or. Mais lorsqu'elle fut partie, il lui dit de la fuivre, & de repren dre la fomme dont elle étoit chargée. La chofe n'étoit pas aifée; on fut lui faire réfiftance, & la fille revint fe plaindre de ces violences au Duc, qui lui dit: Si vous euffiez eu autant de foin » pour conferver votre honneur que pour dé» fendre votre argent, vous ne l'euffiez pas per » du. Allez, ma mie, n'y retournez plus".

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La veuve d'un Grand d'Espagne voulut épou fer un de fes Gentilshommes qui étoit très-bien fait & d'une figure fort agréable. Le jeune hom. me, par une délicatesse affez rare, lui représenta long-temps & vivement, qu'une alliance fi difproportionnée la couvriroit d'un éternel opprobre. Cette femme, pour toute réponse, fit couper les narines des deux chevaux de carroffe trèsbeaux & très-connus, dont elle continua à se fervir pour les vifites & fes promenades. Une bizarrerie fi nouvelle devint d'abord la matiere de tous les entretiens; on en parla moins peu de temps après, & enfin on n'en dit plus rien du tout. Voilà ce qui nous arrivera, dit la Dame à fon Gentilhomme, en lui faifant obferver ce

qui venoit de fe paffer. Ce raifonnement finit la difficulté. Mém hift.

Louis Guyon, dans fes diverfes leçons, rapporte qu'un certain Moine jouant à la paume avec François I contre plufieurs Seigneurs, fit adroitement un coup de raquette qui décida de la partie en faveur du Roi. Le Prince furpris, dit auffi-tôt: Voilà un bon coup de Moine. Sire, répartit finement le Moine: Ce fera un coup d'Abbé quand il vous plaira. Une abbaye étant venue à vaquer trois jours après, le Moine, dit l'hiftoire, l'obtint principalement pour avoir fi bien rencontré. Rabelais raconte un mot tout femblable de l'Abbé de Caftiller. Liv. 5 chap. 17.

Philippe-le-Bon, Duc de Bourgogne, fe promenant un foir à Bruges, trouva dans la place publique un homme étendu par terre, où il dormoit profondément. Il le fit enlever, & porter dans fon palais, où, après qu'on l'eut dépouillé de fes haillons, on lui mit une chemise fine, un bonnet de nuit, & on le coucha dans un lit du Prince. Cet ivrogne fut bien surpris à son réveil, de fe voir dans une fuperbe alcove, environné d'Officiers plus richement habillés les uns que les autres. On lui demande quel habit Son Alteffe vouloit mettre ce jour-là. Cette demande acheva de le confondre; mais après mille proteftations qu'il leur fit qu'il n'étoit qu'un pauvre favetier, & nullement Prince, il prit le parti de fe laiffer rendre tous les honneurs dont on l'accabloit; il fe laiffa habiller, parut en public, ouit la Meffe dans la Chapelle Ducale, y baifa le miffel; enfin, on lui fit faire toutes les cérémonies accoutumées: il paffa à une table somptueuse, puis au jeu, à la promenade, & aux autres divertiffements. Après le fouper, on lui

donna le bal. Le bon-homme ne s'étant jamais trouvé à telle fête, prit libéralement le vin qu'on lui préfenta, & fi largement, qu'il s'enivra de la bonne maniere. Ce fut alors que la comédie fe dénoua. Pendant qu'il cuvoit fon vin, le Duc le fit revêtir de fes guenilles, & le fit rapporter au même lieu d'où on l'avoit enlevé. Après avoir paffé la toute la nuit, bien endormi, il s'éveilla, & s'en retourna chez lui raconter à sa femme tout ce qui lui étoit effectivement arrivé, comme étant un fonge qu'il avoit fait. Cette hiftoriette a fourni le fujet d'une comédie Italienne : Arlequin toujours Arlequin.

Le Marquis del Gouast, Général des Impériaux, en 1543, venoit de perdre une bataille contre le Duc d'Enghien, qui commandoit les François. Comme avant l'attaque, ce Marquis s'étoit flatté de la victoire, qu'il s'étoit même vanté vis-à-vis quelques Dames, de leur mener liés Enghien & les jeunes volontaires de l'armée Françoife, on fe croyoit en droit de rire à fes dépens. » J'ai ouï, dit Brantôme à ce sujet, » faire un bon conte à une Dame de la Cour, » que pour la part du butin de la bataille, & des » coffres & hardes de M. le Marquis del Gouaft, » qui étoit curieux en tout, il fut envoyé au » Roi, par M. d'Enghien, une montre fort bel»le, riche & bien labourée. Le Roi accepta » le préfent de très-bon cœur. Et ainsi qu'il la » tenoit entre les mains, & l'admiroit devant » les Dames de la Cour, il y eut Madame de » Nemours, foeur du Prince victorieux, belle » Dame, honnête & très-bien difante, & qui » rencontroit des mieux, qui dit au Roi ". PenJez, Sire, que cette montre n'étoit pas bien montées lorfqu'elle fut prife; car fi elle eût été aussi bien

montée que M. le Marquis fon maître, vous ne l'euffiez pas eue, & fe fût fauvée auffi-bien que lui. Le Roi trouva le conte très-bon, & toute la compagnie. Brantôme.

Alphonfe, Roi d'Arragon, étoit venu voir les bijoux d'un jouaillier, avec plufieurs de fes courtisans. Il fut à peine forti de la boutique, que le marchand courut après lui, pour se plaindre du vol qu'on lui avoit fait d'un diamant de grand prix. Le Roi rentra chez le marchand, & fit apporter un grand vafe plein de fon. Il ordonna que chacun de fes courtifans y mît la main fermée, & l'en retirât toute ouverte : il commença le premier. Après que tout le monde y eut paffé, il ordonna au jouaillier de vuider le vafe fur la table; par ce moyen, le diamant fut trouvé, & perfonne ne fut déshonoré.

Jafon Magnus, & Barthelemi Socin, célebres Jurifconfultes de Pife, dans le quinzieme fiecle, difputoient fouvent l'un contre l'autre fur des matieres de droit. Un jour que Laurent de Médicis étoit préfent à leurs difputes, Jafon fe fentant pouffé à bout par fon adverfaire, s'avifa de forger fur le champ une loi qui lui donnoit gain de caufe. Celui-ci s'apperçut de la fupercherie; & comme il n'étoit pas moins rufé, il renverfa auffi-tôt cette loi, par une autre auffi formelle, Jafon, qui n'avoit jamais entendu parler de cette loi, fomma Socin d'en citer l'endroit. Elle fe trouve, répondit Socin, fans hésiter, à côté de celle que vous venez de rapporter. Laurent de Médicis applaudit à la répartie, & tout le monde fut content de cette efpece. de joûte.

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Louis XI n'étant que Dauphin, alloit quelquefois manger du fruit chez un payfan. Lorfque ce Prince fut monté fur le Trône, le payfan

lui apporta une rave de fon jardin, qui étoit extraordinaire par fa groffeur. Le Roi fut gré au payfan de fon préfent, & lui fit donner une fomme de mille écus. Le Seigneur du village, inftruit de cette libéralité, fe flatta que s'il donnoit un beau cheval au Roi, fa fortune fera faite. Il va en conféquence à la Cour, le Roi fait l'éloge du cheval, & ajouta : Qu'on m'apporte ma rave. Tenez, dit-il, voici une rave des plus rares dans fon efpece, auffi-bien que le cheval; je vous la donne, & grand-merci...

Un Gentilhomme follicitoit affiduement une grace auprès du même Roi. Ce Prince, las de le voir, lui dit un jour, qu'il fe donnoit des mouvements inutiles. Le Gentilhomme auffi-tôt remercia le Roi avec un air auffi ouvert & auffi gai que s'il avoit obtenu fa demande. Le Roi crut qu'il n'avoit pas bien entendu, ou qu'il interprétoit mal fa réponse. Il le fit rappeller, & lui répéta très-pofitivement qu'il n'y avoit rien à faire pour lui. Sire, reprit le Gentilhomme, j'avois d'abord bien compris la réponse de Votre Majefté. Pourquoi donc, repliqua le Roi, m'a❤ vez-vous remercié avec une joie apparente? C'eft, dit-il, que je regarde comme une grace le prompt refus de Votre Majefté; car elle m'épargne bien des pas, & la dépenfe que j'aurois faite inutilement, fi la réponse de Votre Majefté eût été moins précife, ou m'eût laiffé quelque efpérance. Le Roi fourit à cette fingularité, & accorda au Gentilhomme tout ce qu'il demandoit. Pars beneficii eft, quod petitur, ft citò neges. Publius Syrus.

L'Anecdote qu'on vient de lire a pu fournir à M. Hagedron, Poëte Allemand, le fujet de cette apologue. Abdallah, profterné devant le grand

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